Démographie et PIB par habitant

J’ai fait un chapitre complet dans mon livre sur l’IPV sur la démographie, même si l’analyse ne fournissant aucune information pour le calcul de l’IPV lui-même. La population humaine a bondi pendant ma vie d’environ 2 milliards de personnes à aujourd’hui plus de 7 milliards; au Québec, c’est à peu près la même chose, toutes proportions gardées. Les énormes défis associés à la projection de cette tendance vers peut-être 9 milliards de personnes en 2050 dominent les perspectives pour notre avenir.

Dans le dernier numéro de L’actualité, Pierre Fortin, qui y est chroniqueur depuis 1999 reconnu pour ses capacités de vulgarisation des enjeux économiques, fournit un texte intéressant par sa clarté sur l’information différente fournie par le PIB et par le PIB par habitant. Le texte s’intitule «L’illusion démographique», je crois pour souligner que le rôle de la démographie dans le calcul du PIB constitue une sorte d’illusion quant à sa valeur comme indicateur; c’est du moins un message important de l’article. Le magazine ne fournit pas l’accès aux articles des numéros en kiosque, et je ne puis fournir un lien pour cette chronique récente. Suite à un contact, Pierre Fortin m’a rappelé une autre chronique sur ce thème qu’il a produite en janvier dernier, en prenant le cas du Japon comme exemple : «Pourquoi l’économie japonaise a-t-elle ralenti depuis 25 ans?» Il est en effet aussi intéressant et m’amène à la même réflexion.

L’objectif de la récente chronique, tout comme celui de la chronique sur le Japon : «Gare aux idées reçues! Depuis 15 ans, les Japonais sont devenus beaucoup plus efficaces au travail que les Américains. Idem pour le Québec par rapport à l’Ontario», cela en dépit de nombreux reportages qui suggèrent le contraire. Clé de la confusion : c’est le PIB par habitant qui importe pas mal plus que le PIB tout court pour voir la situation d’une société, d’une économie. Comme dit Fortin, «La croissance du PIB est une bien mauvaise mesure de la performance économique.»

PIB per capita graphique

 

Dans la chronique de janvier, Fortin fournit plusieurs exemples de ce qu’il appelle «le gros bon sens». Après une période frénétique de croissance en termes absolus (qu’il associe à des pays qui «rattrapent» d’autres qui les devancent, comme le Japon a rattrapé les États-Unis, comme la Chine le fait aujourd’hui), la croissance a tendance à diminuer, voire à plafonner. (suite…)

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Le développement économique : un jeu qui nous piège

Aperçu Le Conseil du patronat du Québec entreprend depuis septembre un effort de convaincre les Québécois du bien fondé de notre modèle économique et, surtout, de la «création de richesse» comme «priorité absolue». Alain Dubuc en rajoute en insistant qu’il s’agit d’une «absolue nécessité». La campagne de promotion du CPQ est fondée sur le développement économique et une comparaison avec d’autres juridictions, cela en fonction du PIB per capita. L’effort est donc compromis dès le départ, et cela presque de l’aveu du CPQ. Plusieurs intervenants québécois cherchent à moduler l’impact de cette recherche de richesse trop limitée dans sa conception, mais se butent aux règles de jeu qui ne reconnaissent pas de telles modulations. Finalement, nous sommes bon nombre à être déjà riches, et l’objectif doit être non pas la création de richesse dans la tradition myope du CPQ mais la recherche d’un modèle qui ne comporte pas de façon structurelles les inégalités qui laissent tant de monde dans la pauvreté même s’ils sont entourés de richesse.

Tout récemment, en échangeant avec des amis, je me trouvais presque surpris à intervenir pour souligner que nous – nous de la classe moyenne – sommes des riches. L’échange portait sur ces autres du 1%, les vrais (?) riches, mais a abouti pour moi à cet autre constat. Ce sont carrément des lieux communs que de noter qu’il n’y a pas de limites identifiables à la quête de la richesse matérielle. Les analyses de notre surconsommation se fondent sur le piège que constitue notre sens que le bonheur est à associer à notre accumulation de biens matériels, même si ceci est dans un sens élargi. Pourtant, nous sommes nombreux dans les sociétés riches à en avoir assez.

Cette première surprise était assez rapidement associée à une autre, à la lecture d’une chronique d’Alain Dubuc du 18 février portant sur «cinq questions pour la prospérité». La chronique part du rapport du Conseil du patronat (CPQ) sur la prospérité du Québec publié en septembre 2014 et de la campagne lancée les 16 et 17 février par le CPQ pour promouvoir la prospérité Dubuc dit au début: «je peux difficilement être contre. Depuis des années, le thème sur lequel j’ai le plus travaillé, c’est celui de la création de richesse, un autre terme pour décrire la même chose: l’absolue nécessité pour le Québec de travailler pour augmenter son niveau de vie.» De mon coté, je ne puis être contre la recherche de la prospérité non plus, ayant consacré mon livre de 2011 sur la question, en utilisant le terme «progrès» pour essayer quand même d’éviter de la confusion. Ma surprise était de voir Dubuc poursuivre dans ce que je constate plus clairement maintenant être révélateur. Il y a une «absolue nécessité», dit-il, d’augmenter notre niveau de vie et d’atteindre «notre plein potentiel».

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La liberté d’expression ou la mort?

Petit interlude philosophique à travers le suivi de l’actualité… Récemment, j’ai été invité à écrire sur l’humanisme dans ses relations avec les enjeux environnementaux. Cela à abouti à une longue réflexion que je publie ailleurs sur ce site parce qu’il ne réjouit pas mon contact, qui ne le publiera pas, ainsi qu’à un texte beaucoup plus court soumis au Devoir de philo du journal Le Devoir. Il ne semble pas avoir été retenu pour publication, et je me permets donc de le présenter ici.

En 2012, j’ai participé à un panel avec, entre autres, le directeur d’un institut de recherche québécois. En réaction à une intervention de ma part qui soulignait l’énorme importance des enjeux démographiques, et de la décision de la Chine d’agir pour freiner la croissance de sa population, il a indiqué (après, et non publiquement) qu’il avait de grandes réticences à intervernir dans les questions touchant la reproduction humaine. Dans le cas de la Chine, la loi d’un seul enfant, adoptée en 1978, a permis d’éviter l’ajout d’entre 300 et 400 millions de personnes humaines à la population chinoise depuis 35 ans, alors que le pays est déjà surpeuplé, mais cela s’est fait par une atteinte importante à la liberté des personnes.

Terre vue de Lune

 

En 2013, j’ai donné une entrevue portant sur les grandes lignes de ma carrière en environnement et développement. J’ai terminé en faisant référence encore à la situation de la Chine. Mon propos : il est possible que la Chine soit le seul pays capable d’intervenir avec assez de force pour contrer les tendances actuelles vers la catastrophe, cela en raison de l’absence dans la gouvernance de ce pays d’un système démocratique susceptible de paralyser, effectivement, une intervention vigoureuse dans d’autres pays, démocratiques, comme les États-Unis ou l’Inde, voire de l’Union européenne. Le propos de l’intervieweur : il aimerait mieux voir l’humanité disparaître que de la voir survivre sans la démocratie.

Comme en 2012, ce litige ne s’est pas discuté pendant l’entrevue et seulement brièvement après. En prenant conscience, finalement, de la profondeur de sa réaction – il a tout simplement effacé toute référence à l’entrevue – , j’étais déstabilisé pendant un certain temps. Son propos résonnait avec celui de Patrick Henry, paradigmatique pendant mon enfance aux États-Unis : «Give me liberty or give me death». L’expérience a stimulé une nouvelle réflexion personnelle sur les enjeux écologiques auxquels nous faisons face, enjeux incluant l’avenir de la civilisation et, à la limite, de l’espèce humaine.

Démocratie, humanité, planète

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Le «développement durable» au sein du gouvernement : la confusion est totale

Aperçu de ce long texte: L’histoire du discours sur le développement durable au sein du gouvernement arrive à une sorte d’aboutissement qui frôle le ridicule. Alors que la Loi sur le développement durable est une de quatre lois cadres du corpus québécois, elle est mise en œuvre par le petit ministère de l’Environnement et un Committee interministériel sur le DD où plus d’une centaine d’organismes du gouvernement cherche à éviter que des engagements n’interfèrent avec leurs activités conçues sous d’autres auspices. Après une première Stratégie de DD presque gênante, voilà que le gouvernement est à la veille de l’adoption d’une deuxième. Clé de la démarche : aucun résultat, aucun engagement quantifié qui compromettrait l’indépendance du Conseil exécutif à procéder aux «vraies affaires», le développement économique on ne peut plus traditionnel dans sa conception et ses démarches. Le malheur est que l’énorme travail administratif impliqué détourne l’attention, de façon voulue, des dérapages des gouvernements successifs en ce qui concerne le développement qu’il nous faut absolument mieux planifier.

En 1987-1989, j’étais membre de la première Table ronde sur l’environnement et l’économie que le ministre Lincoln a réussi à faire créer, cela suite à la fin des travaux de la Commission Brundtland. Il était intéressant de noter ce qui semblait être le peu d’emprise sur le gouvernement des trois ministres gouvernementaux qui y siégeaient. C’était néanmoins une expérience valable, mettant en lien des représentants du secteur privé, du gouvernement ainsi que des ONG (le siège réservé à un autochtone n’a jamais été occupé).

Quand j’étais sous-ministre adjoint (au développement durable…) en 1991-1992, j’ai créé le Comité interministériel de développement durable (CIDD), regroupant une quinzaine de ministères. L’objectif était de mettre en place un système permettant de coordonner les activités au sein du gouvernement qui avaient une influence sur les processus de développement mis en œuvre ou encadrés par le gouvernement. Dès le début, il était évident que chaque ministère cherchait à mettre de l’avant ses bons projets, ceux qu’il croyait contibuaient déjà au développement durable. Dubai tourEn complément à cette démarche à l’interne, j’étais secrétaire de la deuxième Table ronde québécoise sur l’environnement et le développement (lire : sur le développement durable). La Table était présidée par le ministre de l’Environnement, et les représentants du gouvernement s’y trouvaient minoritaires. Quand c’était clair que l’avenir de cette Table était plus que compromis, j’ai démissionné.

La Table n’existait plus depuis longtemps, mais le CIDD était toujours en place quand j’étais Commissaire au développement durable, en 2007-2008. Il était responsable, avec un petit secrétariat au ministère de l’Environnement, de la mise en œuvre au sein du gouvernement de la Loi sur le développement durable (LDD) de 2006 et la conception et la mise en œuvre de la Stratégie gouvernementale de développement durable (SGDD). Encore une fois, il était plus que clair que les «intérêts» des organismes gouvernementaux primaient sur la reconnaissance des défis du développement, défis qui méritaient la reconnaissance de crises.

J’en ai déjà parlé, et même à plusieur reprises, tellement l’histoire du «développement durable» au Québec est bâclée depuis ses origines prometteusses dans le temps du ministre Clifford Lincoln, à la sortie du rapport de la Commission Brundtland. L’histoire continue, mais elle est rendue aujourd’hui dans une situation ridicule tellement on a réussi à mettre le dossier sur la voie d’évitement, aboutissement des constats de faiblesse tout au long de l’histoire.

Une stratégie de développement «vraie», et l’autre (suite…)

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La fin de la croissance selon La Presse

Alain Dubuc débute sa chronique «Dire non à la croissance?» du 2 février, sur le dossier que La Presse a présenté pendant les trois jours précédents et portant sur la fin (possible) de la croissance, en disant : «L’expérience du passé a montré que notre modèle économique, quand il arrive a une impasse, réussit à se redéfinir.» Bref, le travail était plutôt une perte de temps, même s’il avoue que réfléchir sur de tels sujets n’est pas inutile. Son jugement n’est presque pas surprenant, puisque le thème qu’il y identifie n’est pas celui de «l’impasse» constituée par l’apparente fin de la croissance. Le thème qu’il identifie est la décroissance, et voilà un motif pour des réticentes importantes: «Peut-on tourner le dos à la croissance économique, changer de modèle et imaginer un système qui repose surtout sur une décroissance voulue et planifiée?» Ce thème était celui couvert par Hélène Baril dans le premier volet de l’exercice, qui reprend celui, vieux de plus de vingt ans en France, de la «décroissance voulue et planifiée», qui traîne en Europe justement parce que l’idée d’aborder l’impasse par une approche éthique élimine d’emblée toute possibilité qu’elle soit prise au sérieux par les décideurs – et par les journalistes qui les couvrent, en trop grande partie.

Gadrey graphique PIB et satisfaction de vie ii09

La fin de la croissance?

Le volet couvert par Baril est de loin le plus sérieux des trois, fournissant de l’information sur différentes mesures du bien-être et citant Robert Kennedy dans son commentaire sur le PIB à l’effet qu’«il mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut d’être vécue». Ce volet termine avec des listes disparates des bienfaits de la croissance – tout ce qui est bien dans la société – , et de ses dérives, dont on parle depuis des lustres : surconsommation, congestion routière (c’est-à-dire engouement personnel et économique pour l’automobile, parmi les moteurs de l’économie), pollution de l’air et de l’eau (des cibles du mouvement environnemental depuis des décennies). Résonnant curieusement dans la liste par ce qu’il touche à l’impasse, l’endettement : «Pour alimenter la croissance économique, le crédit s’est répandu et les ménages ont été encouragés à s’endetter pour s’acheter une maison, une voiture et des biens de consommation courante. Aujourd’hui, le taux d’endettement des ménages au Canada atteint plus de 160% de leurs revenus après impôt et paiements d’intérêts.» 

Même les entrevues permettent d’éviter les enjeux de fond, celle avec Yves-Marie Abraham fonçant sur le thème de la décroissance programmée et celle avec Éric Pineault terminant avec ce dernier insistant sur la nécessité de la croissance, porte ouverte pour Alain Dubuc, qui fonce dedans. (suite…)

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Malthusiens et Cornucopiens face à l’avenir (proche et lointain)

Long article couvrant plusieurs interventions récentes en matière d’énergie dans un contexte de questionnement sur une transition qui vient, ou qui ne vient pas. Trois d’entre elles ciblent une abondance perceptible dans le domaine de l’énergie : un rapport spécial de The Economist; les conseils en finance de Jeremy Grantham; Jeremy Rifkin et la société de collaboration en émergence. Les trois sont impressionnés par les énormes progrès dans les technologies touchant les énergies renouvelables, surtout la solaire. Rifkin et Grantham soulignent d’importants risques associés à la vison d’abondance. Finalement, ces interventions négligent toutes la question de rendement énergétique et les énormes investissements requis (avec de l’énergie fossile) pour fournir les infrastructures nécessaires pour la transition vers une nouvelle société.

Il est assez impressionnant de voir jusqu’à quel point les objectifs mis de l’avant par le mouvement environnemental pendant des décennies ont maintenant la cote. On voit ceci avec l’adhésion à l’économie verte par l’ensemble des institutions internationales, par une reconnaissance des crises environnementales longtemps l’objet de déni (et qui continuent à croître en raison du dysfonctionnement du système économique actuel). De façon plus ciblée, on le voit par la reconnaissance de la nécessité de comptabiliser les externalités et par l’envol des interventions en matière d’énergie renouvelable. On n’a qu’à suivre la revue de presse Enjeux énergies et environnement pour voir l’envergure de ce dernier aspect de la situation.

Depuis la publication de mon dernier article, j’ai revisité la question de la baisse du prix du pétrole avec une mise à jour du travail de Jeremy Grantham, financier américain associé à GMO dont j’ai utilisé les analyses dans l’article qui a débuté ce blogue, où il a souligné une tendance permanente à la hausse pour le prix des commodités. J’étais en même temps en train de finir The Zero Marginal Cost Society : The Internet of Things, the Collaborative Commons and the Eclipse of Capitalism, le plus récent livre de Jeremy Rifkin. Finalement, j’ai consulté un rapport spécial sur l’énergie et la technologie (17 janvier 2015) du magazine britannique The Economist qui couvre un ensemble de tendances actuelles dans le secteur de l’énergie: technologies des énergies renouvelables; de nouveaux modèles d’affaires qui ciblent la gestion de la demande; efficacité énergétique; perspectives pour l’Afrique.

Abondance ou contraintes?[1]

The Economist, fidèle à ses orientations de base manifestes dans d’autres rapports spéciaux et dans le magazine en général, voit dans ces tendances des perspectives qui lui permettent de croire que le système lui-même n’est pas en danger, que des innovations technologiques en ce qui concerne les énergies renouvelables permettront peut-être d’éviter la catastrophe. On sent comme contexte pour le rapport la reconnaissance par les Européens des défis critiques en matière d’énergie : nucléaire vieillissante, dépendance envers la Russie pour le gaz, absence de gisements de pétrole (la Mer du Nord étant en déclin), gisements de charbon qui ne répondent plus aux exigences environnementales minimales. (suite…)

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