Derrière le prix du pétrole

Tout effort de comprendre ce qui se passe actuellement avec le prix du pétrole doit se situer dans les tendances long terme dont il est question assez souvent dans mes articles, et cela comporte une prise en compte de (i) les réserves actuelles et (ii) le prix de leur exploitation. De plus, il faut situer les analyses de ce qui occasionne cette baisse de prix dans le contexte plus général, la dépendance des économies du monde au pétrole et les perspectives de transition.

Dans leur livre de 2012 Drilling Down: The Gulf Oil Debacle and Our Energy Dilemma, Joseph Tainter et Tadeusz Patzek fournissent des images de la situation en se fiant à l’Agence internationale de l’énergie (AIÉ) pour les données et les projections.

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Ce graphique permet de situer ce qui se passe aujourd’hui : les producteurs actuels (le bleu foncé) vont voir leurs réserves décliner sensiblement d’ici 2030 – dans seulement 15 ans – et pendant cette période il va falloir trouver, contre toute l’expérience des dernières décennies, de nouveaux gisements (le bleu pâle) pouvant produire en 2030 l’équivalent du pétrole conventionnel produit aujourd’hui. Le graphique distingue entre la production de pétrole conventionnel et non conventionnel, mais le conventionnel inclurait les gisements en eau profonde (comme Deepwater Horizon de BP) et le non conventionnel est représenté par le pétrole de schiste et les sables bitumineux (le vert). Les pays producteurs comme l’Arabie saoudite épuiseront une bonne partie de leurs réserves pendant la période.

Tainter et Patzek fournissent une image complémentaire à la première pour souligner l’importance du défi: les lignes horizontales représentent d’importantes sources actuelles de pétrole; les courbes donnent une indication de la production requise pour compenser le déclin de la production venant des réserves actuelles : (suite…)

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La Chine, l’Inde – et l’Afrique

Lors de mon troisième voyage en Chine, en 2011, j’étais accompagné par une nièce très intéressée par les questions de développement international. L’an dernier, elle a poursuivi un intérêt de longue date et a fait un voyage en Inde. Tout récemment, une autre nièce qui suit mes pérégrinations m’a donné en cadeau un livre, Lumières d’Afrique, de la journaliste de la Société Radio-Canada (SRC) Sophie Langlois. Cette nièce ne comprenait pas mon intérêt pour la Chine, et proposait que je visite d’autres pays, pourquoi pas, en Afrique.

Démographie

 

Critères de choix pour un voyage

J’ai eu le privilège de visiter un bon nombre de pays, au fil des années, et l’expérience a été très enrichissante. Depuis un certain temps, je voyage moins, et avec une bonne dose de culpabilité, sachant que les émissions qui y sont associées sont très importantes. Je me suis déjà formulé une approche de triage théorique face à la situation, classant l’Inde, avec sa démographie hors de contrôle, et l’Afrique, avec ses incapacités généralisées, comme des régions du monde où il n’y pas d’espoir pour une gestion de la transition qui va s’imposer face aux effondrements qui s’annoncent.

Des lectures sur l’Inde l’été dernier en suivant l’expérience de ma nièce ont bien enraciné mes perceptions de ce pays où la vaste majorité de la population vit dans la pauvreté plutôt absolue et où le nombre des pauvres va augmenter par des centaines de millions dans les prochaines années (augmentation nette de 20 millions par année). Comme ailleurs, une petite proportion de la population participe à la vie des pays riches, mais les perturbations susceptibles de venir des inégalités grossières mettent cette vie à risque. J’ai donc lu avec intérêt le livre sur l’Afrique, illustré par de superbes photos du conjoint de Langlois, Normand Blouin. J’avais déjà visité le Kenya, suite à l’écoute d’une entrevue suggérant qu’en raison surtout de la croissance démographique de ce pays (et de la Tanzanie), sa grande faune risque de disparaître d’ici peut-être vingt ans. J’avais également visité à deux reprises Madagascar (pas tout à fait sur le continent…) dans un effort sans succès de développer des projets ciblant la conservation de la biodiversité endémique et en péril de cette île. Avec mon épouse, j’ai aussi visité le Maroc, histoire de me tremper quelque temps dans un pays musulman (pour une réflexion complémentaire à celle de cet article, cliquer sur la carte).

Et l’Afrique – sub-Saharienne

Le livre a réussi à stimuler une nouvelle réflexion sur l’idée de (re)visiter ce continent. Le livre présente ce que Langlois appelle des «histoires méconnues», alimentée par les reportages qu’elle a faits pendant son mandat couvrant plusieurs années, avec base au Sénégal, et par des sélections de son blogue écrites pendant ce temps. Les histoires sont souvent émouvantes, mettant en évidence l’énorme souffrance des habitants de nombreux pays africains. Le livre termine avec une réflexion par Langlois sur l’aide humanitaire qui n’a pas réussi à gérer ce défi au fil des décennies, du colonialisme d’abord, de l’impérialisme économique des pays riches (et maintenant de la Chine) ensuite. (suite…)

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Boules de cristal pour mieux savoir, mieux décider?

Résumé: Les prévisions économiques sont largement reconnues comme peu fiables, même si les décideurs s’y fient souvent. L’idée d’un bilan de ces prévisions pour 2014 n’est peut-être donc pas géniale. Reste que les journalistes dans le secteur font beaucoup plus que le jeu de prévisions. Ceux du Devoir ont souligné en début d’année la faiblesse des attentes pour la croissance économique. Par la suite, ils ont noté que des éléments structurels de l’économie font que nous ne devons presque plus nous fier au PIB comme indicateur, et la croissance comme objectif. L’élection d’un gouvernement libéral, avec son équipe économique, a fourni l’occasion de souligner de nouveau les défis face à des promesses jugées jovialistes. Un regard sur des constats similaires à l’échelle des institutions internationales finit par faire d’une «nostalgie de croissance» presque le thème de l’année. La question devient alors comment gérer les défis, comment faire face intelligemment aux risques identifiés par le Forum économique mondial de Davos. Plusieurs citations fournissent matière à réflexion, tout comme les articles eux-mêmes.

Au début de l’année 2014 je me suis occupé à inscrire pour relecture en fin d’année des textes de trois journalistes en économie du Devoir, les journalistes étant parmi nos meilleures sources de perspectives sur la situation économique de la province, du pays, voire de la planète. Je notais depuis longtemps ce qui semblait être une tendance de la part des journalistes en général à se tromper dans leurs projections et je me suis dit que j’allais vérifier pour une fois, tout en recherchant – surtout – matière à réflexion en fonction du recul fourni par une année passée. Les textes que j’avais retenus pour relecture dataient du 4 janvier au 15 février, et la nouvelle période de réflexions similaires débute ces jours-ci pour 2015. Je comprenais bien qu’un recueil de texte de La Presse fournirait un portrait sensiblement différent.DSC02538

À la relecture de ces textes, ma réaction est tout autre que la recherche d’une validation des quelques prévisions qui s’y trouvent. Je suis devant ce qui est presque un roman, une série de textes écrits dans un cadre qui les définit tous, une réflexion sur le modèle économique en difficulté «temporaire» que les textes cherchent à mettre à jour, en essayant de mieux voir notre situation.

Éric Desrosiers rejette les comparaisons trop faciles avec des situations antérieures dès le départ, tout en ciblant de façon fascinante la tendance à la multiplication «d’enchaînements d’événements inattendus» (et il donne comme exemples de possibilités «une maladie infectieuse [qui] peut franchir des milliers de kilomètres en quelques heures seulement, [ou] la découverte et l’exploitation d’une nouvelle ressource d’énergie aux États-Unis [qui] pourraient, éventuellement, accélérer des changements politiques au Moyen-Orient» – pas pire comme « prévisions» !).

Prévisions court terme

Dans les textes que j’avais retenus, les prévisions sont finalement peu nombreuses. Parmi eux, un reportage sur les prévisions de la Banque mondiale par Desrosiers qui suggèrent «qu’une véritable reprise économique est en cours dans les pays à revenu élevé», surtout les États-Unis, où une croissance du PIB de 2,8% est prévue; la zone euro connaîtrait une croissance de 1,1% et l’économie mondiale de 3,4%. Dans un autre reportage, Gérard Bérubé couvre les prévisions du Mouvement Desjardins pour le Québec, selon qui la croissance serait de 1,8%, venant surtout des exportations, surtout aux États-Unis; le Canada connaîtrait une croissance de 2,3% et le dollar canadien serait à 94 ¢US à la fin de 2014. (suite…)

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Le dossier Résolu: Notre foresterie n’est tout simplement pas rentable selon les normes requises

Le débat actuel sur les activités d’exploitation forestière de la compagnie Produits forestiers Résolu est intéressant, mais comme c’est le cas depuis des décennies, il semble manquer un élément primordial. Le bas de vignette de la photo dans la réplique du pdg de Résolu dans Le Devoir du vendredi 19 décembre met la table : «Le Québec peut se montrer très fier des résultats obtenus par son industrie forestière». Il n’est pas évident qui est responsable de ce constat, mais il cache une multitude de problématiques.

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La «boîte noire» du ministère des Ressources naturelles

Dans mon travail sur l’Indice de progrès véritable (IPV), je cherchais des données pour le calcul du coût des externalités de nos activités économiques dans différents secteurs. Je n’ai pas trouvé de meilleure source que les données du ministère des Ressources naturelles du Québec (MRN) pour le secteur forestier, données abondantes et traitées par deux programmes développés par des instituts de recherche du secteur, FÉRIC et FORINTEK. Les représentants de l’industrie réfèrent à ce travail du Ministère comme une «boîte noire», sans jamais fournir les critiques implicites dans cette description. Les responsables gouvernementaux, à ma connaissance, n’ont jamais élucidé leur utilisation des deux modèles pour expliquer les publications faites chaque année qui en montrent les résultats de leur application, même si une présentation à la Commission Coulombe en 2004 en a fourni quelques pistes. Les milieux universitaires semblent reconnaître la possibilité de certaines faiblesses dans le travail, mais en même temps une concordance entre ce travail et leurs propres constats quant aux enjeux du secteur.

Comme je conclus dans le chapitre du livre consacré au secteur forestier, à moins que les données du MRN et les modèles informatiques qu’il utilise ne soient tout simplement erronées, l’exploitation de nos forêts se fait à perte sur la très grande majorité des parterres de coupe. À toutes fins pratiques, la forêt est donnée aux exploitants, et l’activité y est maintenue par la volonté des gouvernements successifs de préserver des emplois dans les régions ressources, alors que toute l’histoire de ces régions est bâtie sur l’exploitation forestière, cela remontant aux origines de la colonie.

Le débat actuel se confronte donc aux constats généraux découlant du calcul de l’IPV. De toute évidence, ceux-ci s’insèrent dans les travaux du Club de Rome dans Halte à la croissance insistant sur la nécessité de prendre en compte l’ensemble des facteurs de notre développement, et la vision d’ensemble que cela fournit. Suivant une telle approche, ni la foresterie, ni l’agriculture, ni l’exploitation minière ne représente au Québec une activité économique dans un sens acceptable.

L’exploitation de nos ressources naturelles n’est pas une activité économique

La foresterie maintient des milliers de personnes au travail, résultat de décisions politiques qui peuvent bien se justifier, mais non pas en fonction de paramètres économiques. Il s’agit d’une approche au développement qui cherche à concilier occupation du territoire par des communautés qui y sont ancrées, exploitation des ressources naturelles renouvelables dans le but d’apporter des bénéfices à ces communautés et maintien des conditions qui rendent ces deux objectifs possibles. (suite…)

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Rifkin: «la troisième révolution industrielle»

Cela fait plusieurs fois que je commence à lire ce livre The Third Industrial Revolution de Jeremy Rifkin, auteur que j’ai bien apprécié par des livres antérieurs. Ma première impression lors de courtes consultations : Rifkin embarque dans l’économie verte sans voir le portrait global, quand même surprenant pour un penseur de son niveau.Numériser

Maintenant, après lecture trois ans en retard, je vois d’importantes nuances à apporter à mes premières impressions presque aléatoires. Tout d’abord, l’essai constitue la meilleure approche à la promotion de l’économie verte que j’ai vue à date, et ce n’est presque pas cela. Finalement, la lecture en est fascinante. Rifkin est conscient d’un nombre impressionnant de facteurs qui entrent dans le portrait des défis actuels. On le trouve vendeur, entrepreneur, promoteur – de sa vision de la Troisième révolution industrielle (TIR), et, on sent, de lui-même : le livre détaille les nombreuses connaissances et contacts de Rifkin parmi l’élite politique, industrielle et commerciale de ce monde et, jusqu’à un certain point, la reconnaissance semble bien méritée.

Une narration qui se tient

En fait, après un premier chapitre qui détaille les énormes défis auxquels nous faisons face, Rifkin ouvre son jeu dans le deuxième. Pour réussir quelque chose, Rifkin insiste, il (lui) faut une narration, un «story line». Et il fonce : nous sommes devant une fin de partie («endgame») de l’ère industrielle du 20e siècle et en train de connaître sa transformation radicale, transformation qui constitue, finalement, un ensemble d’orientations en matière d’énergie et de stratégies de communication qui marque une nouvelle ère, une troisième révolution industrielle.

Rifkin met de l’avant les cinq piliers de la TIR et insiste sur leur importance comme un ensemble tout au long du livre : (i) la transition à l’énergie renouvelable; (ii) la transformation du capital bâti mondial en micro-centrales d’énergie; (iii) le déploiement partout dans le bâti et dans les infrastructures de technologies d’entreposage de l’énergie intermittente typique des énergies renouvelables ; (iv) l’utilisation de la technologie d’Internet pour transformer le réseau de distribution énergétique (le grid) partout en des réseaux qui partagent, agissant comme Internet; (v) la transition des équipements des systèmes de transport vers les technologies du plug-in et du fuel-cell reliées aux réseaux de distribution (37).

La narration, qui ne rejoint pas celles prônant l’énergie verte tellement elle comporte justement une vision cohérente qui ne s’insère presque pas dans l’économie actuelle, se tient. L’énergie renouvelable (i) comporte partout des limites, et nécessite une filière, le bâti (ii), qui permet de pousser plus loin ces limites ; l’intermittence de l’ensemble de ces énergies requiert des capacités d’entreposage (iii) pour rendre utilisable le nouveau potentiel et cela à son tour nécessite des réseaux de distribution et de transmission suivant un modèle proche de celui d’Internet; finalement, le transport, fondamental dans la civilisation moderne, se maintient seulement s’il s’insère dans l’ensemble, branché. (L’hydrogène y est toujours important dans le (iii) et le (v), fidèle à son livre The Hydrogen Economy, mais cette partie, non cruciale, n’est pas convaincante.)

La critique du modèle économique actuel inclut une réflexion sur une hypothèse de la TIR qui n’est jamais rendue explicite, même s’il reconnaît le défi en cause : une capacité, dans le respect des constraintes des ressources et de l’entropie (dont les changements climatiques), de produire les quantités d’énergie renouvelable impliquées partout dans la narration. Rifkin propose des gains en efficacité énergétique et en économies d’énergie mirabolants (210-212), mais qui sont néanmoins fort probablement essentiels pour ses propositions. À cet égard, on ne trouve nulle part le défi que constitue l’ÉROI plutôt faible des énergies renouvelables (et surtout de l’énergie solaire), et ceci est probablement le talon d’Achille de toute sa présentation. Pour les pays riches.

Une narration qui se tient (peut-être) pour les riches

Pour les pays pauvres, il ne se trouve dans le livre aucun effort d’esquisser ce qui serait en cause. Il fait référence au 40% de la population humaine qui cherche à survivre avec moins de 2$ par jour au début du premier chapitre (13), à la toute fin du dernier chapitre (269) et à une occasion dans la narration (63). Il exprime un espoir que cette masse d’humanité pourra connaître un saut dans son développement, qui ne serait pas obligé de passer par l’expérience des pays riches. La réflexion la plus proche à ce sujet se trouve dans la présentation des différents efforts d’établir des territoires continentaux de libre échange partout, en Afrique, en Amérique du Sud, en Amérique du Nord, en Asie du sud-est, là où les réseaux énergétiques du troisième pilier pourraient être intégrés. En dépit des défis, il dit ne pas voir de Plan B, une narration alternative.

Dans cette réflexion, comme un peu partout, Rifkin est tellement engagé dans l’application de la TIR à différentes échelles, celle de la ville (Rome, San Antonio, Utrecht), celle du pays (Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne) et celle des continents qu’il semble oublier le contexte fourni par l’économie actuelle et sa recherche d’une croissance sans fin de l’activité. Les échecs dont il fait le constat dans le troisième chapitre où il passe «de la théorie à la pratique» mériteraient une meilleure caractérisation de la façon dont ses conseils étaient, ou n’étaient pas, impliqués dans tout ce qui se passait dans ces années juste avant (et juste après) la Grande Récession.

En effet, Rifkin le promoteur et le narrateur semble assez conscient des limites auxquelles son projet se bute, même en ne ciblant que les pays riches. Rifkin souligne (198) qu’il a publié en 1980 Entropy, intervention assez précoce pour le sujet et le Chapitre 7, «Retiring Adam Smith», fournit une sorte de cours 101 en économie écologique. Il y fait l’argument que le modèle économique actuel est complètement dépassé : en ce qui a trait à sa recherche de productivité, à sa conception même de propriété (vs. accès), à l’importance qu’il accorde au capital financier dans l’oubli du capital social, à la place des marchés par rapport aux réseaux sociaux (et autres) (227). Des changements fondamentaux dans ces composantes du modèle vont caractériser la nouvelle société de collaboration qu’il présente.

L’exclusion par les économistes des externalités dans leur recherche d’un équilibre entre l’économie de production et de consommation comporte l’oubli de celle de la nature et des lois de la thermodynamique. Rifkin complète cette critique en soulignant les faiblesses du PIB comme indicateur de cet équilibre, entre autres en fournissant des références aux études sur le rôle de la thermodynamique dans les améliorations de la productivité et dans la croissance économique elle-même (210-211). Il fait référence aux indicateurs qui en tiennent compte, entre autres l’Indice de progrès véritable (222), indicateurs qui seraient pertinents pour la nouvelle société collaborative.

Une vision limitée

L’ approche de ce promoteur d’un programme souffre constamment d’une vision qu’il semble bien consciemment accepter comme contrainte et limitée. En dépit de références ici et là, la TIR est conçue et vendue aux habitants des pays riches, ceux qui ont connu la deuxième révolution industrielle. Plusieurs milliards de personnes restent en marge, Rifkin exprimant l’espoir que les prochaines décennies de la TIR vont atteindre l’ensemble de la population humaine. La vision est proche de celle du The Resilience Imperative : Cooperative Transitions to a Steady-State Economy de Michael Lewis et Pat Conaty, une sorte de receuil d’un autre ensemble de préparatifs pour la société de collaboration, la société solidaire. Clairement, pour Rifkin, la société de consommation tire à sa fin, avec la transformation en cours et devant le pic non seulement du pétrole mais de la mondialisation elle-même. La nouvelle en sera une où le jeu profond (le «deep play») sera dominant et où le commerce qui domine aujourd’hui sera remplacé par la collaboration et une dominance de la société civile, le «troisième secteur».

Il est difficile de bien saisir le portrait du «paradigme économique en train d’émerger», même si, comme il dit, le livre est le récit d’un joueur de l’intérieur («insider») de cette émergence (4). Différents éléments de ce paradigme apparaissent ici et là dans le texte, et à répétition, et ils constituent peut-être les aspects les plus convaincants de son argument : agriculture soutenue par la communauté; impression 3-D; Grameen Shakti; les réseaux sociaux; Wikipedia; Linux; Commun’auto. On voit dans ses exemples, et beaucoup d’autres, des mouvements importants dans la société actuelle qui semblent suggérer différents aspects de la TIR. Et l’intervention de l’élite, les jeunes éduqués, surtout, de nombreuses sociétés dans le Moyen Orient et l’Afrique du Nord dans le printemps arabe lui suggère un aspect social de la transformation qui va s’imposer (en dépit des dérapages qui ont eu lieu après la publication du livre). D’autre part, ses excursions dans les exemples suggèrent que cette nouvelle société en serait une presque végétarienne et presque sans présence de l’automobile personnelle, mais il ne rentre justement pas dans ces «détails».

Finalement, Rifkin est intéressant pour son effort de construire le portrait d’une (nouvelle) civilisation ayant le potentiel de se maintenir dans le temps. Il tient compte de nombreuses tendances actuelles qui semblent là pour rester, et cela de façon déterminante. Il est bien conscient des crises qui sévissent, et ne semble même pas présumer qu’elles seront résolues de façon à permettre cette civilisation à percer.

En fait, le tout est présenté par un promoteur d’une narrative faisant abstraction de tout ce qui est impliqué dans les travaux actuels sur les échéanciers de plus en plus serrés et de plus en plus catastrophiques dans leurs implications. Nous ne semblons pas avoir les 40 ans qu’il propose comme son propre échéanier, et il est fort probable que n’ayons pas non plus les ressources, non renouvelables et surtout énergétiques, fondamentales pour la mise en place de cette civilisation. Toute la présentation de ce vendeur d’idées chevronné s’insère – assez mal, comme il le dit, dans les tendances contraires – dans l’esprit que j’ai déjà identifié (suivant l’Office national de l’énergie) comme celui des populations d’îles fortifiées; non seulement présente-t-il les énormes obstacles à son projet, dans les pays riches, il ne suggère d’aucune façon comment ce projet pourrait inclure les pays pauvres. Ceux-ci, doit-on insister, risquent de ne pas, de ne plus, accepter le sort que le modèle économique et politique actuel et l’héritage de la colonisation par les pays riches leur réservent.

À LIRE: The Zero Marginal Cost Society: The Internet of Things, The Collaborative Commons, and The Eclipse of Capitalism, publié en 2014.

 

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Paris et la COP21 : aucune entente meilleure qu’une entente qui ne respecte pas le budget carbone

Dans mes réflexions sur les rapports qui ont été publiés depuis l’été pour contribuer aux échanges et aux négociations préparatoires à la COP21 en décembre prochain, j’ai souligné (i) que le calcul du budget carbone par le GIEC et sa reconnaissance par les responsables de ces rapports représentent une avance majeure par rapport à Copenhague et (ii) que l’échec prévisible des efforts de respecter ce budget risque de résulter dans des dérapages importants dans les communications des responsables et dans la couverture par les médias. J’ai également insisté sur le fait que tous ces rapports représentent en priorité la promotion de l’économie verte plutôt que la recherche de solutions au défi des changements climatiques – et qu’ils échouent dans leurs efforts à date.

Je suis récemment tombé sur une entrevue intéressante qui souligne les mêmes risques, entrevue fournie à chinadialogue par Kevin Anderson, ancien directeur du Tyndall Centre, centre de recherche académique brittanique reconnu en la matière. Je suggère la lecture de cette entrevue. pour les perspectives qu’elle offre, histoire aussi de se préparer pour les discours qui passeront à coté des enjeux réels.

chinadialogue est un journal en ligne avec siège à Beijing, Londres et Delhi, et qui utilise des journalistes aussi bien étrangers que chinois. C’est un site intéressant pour suivre ce qui se passe en Chine en matière d’environnement tout comme pour une couverture des impacts de la Chine ailleurs. Récemment, il a publié des articles sur l’entente Chine/États-Unis, soulignant les énormes défis devant la nécessité d’abandonner l’accent sur le charbon dans ce pays.

MISE À JOUR: Anderson a fait une présentation il y a deux ans, en novembre 2012, sur l’ensemble de la problématique. «Real clothes for the Emperor: Facing the challenges of climate change» peut être consulté en version YouTube, en PowerPoint ou par transcription.

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