Croissance et contrôle des émissions: Le fluff s’ajoute au bluff

Le récent rapport de Calderón et Stern, Better Growth, Better Climate, représente un énorme investissement de ressources humaines et couvre très grand. Dès le départ, il nous informe que l’investissement aboutit au constat que ses efforts n’ont pas produit un portrait permettant de croire qu’il est possible, en maintenant la croissance économique, d’atteindre les objectifs jugés nécessaires par le GIEC et par l’ensemble des pays. Le résultat, le rapport, est ce que j’appelle le bluff dans le jeu de poker décrit dans mon dernier article.

La lecture des chapitres sectoriels représente un défi autre, surtout dans un effort d’en vulgariser le portrait qu’ils présentent, comme je voulais faire ici. L’expérience n’est pas nouvelle. Les chapitres présentent des portraits avec lesquels il est presque difficile à être en désaccord, tellement il résume (comme pour Rio+20 en 2012) ce que les mouvements environnemental et social prônent depuis des décennies. Ce qui est peut-être le plus frappant dans cette plus récente mise à jour est la transparence avec laquelle le rapport souligne les défaillances de marché (comme il les appelle, s’agissant en bonne partie des externalités jugées traditionnellement «externes» à l’activité économique proprement dite) et des obstacles que le rapport appelle les «barrières de l’économie politique». Il s’agit des obstacles politiques et sociaux que le rapport détaille, page après page, pour aboutir à l’espoir que j’associe au bluff.

Je présenterai donc ici quelques constats, sans prétendre à un résumé de cet énorme travail, des centaines de pages appuyées par des références dans les centaines.

Les villes de l’avenir : économie et société

Le Chapitre 2 s’intitule « Cities, Engines of National and Global Growth » et comporte trois sections qui partent du constat du défi des émissions, qui viendront en bonne partie des villes, expliquent le fondement de ceci dans l’étalement urbain et passent à l’énoncé d’un espoir pour une nouvelle vague de productivité urbaine en matière d’utilisation des ressources (le thème reviendra dans le chapitre sur l’énergie). Le document fournit un inventaire impressionnant d’exemples et d’analyses montrant les avantages économiques d’une approche de bas carbone dans le cadre de l’urbanisation massive qu’il voit comme dominant l’avenir de l’humanité. Il n’est pas nécessaire de revenir sur cet inventaire, assez connu; une lacune intéressante et importante permet plutôt d’en souligner une faiblesse liée à son orientation de base, le maintien de la croissance économique et modèle économique qui le soutient.Vivement 2050 Figure 1 p.4 2

Les auteurs abordent la présentation en faisant une division des villes des prochaines décennies en trois groupes, en fonction des défis économiques propres à chacun : villes émergentes, méga-villes globales, villes matures. Un quatrième groupe constitue une sorte d’«externalité» à l’approche, soit les bidonvilles où vivent et vivront peut-être le tiers des populations urbaines (dans le document, le mot «slum» est utilisé une seule fois, mettant les bidonvilles en relation avec les «gated communities» comme éléments créant des villes divisées socialement… – p.6).

Ces bidonvilles n’ont vraisemblablement pas d’incidence sur les économies des villes, et ne figurent tout simplement pas dans la présentation. Il s’agit d’une carte que Calderón et Stern ne veulent pas jouer, en présumant que le financement d’une «mise à niveau» de ces populations n’est pas gérable dans l’orientation du document, même s’il y a quelques références à l’idée, par exemple, celle d’essayer de leur fournir de l’électricité… En fait, le modèle économique dans sa forme mondialisée crée les conditions favorables à l’existence de ces bidonvilles, et le document ne met pas en question une telle défaillance du modèle (défaillance qui n’en est pas une de marché, thème majeur du rapport).

Le modèle économique ne peut que laisser ces populations pour compte. En fait, conforme à l’idée de base qui cherche à identifier un potentiel de croissance qui contribuerait en même temps à une réduction des émissions de GES, une bonne partie de l’approche au défi urbain de l’avenir est faite en fonction de l’auto et des transports, alors que probablement plus de la moitié de l’humanité n’a pas d’auto ni de perspectives pour en avoir… Dans cette partie du travail, la contrepartie n’est donc pas un retour à l’âge de pierre (Desrosiers), mais le maintien de conditions primitives pour environ un milliard de personnes, sinon plus. (suite…)

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Le jeu de poker face aux changements climatiques

Sur la page titre, le récent document de Calderón et Stern sur les enjeux économiques associés aux changements climatiques s’affiche : «Nous vivons à un moment de grand potentiel – We live in a moment of great opportunity». Nous avons déjà vu ce discours ici, lors de la parution du document de consultation de la Commssion sur les enjeux énergétiques du Québec. Celui-ci proposait que la menace apparente des changements climatiques constituait plutôt une occasion d’affaires. Après des mois de consultation et d’analyse, les commissaires ont fait amende honorable dans leur rapport final. Leur conclusion : le Québec ne pourra même pas atteindre un objectif de réduction de ses émissions qui correspond à ce qui est jugé minimalement nécessaire par le GIEC, alors qu’en même temps nos dirigeants fonçaient les yeux fermés dans le sens opposé, avec leur Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole.

Comment comprendre le message de Calderón et Stern?

Le problème avec un document comme celui de Calderón et Stern est qu’il ne constitue pas une analyse de la situation actuelle et à venir, mais l’imposition d’une orientation et la présentation de toute une série de mesures qui – si elles étaient réalistes – pourraient concrétiser l’orientation dans la réalité. C’est un peu comme un jeu de bluff au poker, DSC00365.JPG - Version 2sauf que les

 

mains sont ouvertes. Le lecteur qui l’analyse est obligé d’y aller avec la démonstration de sa faiblesse, alors que le journaliste ne fait que constater la gageure. C’est ce que fait Éric Desrosiers à deux reprises dans Le Devoir, d’abord dans un reportage intitulé «Protéger la terre à un coût dérisoire», ensuite dans une chronique intitulée «Rompre avec l’inertie».

Desrosiers revient sur le jeu de poker en soulignant, dans un autre contexte, la faiblesse de l’ensemble des efforts de gérer les risques de l’avenir avec une planification sérieuse :

Aussi boiteux que puisse souvent être l’exercice, le fait d’attribuer un coût monétaire à un problème est parfois le meilleur moyen de mettre en lumière son importance (gravité) relative et de se faire entendre dans un monde où l’économie est la valeur cardinale.

Une commission indépendante a dévoilé cette semaine un volumineux rapport dans lequel des experts estiment le coût économique de la lutte contre les changements climatiques d’ici 2030 à moins de 1 % à 4 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, soit l’équivalant d’un petit retard de croissance de 6 à 12 mois sur un horizon d’une quinzaine d’années.

On pourrait discuter longuement de la fiabilité de telles estimations sur des phénomènes aussi complexes, ainsi que du caractère réducteur de ramener à un coût économique un problème touchant tellement d’autres facettes de notre vie sur terre. Ces chiffres ont tout de même le mérite de retourner contre leurs auteurs les arguments de ceux qui — sur la base de données factuelles tout aussi fragiles sinon plus encore — disent que la bataille contre les changements climatiques ramènerait nos économies à l’âge de pierre.

Ce message est repris en éditorial par Guy Taillefer le lendemain du sommet de New York où il note quand même qu’il n’y a pas de plan B, que le bluff est dangereux. Jeudi le 25 septembre Gérard Bérubé ajoute sa voix à ce qui semble être une unanimité au sein des journalistes du Devoir, à l’effet que les leaders économiques ont fourni les réponses aux catastrophistes et que le tout semble raisonnablement en main.

Mes efforts comme catastrophiste de vulgariser les travaux du Club de Rome et d’une multitude d’autres analyses concernant les effondrements possibles dans un proche avenir constituent une mise blank, un appel au bluff où je présente mon jeu, aussi défaillant soit-il. Pour poursuivre l’image, (suite…)

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350.org : si j’étais environnementaliste

Avis : À noter à ce jour du 21 septembre que, si j’étais environnementaliste, je serais en train de faire campagne avec 350.org pour l’adoption des mesures proposées dans l’ensemble des documents prônant l’économie verte comme approche à favoriser face, entre autres, à la menace des changements climatiques. En effet, c’est sûrement cela que les groupes sont en train de faire, plutôt que de travailler à l’analyse la plus objective possible de cette approche et à l’alternative qui s’impose pour mieux nous positionner face aux risques devant nous. Je serais prêt à gager que 350.org, pas plus que les autres, n’a pas élaboré un programme pour l’atteinte de ses objectifs accompagné d’une analyse des risques associés à sa poursuite. Que tout soit orienté vers l’économie verte et qu’aucune analyse ne soit en train d’être faite en fonction des implications du pic de pétrole et de l’imminence apparente de l’effondrement projeté par le Club de Rome me paraît presque absurde. Le récent document signé Calderón et Stern montre encore une fois les risques que le mouvement est en train d’encourir sans en évaluer les conséquences de l’échec probable.

Ce n’est pas la première fois récemment que je me vois en train de lire un volumineux document prônant les objectifs du mouvement environnemental et signé par ceux qui ont refusé de les reconnaître et de les mettre en œuvre pendant des décennies. Le brassement autour de Rio+20 en 2012 nous en a fourni toute une collection sous la thématique de l’économie verte, et maintenant c’est le brassement autour des préparatifs pour Paris 2015 qui prend la relève. Le tout récent document déposé aux Nations Unies par Felipe Calderón et Nicolas Stern suit ceux du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) mené par Jeremy Sachs, Risky Business signé par les millairdaires Bloomberg, Paulson et Steyer et l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) sur l’importance de bien établir le prix de l’énergie. La plupart de mes récents articles portent sur ces documents, dont ceux du FMI.

La lecture attentive du The New Climate Economy Report constitue tout un défi. Des pages et des pages proposent ce que le mouvement environnemental propose depuis toujours. La différence : le rapport est le fruit du travail d’une commission formée de 24 décideurs, venant presque exclusivement des milieux économiques et politiques, conseillée par une quinzaine d’économistes de haut niveau, et il met l’accent sur la croissance économique – «economic prosperity and development» – que les nations doivent viser tout en contrôlant le dérapage du climat. On y trouve justement et entre autres les ministres de Finance de nombreux pays en complément aux politiciens qui les écoutaient pendant tant de temps. La menace des changements climatiques est maintenant craint partout, et finalement par de nombreux décideurs eux-mêmes, non sans un certain déni évident (comme dans le DDPP) devant les contraintes énormes (insurmontables) qu’ils reconnaissent tout au long du document.

Le défi est de voir ce qui est changé dans la pensée de ces politiciens et économistes qui leur permet d’accepter d’emblée l’agenda des mouvements environnemental et social. Tout y est ou presque dans la vision d’une «meilleure croissance qui améliore la qualité de vie à travers les dimensions du revenu, de meilleure santé, de villes plus vivables, de résilience, de réduction de la pauvreté et de l’innovation plus rapide» tout en atteignant un «meilleur climat» (41). Il faut également essayer d’évaluer l’importance du fait que ces décideurs des milieux économiques, suivant les interventions du FMI, (i) acceptent l’importance de tenir compte des coûts des externalités (qu’ils préfèrent appeler des «market failures», des défaillances des marchés) tout en (ii) négligeant complètement une partie importante de ces externalités. Dans l’ensemble, les coûts de ces externalités représentent entre les deux-tiers et les trois-quarts du PIB lui-même, selon les calculs d’indices de progrès véritable faits pour de nombreux pays.

 

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La première partie de la réponse semble claire : le rapport du GIEC et l’expérience presque quotidienne de dérèglements climatiques ne permettent plus le déni (en oubliant Harper et même Couillard). Par contre, le rapport insiste qu’il «ne porte pas sur les mesures pour réduire les émissions de GES, que d’autres ont fait de façon compréhensive» (p.12). Le programme «compréhensif» du DDPP, probablement le plus important proposé à date, n’arrive pas à atteindre les résultats nécessaires pour respecter les calculs et l’échéancier du GIEC.

L’analyse de la deuxième partie de la réponse est le vrai défi : le rapport entérine une croissance économique pour les prochaines décennies qui est presque hallucinante (sauf pour les économistes) et cherche à fournir les pistes (suite…)

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Le schiste : la bulle financière de notre temps

Il y a lieu de croire que l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste n’est pas rentable, et l’accent sur ces nouvelles ressources (en y ajoutant les sables bitumineux) représente l’équivalent d’une bulle financière. Les coûts de l’exploitation sont tels que des analystes connaissant les enjeux financiers et économiques en cause prévoient l’éclatement de la bulle d’ici quelques années à peine. Une telle analyse fournit une perspective différente pour la résistance qui s’impose alors que nous nous approchons de l’effondrement de notre système économique actuel.

[voir les deux mises à jour à la fin de l’article pour d’autres références]

Il y a une sorte de découragement au sein des groupes écologistes face au développement des énergies fossiles non conventionnelles, surtout le pétrole et le gaz de schiste, mais aussi les sables bitumineux. Dans une perspective de contestation traditionnelle, tout semble déjà joué auprès des décideurs, obnubilés par l’idée d’une Amérique saoudite avec de riches gisements qui se trouvent un peu partout.

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Lors d’échanges sur le sujet de temps en temps, il s’avère difficile de présenter une autre perspective avec rigueur, tellement la littérature sur le sujet est abondante et contradictoire. Pourtant, de nombreuses indications suggèrent que le fondement économique de ce développement est sérieusement déficient et qu’il s’agit actuellement d’une sorte de bulle financière qui cache l’effondrement en progression. Il me paraît pertinent de fournir ici la perspective difficile à formuler spontanément lors d’échanges informels. Les sources reviennent pour la plupart du temps dans mes différents articles et plusieurs sont associés aux analystes du phénomène du pic de pétrole.

Une autre perspective économique

Le thème de bulle financière est la perspective qu’en donne Tim Morgan, analyste financier anciennement de Tullet Prebon qui a écrit Perfect Storm“Shale Gas : The Dotcom Bubble of Our Times”, publié au mois d’août dans le journal The Telegraph en Angleterre, ne fournit pas une analyse, et suit ce qui circule déjà dans d’autres milieux, mais cible bien le contraste entre le discours et la réalité qui marque souvent les bulles (merci à Enjeux énergies pour avoir fourni la piste). Un survol des quelque 375 commentaires sur l’article donne une idée de la confusion dans les débats actuels, et n’aboutit pas à beaucoup de clarification. Une référence intéressante est faite à des progrès sur le plan de la technologie, mais rien ne met en cause le constat de base : un rendement financier négatif aux États-Unis, dans le schiste.

Mark Lewis, ancien directeur de recherche pour la Deutsche Bank, a publié dans The Financial Times en novembre 2013 un article qui fournit les détails de la situation. “Toil for oil means industry sums do not add up” met en évidence les investissements (capex, ou capital expenditures) de plus en plus importants de l’industrie pour une production de moins en moins importante et cela à un coût de plus en plus important. La combinaison de ces éléments fournit une perspective pour le développement des hydrocarbures qui suggère que nous atteignons des limites dans un approvisionnement qui détruira les fondements économiques de nos sociétés.

C’est assez intéressant de noter que Morgan et Lewis semblent rejoindre le Canadien Jeff Rubin dans la liste d’anciens joueurs des milieux financiers qui sont arrivés à cette même perspective et qui ont quitté leur milieu pour devenir intervenants à titre personnel ; je manque les détails pour Morgan et Lewis à cet égard.

Le phénomène de la Red Queen

À son tour, Thomas Homer-Dixon, analyste à qui je me réfère souvent, a fait paraître un texte dans The Globe and Mail en décembre dernier. “We’re Fracking to Stand Still” présente la problématique par le biais des énormes investissements requis pour tout simplement maintenir l’approvisionnement acquis; (suite…)

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Paris 2015 (3)

Dans mes articles Paris 2015 (1) et Paris 2015 (2), je mets un accent sur l’impossibilité technologique et politique derrière l’effort de préparer un accord sur le climat à Paris l’année prochaine, accord qui pourra respecter le budget carbone établi par le GIEC. Ce qui commence également à paraître partout est l’impossibilité économique ce cet effort, mené par des économistes qui ne peuvent pas remettre en question leur modèle, leurs carrières. Dans sa chronique du samedi 30 août, intitulée «La Grande Dépression (bis)», Éric Desrosiers du Devoir fournit des éléments de cette autre piste manquante dans le travail préparatoire de Paris 2015.

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Desrosiers détaille les constats d’économistes sur l’ensemble des économies des pays riches, constats qui aboutissent à la conclusion que la «reprise» n’a pas eu lieu après six ans, que cette reprise n’aura pas lieu. Parmi les plus frappants, la récente baisse de la projection de croissance des États-Unis pour 2014 à 1,5%.

Ces constats rejoignent ceux d’un éditorial par Serge Truffaut le 25 août inspiré par une intervention de l’économiste principal du Mouvement Desjardins, qui projette ce que la tendance montre depuis des décennies, que la croissance du Québec, du Canada, des pays riches en général, tend vers zéro (voir le graphique à cet effet dans un autre article[1]).

Ce qu’aucun de ces intervenants ne souligne est que de telles perspectives négatives n’intègrent même pas les coûts des externalités de cette activité économique en fin de régime, et que le Fond monétaire international (FMI) propose d’intégrer par nécessité dans le bilan.

Il est donc déconcertant de voir Desrosiers conclure sa chronique avec un appel comme celui du DDPP pour une «transformation» de nos économies en ciblant la technologie comme planche de salut face à la menace des changements climatiques, tout en soulignant qu’il en va de notre prospérité, voire de notre survie. Son collègue Gérard Bérubé aborde le défi d’une autre façon en faisant un reportage sur la croissance faible du Québec par rapport à celle du reste du Canada. Ce que Bérubé ne note pas est que la croissance du reste du Canada dépend pour son caractère positif de l’exploitation des sables bitumineux et, dans une moindre mesure, de celle du pétrole offshore à Terre-Neuve-et-Labrador. Lui aussi aboutit donc aux changements climatiques comme source du défi, sans le reconnaître.

Il est fascinant de voir toute cette réflexion par des économistes et par des journalistes couvrant les dossiers économiques commencer à aboutir à une autre de la part des non économistes, comme Serge Truffaut. «Croissance économique dans le monde», titre de son éditorial, présente plus ou moins le même portrait que Desrosiers, un essoufflement et des projections de croissance économique à la baisse, finalement, «une remise en cause du dogme de la croissance et la mise en lumière de l’indifférence des économistes pour les conséquences environnementales» de notre activité économique.

Desrosiers et Truffaut utilisent comme référence Larry Summers, chef économiste pour Bill Clinton et grand architecte de la déréglementation des milieux financiers à la fin des années 1990. On peut penser qu’il s’agissait d’un geste presque de désespoir tellement cela ne semblait pas avoir de sens aux yeux des non économistes. Truffaut reprend son principal intérêt dans l’éditorial du 25 août, pour les emplois, dans un éditorial le lendemain, mettant presque de coté le signal d’alarme de la veille ; ceci est presque sans surprise, lorsque l’on pense que son éditorial de la veille représentait une rare intervention dans le domaine économique par un non économiste. Desrosiers le résume plus directement: «tous ces phénomènes en ont amené certains, comme l’ex-secrétaire américain au Trésor, Larry Summers, à presque jeter l’éponge en affirmant que nous étions désormais entrés dans une période de « stagnation de longue durée».». Luipour sa part, semble préférer se réfugier dans l’espoir tout court, comme le DDPP, mais il est beaucoup trop perspicace pour ne pas revenir sur le sujet[2].

MISE À JOUR: Tout récemment, Graham Turner a publié une nouvelle réflexion sur les correspondances entre le scénario de base de Halte à la croissance et les données des quatre dernières décennies, qui en corroborent les projections. Dans le récent document, Hughes cherche à rendre plus explicite le fonctionnement du modèle de Halte et les phénomènes contemporains associés, en particulier, au pic de pétrole. Turner y discute brièvement l’analyse du modèle de Halte de l’approche fondée sur un espoir dans la technologie, fondamental pour le DDPP; les données pour le scénario de la technologie compréhensive de Halte sont fournies dans son document de 2012, «On the Cusp of Global Collapse?».

 

 

[1] Un éminent économiste québécois que j’ai consulté sur ce graphique reconnaît la tendance et souligne que les économistes le considèrent un «mystère». De nombreuses analyses présentées dans ce blogue suggèrent qu’il s’agit de l’effet des limites biophysiques rencontrées «mystérieusement» au fil des décennies, et qui arrivent aujourd’hui à tout simplement annuler l’illusion de croissance représentée par le PIB.

[2] Je me suis permis un commentaire sur sa chronique, à même les pages du journal :

Je m’attendais à une autre conclusion pour le portrait brossé par Desrosiers. Et à cet égard, je m’attendais à ce que Desrosiers mentionne la Deuxième Guerre mondiale comme étant impliquée dans la «reprise» après l’autre dépression.

Dans de récents articles sur mon blogue, je commente deux interventions récentes du Fonds monétaire international (FMI) qui insistent sur la nécessité d’intégrer dans nos bilans les coûts des externalités de notre activité économique – des coûts énormes – ainsi que l’initiative du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP), qui cherche à fournir des pistes pour les Nations-Unies, surtout technologiques, pour un accord sur le climat qui respectera le budget carbone établi par le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat.

La lecture de ces documents n’aboutit pas à la conclusion de Desrosiers dans cette chronique. Selon ma lecture, un accord sur le climat est une impossibilité économique, technologique et politique, et cela annonce – c’est déjà annoncé – une autre guerre à mener, une guerre qui se fera en fonction de notre dépendance presque absolue à une énergie fossile bon marché pour nos économies.

Celle-ci, devenant de plus en plus chère, se cache derrière toutes les données économiques dont il est question ici. Nous avons dépassé les limites dans notre poursuite, finalement une illusion, d’une «prospérité» matérielle et une «vigueur» économique qui ne reconnaissent pas de limites.

 

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Le FMI tient promesse

En janvier 2013, le Fonds monétaire international (FMI) est intervenu en proposant différentes taxes sur le carbone comme moyen de corriger une défaillance des marchés, la non prise en compte des coûts des externalités. Suivant une étude américaine, le FMI estime le coût d’une tonne d’émissions entre 25$ et 65$. Le FMI promettait de revenir avec des propositions de mesures fiscales précises pour un ensemble de 150 pays, ce qu’il vient de faire. Dans un premier article, j’ai mis l’accent sur la détermination des auteurs du FMI à voir la prise en compte du coût des externalités comme une mesure positive pour la croissance économique; leurs analyses suivent rigoureusement le modèle économique, mais l’acceptation du principe permettra de montrer les failles dans ces analyses. Dans ce deuxième article, je souligne que le FMI, partant d’autres données, dont un coût pouvant atteindre 38$ par gallon d’essence consommé, ne semble pas bien évaluer les défis politiques associés aux propositions fiscales ni l’impact de celles-ci sur les économies des différents pays, source des défis politiques. 

 

Dans un article de juin dernier, j’ai souligné ma surprise de voir le Fonds monétaire international (FMI) intervenir dans le sens de mon travail sur l’Indice de progrès véritable. Le document sur le cout des subventions aux énergies fossiles accordées par l’ensemble des pays était publié en janvier 2013 mais ne semblait avoir reçu aucune couverture médiatique (même pas par Éric Desrosiers, normalement à l’affut de telles interventions). Dans le document, le FMI notait qu’il allait revenir sur le sujet avec une étude par un des groupes qui ont produit le document de janvier 2013, le Département des affaires fiscales (FAD). Il s’agissait de fournir en plus grand détail des éléments fiscaux de sa proposition.

Ce n’est pas un accident de parcours, mais les bons calculs?

Le FMI a récemment publié le document promis, et il a eu une certaine couverture (Éric Desrosiers était en vacances…) à La Presse Le document de 2013 n’était donc pas un accident : le FMI reconnaît l’échec du marché en ce qui concerne le coût des externalités et propose des mesures – pour un ensemble de 150 pays! – pour corriger cela. Étrangement, pour une institution de son importance et connaissant son budget et son mandat, Getting Energy Prices Right n’est pas disponible gratuitement en ligne, mais seulement le résumé pour décideurs.

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Il est plutôt satisfaisant de voir le FMI aborder dans son analyse les coûts, pour les sociétés et pour l’environnement, d’externalités qui sont au cœur des calculs d’IPV dans différents pays : le coût du changement climatique, mais également les coûts en morbidité, en mortalité et en perte de productivité associés à la congestion  et à la pollution locale de l’air par les transports mus par l’énergie fossile.

Le travail du FMI semble aboutir aux mêmes constats que l’IPV, des coûts importants. À l’encontre des analyses faites en association avec les IPV par les économistes écologiques, le FMI ne semble pas y voir d’énormes problèmes. (suite…)

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