Exploitation forestière: Trop de développement durable?

Le terme est utilisé aujourd’hui de telle façon qu’il n’a presque plus de sens propre, signifiant tout simplement quelque chose de positif, souvent en relation avec l’environnement. Voilà qu’André Tremblay, pdf du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) est capable de lui enlever même ce sens, soulignant qu’il peut y avoir trop de cette chose vertueuse, le développement durable.

L’intervention est venue lors de préparatifs pour le Rendez-vous de la forêt québécoise du 21-22 novembre dernier, au Saguenay. Comme c’est le cas pour la plupart des dossiers couverts par mon livre sur l’Indice de progrès véritable pour le Québec, les débats et les échanges continuent à se faire sans tenir compte de façon adéquate des contraintes associées au coût monétaire des impacts de ces activités, rarement calculé.

Dans mon calcul de l’IPV pour le Québec, le secteur forestier ressortait en fonction d’un aspect de la crise dans le secteur dont on ne parle pas. Le coût du transport du bois du parterre de coupe jusqu’à la scierie est aussi élevé que le coût de la récolte elle-même – la distance dépasse les 150 kilomètres en moyenne. Source: Jacques Nadeau Le Devoir le 19 novembre 2013Comme j’ai noté dans le travail, la hausse du prix du pétrole augure très mal pour l’industrie, et l’exploitation du bois dans plusieurs régions éloignées risque de coûter trop cher. M. Tremblay souligne que le coût du bois au Québec est le plus élevé en Amérique du Nord, mais ne donne aucune indication qu’il voit ce qui semble être la principale composante de ce coût. Et il peut bien se plaindre du coût des redevances et des rentes versées à l’État, il sait très bien – autre découverte du calcul pour l’IPV – que l’État donne le bois déjà, ne pouvant imposer des redevances au risque de mettre la survie de l’industrie en question. C’est le coût de l’énergie qui représente le défi de base pour la récolte, et la proposition de diminuer les coûts à la seule place où cela semble possible, dans les contraintes établies pour respecter le caractère renouvelable de cette ressource, constitue un retour en arrière bien trop caractéristique de l’industrie dans le passé.

Avec mon éditeur MultiMondes, c’est ce chapitre du livre qui a été choisi pour diffusion publique, et en plus de se trouver sur ce site, il se trouve sur le site d’Économieautrement avec une mise en contexte qui situe l’importance – l’urgence – de tenir compte des faiblesses du PIB comme indicateur de notre développement comme société.

Bon nombre de forestiers rejettent la banque de données du MRN qui est à la base de mes calculs comme une « boîte noire », approche que j’ai vue lors d’une présentation que j’ai faite à l’Ordre des ingénieurs forestiers au printemps dernier; d’après ce que je réussis à décoder de leurs propos, il s’agit plutôt d’une sorte de déni et d’un rejet d’un système dont les modèles s’avèrent assez complexes et peut-être incompréhensibles à leurs yeux – quitte à ce que les responsables au MRN fassent un plus grand effort de vulgarisation (et peut-être de correction à certains égards) de leurs modèles.

Les perspectives sur l’avenir du secteur forestier sont assez dramatiques, et méritent d’être situées dans un contexte qui inclut des paramètres peu utilisés, et que mon travail cherche à mettre en évidence. Cela n’enlève pas certains potentiels qui rentrent directement dans le bilan futur de l’industrie, dont une utilisation accrue du bois dans la construction en remplacement de matières non renouvelables et un recours à la biomasse forestière en remplacement du mazout utilisé pour le chauffage un peu partout en région. Par contre, il semblerait que l’industrie propose, dans un effort de cibler ce marché potentiel assez important, de recourir à la forêt pour la production d’électricité en période de surplus important d’énergie dans la province. Elle a encore du chemin à faire…

Source de la photo: Jacques Nadeau, Le Devoir

 

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Afro-optimisme ou afro-pessimisme?

Le PIB est tout simplement hors jeu dans l’effort de s’orienter, de se faire une idée intelligente face à cette question. Depuis plusieurs années maintenant j’essaie de suivre les travaux des économistes qui interviennent dans les débats publics, ceci parce que je leur attribue la cause de l’échec du développement et de l’intégration de l’environnement dans ce développement depuis des décennies. J’ai bien lu différents propos sur l’avenir prometteur de l’Afrique, mais la lecture d’un texte dans Le Devoir récemment sous les titre «L’afro-optimisme ambiant doit être tempéré» m’a quand même frappé.

Mon travail sur la «correction» du PIB comme indicateur de ce développement a trouvé un soutien dans le rapport de la commission présidée par Joseph Stiglitz, prix Nobel de l’économie et complétée à sa direction par Amartya Sen, autre prix Nobel de l’économie et Jean-Paul Fitoussi, sommité française dans le domaine de l’économie. Le rapport portait sur la nécessité de se doter de meilleures approches au développement que celle fondée sur la croissance de l’activité économique (du moins, c’est l’espoir) suivie par le PIB.

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Je ne vois aucun changement dans le comportement des économistes depuis le dépôt de ce rapport, mais le récent texte passe tellement proche de le faire qu’il mérite commentaire. Khalid Adnane, économiste à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, consacre le début de son texte à un portrait de l’Afrique récente en fonction de son PIB tel que ce continent est présenté dans de nombreux ouvrages. Le portrait fournit un (faux) espoir qui rend manifeste les défauts du PIB, et le reste du texte porte sur le «revers de la médaille», une mise en question de la prospérité que la croissance nominale de l’économie africaine suggère. De façon tout à fait directe, cela passe par la déconstruction des indications fournies par le PIB pris comme indicateur grossier du bien-être de nombre de pays – ceux qui ont des ressources, ceux qui n’en ont pas – mais le texte n’en parle pas directement. Il contredit tout simplement l’illusion fournie par le PIB et qui soutient « l’afro-optimisme ».

Les indications du PIB suivent la recette bien connue : le PIB de l’économie africaine plus que doublé depuis 2000, avec un taux de croissance d’environ 5%; le revenu per capita est passé de $2000 à $3200 pendant cette période; l’exploitation des ressources minières et énergétiques est reconnue comme le moteur de ce »développement». Adnane montre que ce portrait se bute néanmoins à la réalité. (suite…)

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Automobile, électrique ou pas: fausse bonne idée? fuite en avant? passage obligé?

Le Québec se prépare pour l’élaboration d’une politique énergétique, et les enjeux sont assez dramatiques. Une série de textes dans Le Devoir par Pierre-Oliver Pineau, Jean-Robert Sansfaçon en éditorial, et Jean François Blain, montre finalement la difficulté de bien situer ces enjeux dans un cadre approprié. Un texte que j’ai soumis au Devoir en élabore quelques unes des difficultés, en soulignant que c’est l’automobile elle-même et non son électrification qui doit être mise en cause. Toute la discussion s’insère dans l’approche au développement économique du gouvernement et de nombreux intervenants privés, et c’est rare d’y trouver une prise en compte des implications du pic de pétrole, de l’empreinte écologique (ou l’empreinte carbone) ou d’autres indicateurs de contraintes écologiques. Pourtant, ces contraintes paraissent de plus en plus incontournables et rendront inutile l’effort de conception de la politique si elle n’en tient pas compte.

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Le mémoire que j’ai soumis à la Commission sur les enjeux énergétiques est tout à fait irréaliste, ciblant une transformation rapide et complète de notre flotte de véhicules en hybrides ou électriques, au fur et à mesure de leur remplacement. Le débat tourne autour d’analyses qui montrent jusqu’à quel point nous sommes confrontés à des situations où bon nombre de décisions en matière de développement paraissent, et aujourd’hui sont, irréalistes. À l’instar de la Commission, l’annonce de sa Stratégie d’électrification des transports cible, en priorité, non pas le bienfait que représenteraient une diminution de notre dépendance du pétrole et une certaine réduction de nos émissions de GES, mais plutôt la possibilité qu’une industrie manufacturière puisse naître de cette initiative. Comme c’est presque toujours le cas, les objectifs environnementaux, qui deviennent de nos jours des enjeux reconnus explicitement même si tardivement par les interventions en faveur d’une «économie verte», doivent s’insérer dans la poursuite du développement économique, de la croissance de l’économie.

Ceci se manifeste dans les chiffres proposés dans le débat concernant la flotte de véhicules québécois. Je retiens la référence de Pineau à 350 000 véhicules ajoutés à la flotte chaque année, mais je me demande s’il ne s’agit pas plutôt du nombre de véhicules remplacés; sur 15 ans, on remplacerait la flotte de 4,5 M de véhicules au complet – sauf qu’il faut bien reconnaître qu’il y aura des augmentations aussi selon les tendances bien en place. Le gouvernement Charest proposait, suivant Pineau et Sansfaçon, d’électrifier 300 000 véhicules pour 2020, ce qui n’aurait été que 10% de la flotte, tout en étant un nombre impressionnant et probablement hors d’atteinte selon une vision réaliste. Le gouvernement Marois, dans la nouvelle Stratégie, ne propose d’électrifier que 12 000 véhicules, nombre dérisoire mais probablement plus réaliste…

En réalité, et contrairement aux orientations gouvernementales, l’intérêt de l’initiative visant l’électrification de la flotte de véhicules n’est pas qu’elle semble verdir l’économie, surtout pas l’espoir que nous développions une expertise mondiale pour la filière manufacturière en cause. L’initiative est une exigence économique en soi. Les économistes Pineau et Sansfaçon, dans leurs contributions au débat, ne semblent pas voir ceci. Ils ciblent une réduction des émissions de GES en priorité mais ne montrent d’aucune façon comment ils voient cela arriver, face aux constats de la Commission sur les enjeux énergétiques. Celle-ci montre que l’objectif de réduction des GES rentre directement dans le modèle économique et sociétal que nous avons et suggère dès le départ que l’objectif est irréaliste.

C’est Blain qui voit ceci de façon claire, dans son calcul des coûts. Électrifier toute la flotte de 4,5 M de véhicules réduirait les dépenses des ménages pour le transport de 6,5 G$ par année. Il suggère par contre que cela libérerait autant pour «oxygéner l’économie intérieure et soutenir la diversité de nos activités économiques productives». Ceci souligne le véritable enjeu de cette initiative, que Blain ne met pas en évidence.

Le Québec sera-t-il en mesure de supporter les coûts du maintien de son modèle des transports actuel, inscrit profondément dans son modèle économique? Est-ce que la transition vers une indépendance du pétrole nous permettra de soutenir le coup des effondrements en cours et à venir dans un avenir de plus en plus rapproché? L’électrification nous mettra peut-être à l’abri de certains soubresauts économiques ailleurs dans le monde, sans pour autant que nous puissions poursuivre l’ensemble de nos «activités économiques productives» qui sont en cause dans ces effondrements.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Complicité non perçue, non avouée

Le 22 octobre dernier le Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ) a tenu un atelier de formation pour mieux asseoir ses interventions futures devant la Régie de l’énergie. En effet, le ROEÉ existe, comme plusieurs autres organismes similaires, depuis la création de la Régie dans les années 1990 et a comme principal mandat d’intervenir à la Régie en fonction des exigences de celle-ci, notamment par une approche légale ayant recours à des avocats. En effet, la Régie est une instance réglementaire établie pour éviter que les décisions techniques concernant les politiques énergétiques ne soient dévolues aux élus de l’Assemblée nationale qui n’ont ni le temps ni la compétence pour en juger.

Cette institution réglementaire est également une instance économique, les aspects «techniques» qu’elle traite étant définis en fonction d’un modèle économique qui fournit les balises pour les processus consultatifs et décisionnels qui caractérisent sa face publique. En fait, la Régie s’insère de par son mandat dans un ensemble d’instances économiques dans le domaine de l’énergie qui finissent par définir les enjeux et les orientations pour le secteur : Agence internationale de l’énergie de l’OCDE; Energy Information Administration des États-Unis; Office national de l’énergie (ONÉ) du Canada.

Le défi est donc immense pour les ROEÉ imageorganismes ayant des préoccupations environnementales et sociales lorsqu’ils interviennent auprès de ces institutions. Actuellement, au niveau canadien, des groupes, incluant des groupes québécois, contestent les règles de l’ONÉ qui empêchent leur participation aux consultations concernant la demande de permis pour l‘inversion de son oléoduc par la compagnie Enbridge. Il s’agit d’un projet qui cherche à trouver une façon de sortir le pétrole de l’Alberta et du nord des États-Unis (Dakota du Nord) alors que ce pétrole est actuellement enclavé en raison d’un manque de capacité des infrastructures existantes.

Ce que les groupes ne reconnaissent pas est justement que l’ONÉ est une instance économique, soit une institution oeuvrant dans le cadre d’un modèle économique qui juge les incidences sociales et environnementales d’un dossier comme des «externalités». La contestation devrait cibler, ciblent finalement, les instances politiques qui ont donné son mandat à l’ONÉ. Même si ces dernières adhèrent également au modèle économique aussi, elles sont en mesure de prendre des décisions – politiques – quant à l’opportunité de maintenir cette adhésion. C’est dans un tel contexte que le gouvernement canadien de Stephen Harper insiste sur la priorité presque absolue de ses politiques économiques.

Les organismes membres du ROEÉ se trouvent dans une situation similaire, devant une Régie dont le mandat provient du gouvernement québécois et qui est balisé par le modèle économique. Ce n’est pas la place pour les débats sur les changements climatiques ni sur la pertinence de construire de nouveaux barrages dans un contexte de surplus d’énergie électrique. Ces enjeux ne sont pas dans le mandat de la Régie. Les groupes le savent, mais ne semblent pas reconnaître avec autant de clarté que leurs interventions, techniques et respectant les exigences de la Régie, s’insèrent dans un processus de planification extrêmement réductrice, comme tout ce qui découle du modèle économique. Ce modèle représente «l’économie» comme quasiment une entité en elle-même et presque sans liens avec la société et son cadre environnemental.

Ma présentation devant le ROEÉ n’était pas de nature à aider les organismes dans leur volonté d’intervenir auprès de la Régie. (suite…)

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L’IPV, outil pour de nombreux changements

Le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009 faisait le portrait des faiblesses du PIB comme indicateur de progrès, cela à la demande d’un des leaders du G8 (le président Sarkozy) et ayant comme auteurs deux prix Nobel de l’économie et une sommité française dans le domaine. Le rapport a connu une large diffusion. En 2010, les trois auteurs ont même publié une version vulgarisée du rapport, intitulée Mismeasuring Our Lives : Why GDP Doesn’t Add Up  (New Press, 2010).

Stiglitz p.1 pour blogueLes constats de ce rapport sont évidents et ne semblaient nécessiter que leur présentation formelle par des experts pour être reconnus. En dépit de cela, il s’avère presque impossible de trouver dans la pratique une application de ses constats par les administrateurs publics. À deux reprises récemment j’ai eu l’occasion de participer à des colloques organisés par l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). Ces colloques m’ont fourni des occasions pour saisir les praticiens de ce que j’appelle des oeillères dans presque tout ce qui touche l’évaluation de notre activité économique, en commençant par le recours au PIB comme guide.

En mai 2012, le Centre de recherche et d’expertise en évaluation (CREXE) de l’ÉNAP a tenu un atelier lors du grand colloque de l’ACFAS de cette année. Les conférenciers se penchaient sur la question de l’évaluation de programme au sein des différentes administrations publiques. L’occasion m’a été fournie de présenter l’IPV comme un élément clé dans ces exercices, qui finissent par avoir des implications sur le plan économique. Je l’ai fait en soulignant la contribution du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi. L’intention de fournir les actes de l’atelier m’a permis d’écrire une synthèse des travaux sur l’IPV du Québec dans le contexte de l’évaluation de programme.

En septembre 2013, l’Observatoire de l’administration publique (OAP) célébrait ses 20 ans par un colloque à assez grand déploiement. Comme ancien sous-ministre adjoint et ancien vérificateur général adjoint (Commissaire au développement durable), j’ai été invité à présenter mes réflexions sur les enjeux associés aux efforts de rendre la recherche universitaire utile pour les praticiens dans les gouvernements. J’avais déjà été frappé par une intervention d’une professeure de l’ÉNAP et un autre de l’Université de Montréal au printemps 2013. Ces deux constataient, à la lumière des révélations de la Commission Charbonneau, que notre confiance dans les vérifications formelles ne pouvait qu’être ébranlée en constatant que ces vérifications, au fil des ans, n’avaient pas mis en lumière la corruption omniprésente au niveau municipal que la Commission Charbonneau est en train de réveler.

En pensant à ces constats, j’ai décidé de mettre à jour les «observations» que j’avais préparées pour mon deuxième rapport comme Commissaire; le rapport est paru après mon départ, sans indication qu’il s’agissait du rapport du Commissaire, et les observations qui s’y trouvaient étaient celles du Vérificateur général. J’ai donc fait une présentation sur les faiblesses que l’on pouvait associer à des vérifications qui acceptent le cadre d’analyse de l’administration publique, alors que celui-ci rejette les constats du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi. Ces faiblesses étaient communes à l’ensemble des réflexions du colloque, celles associées à la vérification (au niveau provincial), à la recherche universitaire et aux activités de l’administration publique. Comme c’est souvent le cas, mon intervention était en marge des échanges prévus et ciblait des enjeux à la base même des activités des acteurs, faussées, comme le disent Stiglitz, Sen et Fitoussi, par le recours constant à des critères économiques dominés par le PIB alors que cet indicateur ne mesure pas bien ce qui est important dans notre vie. Le malheur est que le PIB est toujours dominant, sous-entendu dans la recherche, dans la vérification et dans la pratique comme guide pour nos activités.

(suite…)

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Est-il trop tard? L’optimisme opérationnel

Est-il trop tard? est le titre du tout récent livre de Claude Villeneuve, ayant comme sous-titre : Le point sur les changements climatiques. Il est sorti la veille du dépôt du premier volume du cinquième rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) rendu public hier. Le rapport du GIEC – en fait, le résumé pour décideurs du rapport du Working Group 1 qui sera déposé sous peu – ne fait qu’accentuer le drame de notre inaction depuis des années, et Claude fait le constat qu’il doit faire : il est trop tard pour éviter l’émission de niveaux de gaz à effet de serre dans l’atmosphere susceptibles de déclencher un dérèglement du système climatique. Une bonne partie du livre – c’est une des forces de Claude Villeneuve – représente un essai de vulgarisation des phénomènes en cause tout comme des travaux scientifiques qui cherchent à les comprendre.

Un autre élément du livre représente l’effort de Claude d’éviter la reconnaissance des enjeux en cause dans le constat d’échec de nos efforts, de ses efforts. Être pessimiste, dit-il, c’est être «défaitiste», et dans l’essai qui constitue sa conclusion il présente un discours qui va à l’encontre de mes propres constats. Il semble même que je lui sers de point de mire. À la deuxième page de sa conclusion (282), il fait référence à mon entrevue avec Éric Desrosiers dans Le Devoir des 30-31 mars 2013. Il conclut de sa lecture que selon moi «il n’y a plus rien à faire, sinon attendre le désastre». Dans ce qui suit, Claude embarque dans un discours dans lequel il oppose les pessimistes et les optimistes. Prétendant que son approche ici est scientifique alors qu’elle n’est que celle d’un vulgaire interprète comme moi, il nous présente les deux positions, celle de l’optimiste manquant complètement de crédibilité, même s’il représente beaucoup de monde. Claude, comme moi, n’est pas optimiste, mais il ne voit pas d’alternative, le cas échéant, que d’être pessimiste, ce qu’il refuse.LtG Turner

Le texte me fournit l’occasion de revenir ici sur ma propre analyse de la situation et de la façon de l’aborder, celle qui inspire tout ce qui se trouve dans ce blogue. La décision de créer ce blogue fait partie de toute une approche où je me décris comme un «optimiste opérationnel», depuis que Maurice Strong s’est décrit ainsi lors d’un discours à Globe ’90 à Vancouver il y a près d’un quart de siècle. Rien dans l’entrevue avec Desrosiers, ni dans celle avec Josée Blanchette qui l’a suivie, suggère ce que Claude décode des entrevues. Comme Josée Blanchette l’indique, j’ai «jeté l’éponge» en ce qui a trait à des interventions comme environnementaliste. Par contre, et comme je lui ai souligné, «cela fait longtemps que j’aurais fait un burnout comme plusieurs de mes amis si je ne refusais pas de me faire influencer dans mes sentiments et mes comportements en fonction de mon travail intellectuel». Je rejoins Claude dans le refus du pessimisme.

Ce qui est frappant dans la façon dont Claude aborde la situation maintenant est révélé vers la fin de la conclusion. Il y cite un rapport de 2009 fait par Van Vuuren et Faber pour la Netherlands Environmental Assessment Agency (PBL). Growing Within Limits a été soumis à l’assemblée globale 2009 du Club de Rome. C’est le discours et la pensée de «l’économie verte» (aussi appelée «la croissance verte»). Il faut croire que Claude, se joignant à de nombreux autres, préfère croire toujours que les tendances lourdes des dernières décennies peuvent être corrigées. Pour présenter cette orientation ciblant une économie verte, Claude doit tout d’abord décrire les critiques du modèle économique actuel (dont moi-même) comme cherchant à «tuer la bête» qui est ce modèle, plutôt que de «relever l’immense défi» qui est de le «domestiquer» (306). Comme dans la dichotomie entre pessimiste et optimiste, Claude ne voit ici que ces deux options, et semble rejeter d’emblée l’idée dont ce blogue fait la promotion, se joignant à de nombreux autres aussi, qu’il y a des modèles économiques possibles autres que celui qui cherche à (sur)vivre en fonction de la croissance sans limites. (suite…)

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