Consultation sur les enjeux énergétiques – un exercice bâclé

En voyant que le gouvernement se lance dans une consultation sur les enjeux énergétiques du Québec, j’ai décidé de soumettre un mémoire. Le contenu est le chapitre sur l’énergie (en version préliminaire) que j’ai rédigé pour le livre du collectif qui s’en vient sur le Québec face à l’effondrement. Le titre du mémoire: «Une fuite en avant – vers le mur».DSC05899

Sauf qu’il comporte maintenant une première partie, ma réaction et mon analyse du document de consultation fourni par le ministère des Ressources naturelles (MRN) en soutien au travail à venir de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec. Il mérite que l’on s’y attarde un peu plus que M. Descôteaux le fait dans son éditorial du 4 septembre dans Le Devoir. Bien plus qu’une esquisse des enjeux à débattre, le document représente un élément dans la politique économique du gouvernement, dans laquelle devront s’insérer les résultats de la consultation. En effet, le gouvernement – de par son représentant dans le secteur de l’énergie, le MRN – ne voit d’intéressant dans les enjeux énergétiques que ce qui fournira l’occasion pour aller de l’avant – vers le mur… Lisez-le vous-même!

Le document souligne que le Québec est parmi les sociétés les plus énergivores de la planète. Mais en dépit de nombreux passages (pages 30-34 entre autres) où un lecteur raisonnable se verrait amené à conclure qu’il faut que le Québec réduise sa consommation d’énergie, les orientations présentées sont toutes autres. Au tout début, le document insiste même que le Québec doive viser une amélioration de son efficacité énergétique. Et il souligne plus loin, dans le même contexte, que des pays comme la Suède et la Norvège font beaucoup mieux que nous, et dans leur consommation d’énergie et dans leurs émissions de gaz à effet de serre (les nôtres sont deux fois plus importantes que celles de la Suède).

Il faut se rendre à la section sur l’efficacité énergétique pour comprendre les véritables orientations du MRN. Notre haut niveau de consommation est en bonne partie le résultat de choix économiques, disent-ils. Et cela devrait continuer. En appui à une telle orientation, le document cite un récent rapport de l’Office national de l’énergie (ONÉ) qui indique que la demande énergétique durant la période 2009-2030 augmentera dans tous les secteurs, résidentiel, commercial et institutionnel, des transports et industriel, pour aboutir à une augmentation de plus de 25 % en 2030. Et même la consommation de pétrole ne diminuerait que de peut-être 8 %.

Ceci dans un document censé lancer la discussion sur la façon pour le Québec de réduire ses émissions de 25 % à l’échéance de 2020. Le MRN donne toutes les indications qu’il considère un tel objectif irréaliste et la table est ainsi mise pour une consultation bâclée. Nulle part ne trouve-t-on une indication qu’il y a peut-être en effet des enjeux énergétiques environnementaux et sociaux à débattre, devant l’impératif du développement économique. Et le gouvernement n’est pas seul dans cette galère. Une étude du pendant américain de l’ONÉ, l’Energy Information Administration (EIA), prévoit une augmentation de la consommation de l’énergie à l’échelle mondiale qui représenterait, dans seulement 25 ans, l’équivalent des trois-quarts de toute l’énergie consommée depuis 150 ans. (suite…)

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BPC 25 ans plus tard – temps pour une révision de nos préoccupations

J’ai rencontré un ami à l’exposition d’art contemporain Symposium à Baie-Saint-Paul récemment, et la conversation a tourné aux BPC. Lui a commencé sa carrière au ministère de l’Environnement avec le début des interventions en relation avec les matières dangereuses, et était intrigué de voir qu’il y en a encore dans les parages plus d’un quart de siècle plus tard. De mon coté, j’avais à peine suivi les reportages sur le dossier des BPC, qui me faisait penser à autre chose.

En fait, les médias continuent à faire leurs manchettes en couvrant les «événements environnementaux», et il n’en manque toujours pas. DSC02831On peut remonter au feu de BPC à Saint-Basile-le-Grand en 1988 , suivi du feu de vieux pneus dans le dépôtoir de Saint-Amable en 1990 , pour retrouver les dossiers contemporains et quotidiens : fuite de pétrole à Sept-Îles, préoccupations pour les fuites possibles de nouveaux (et anciens) pipelines, feux à Deepwater Horizon et à Lac-Mégantic en relation avec le pétrole de moins en moins « conventionnel », émissions fugitives de puits de forages pour le gaz de schiste, poussières émanant des mines d’Osisko à Malarctic et éventuellement du projet de mine d’apatite Arnaud à Sept-Îles.

Pendant longtemps, c’était une question de déchets dangereux, et le public était peu conscient de l’omniprésence de matières dangereuses vierges. Cette situation a probablement changé, mais ce même public serait sûrement surpris de connaître l’ampleur des matières vierges dangereuses, toxiques, combutibles, explosives dans leur environnement. Et en effet, le terme « environnement » dans le langage courant a souvent plus à faire avec les déchets qu’avec les matières vierges, plus à faire dans les milieux d’affaires avec les égouts et les dépôtoirs qu’avec les aqueducs et les sources de nos matières premières. Ces dernières sont plutôt question d’affaires, d’économie.

Les reportages sur la contamination pouvant être associée à la catastrophe de Lac-Mégantic, à de nouveaux (ou vieux) pipelines et à un feu possible dans l’entrepôt de la compagnie Reliance continuent, et en continu. Ce qui me frappe est la présence d’autant de reportages sur les problèmes «environnementaux» de la planète sans que nous ne fassions le lien avec les autres plus locaux. Les premiers (mais finalement les derniers aussi) sont assez souvent reliés à la question de notre consommation (des matières premières fournies par la planète). Pourtant, ce ne sont pas les mêmes journalistes qui couvrent les uns et les autres, et ça prend des éditorialistes pour des fois faire les liens.

Un éditorial de Jean-Robert Sansfaon dans Le Devoir du 3 septembre, «Environnement : Punir les responsables» illustre la sorte de lien qui se fait de temps en temps. Sansfaçon commence : « eut-on avoir confiance en une entreprise qui entrepose illégalement des BPC depuis quinze ans, en une société minière qui laisse tout derrière elle avant de fermer boutique ou en une compagnie ferroviaire qui transporte des produits explosifs sur des voies pourries ? Si la réponse est non, comment expliquer que tous les gouvernements aient réduit leurs contrôles au lieu de les resserrer au fil des ans ?»

L’éditorial est dans la lignée des interventions touchant les questions d’environnement depuis des décennies. Ce qui est un peu différent est que l’éditorialiste est économiste. Ce qui est surprenant est sa question, parce qu’il connaît la réponse : «le développement économique est primordial et les contrôles réglementaires, fiscaux et autres ne peuvent être acceptés s’ils ont des impacts économiques».

Un autre texte du Devoir de la même journée illustre très bien cette condition. L’article «Gaz de schiste: Les États-Unis entraînent d’autres États à leur suite» se trouve sous la rubrique « Économie » dans le journal. Il y est question de l’intérêt économique (indépendance énergétique) que d’aucuns associent aux nouvelles ressources de gaz et de pétrole de schiste, même si d’autres – les scientifiques – craignent des impacts environnementaux importants. L’article poursuit comme si rien n’était : «Dans ce contexte, l’exemple britannique est un cas d’école. Affirmant que le Royaume-Uni ferait une «grave erreur» s’il tournait le dos au gaz de schiste, le premier ministre, David Cameron, a officiellement engagé son pays dans cette nouvelle course à l’or noir début août. «En Europe, tout le monde va regarder ce qui va se passer au Royaume-Uni», pronostique Thierry Bros, analyste à la Société générale. «Ce pays a une longue histoire pétrolière et gazière, et il a également un poids au niveau de Bruxelles quant aux réglementations en matière de pétrole. De l’issue de son expérience dans l’exploration des gaz de schiste dépendra le basculement d’autres pays en Europe».

Dossier clos, ou presque, et réponse fournie à M. Sansfaçon.

Les sujets mentionnés dans ces commentaires fournissent pourtant matière à réflexion plus importante. Aujourd’hui, les préoccupations pour les matières dangereuses manquent vraiment de cible. Ce sont les choses banales de notre vie quotidienne qui menacent aujourd’hui notre existence même, sans que nous n’en apercevions presque pas. Par exemple, le gaz carbonique (CO2) est un gaz omniprésent et en énormes quantités dans l’atmosphère, comme l’oxygène. Toute la vie sur terre dépend de la présence de ces gaz, et ils ne sont d’aucune façon matière d’appréhension ou de préoccupation pour raison de dangerosité. Par contre, le gaz carbonique est le gaz dont nos émissions en surabondance (venant surtout de l’utilisation des combustibles fossiles) menacent l’avenir de notre civilization, étant une des principales sources de la déstabilisation du climat planétaire.

De leur coté, nous voyons les plastiques comment étant peut-être des nuisances qui se trouvent un peu partout, des fois là où nous ne les voulons pas. Ceci n’est néanmoins qu’une question de nuisance pour nos vies quotidiennes où les plastiques sont essentiels pour une multitude de produits d’usage courant. Néanmoins, le public a probablement de la difficulté à associer avec la vie quotidienne les reportages qui nous informent qu’il y a aujourd’hui des « continents » de plastique flottant dans tous les océans. À la limite, c’est un problème « environnemental » qu’il faudrait gérer avec une meilleure réglementation des déchets…

Finalement, notre préoccupation pour les matières dangereuses entrepôsées dans des sites mal entretenus ou transportées sur des voies ferrées en mauvais état est une préoccupation aujourd’hui dépassée. Ce n’est plus un moment que nous vivons où nous devrions nous préoccuper en priorité d’incidences possiblement néfastes pour notre environnement proche et penser que l’important est surtout de régler cela. Le monde entier est devenu un entrepôt pour les déchets tout à fait inoffensifs en eux-mêmes mais dont le cumul devient lui sujet de préoccupation, source de catastrophe à des échelles n’ayant rien à voir avec celles des feux ici et là, des déversements ici et là, des nuisances à la propreté ici et là.

Vous connaissez mes propos : le développement économique des dernières décennies nous a rendu à une situation planétaire où l’humanité toute entière est en dépassement de la capacité de support de la planète. Elle a une empreinte écologique nécessitant déjà une planète et demi alors qu’il y a des milliards de pauvres qui veulent, avec raison, augmenter leur empreinte pour atteindre un niveau de vie acceptable. Et nous, dans les pays riches, avons une empreinte qui nécessiterait trois, quatre, voire cinq planètes pour nous soutenir, mais nous voulons continuer à « progresser ».

C’est du passé, et c’est le temps de nous préparer pour un nouveau paradigme de civilisation maintenant, aujourd’hui. J’écoutais la CBC en revenant de Charlevoix et je suis tombé sur une émission « Ideas in the Afternoon ». Le sujet était la fin de la croissance.  Elle présentait des extraits d’une soirée de février dernier, à Calgary. Jeff Rubin, ancien économiste en chef de la banque CIBC (et auteur de The End of Growth, paru en 2012) et David Suzuki, animateur de l’émission de CBC «The Nature of Things» depuis des décennies, y allaient avec leur portrait de la situation cachée par les reportages de problèmes environnementaux au quotidien. Je vous en recommander l’écoute.

 

 

 

 

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C’est possible, le papillon Monarque menacé?

Ce bloque représente non seulement l’occasion pour des réflexions sur les enjeux du développement, mais également l’occasion pour quelques témoignanges en relation avec une vie où une certaine intimité avec la nature était recherchée et souvent obtenue, mais cela à travers un déclin mondial de biodiversité que j’ai dû et que je dois constater. Je me sentais presque endurci face à cette énorme perte, mais une nouvelle cet été m’a quand même bouleversé. Chaque été, nous recevons dans le jardin et le long de la voie ferrée la visite des papillons Monarque, cet insecte impressionnant Monarch_In_Mayqui a traversé des milliers de kilomètres par des étapes qui comportent la parution de plusieurs générations. Lorsque nos enfants étaient jeunes, nous avons même eu le plaisir d’assister au spectable de la chenille se mettant en pupe où il se transforme en adulte pour finalement sortir de sa chrysalide. Cet été, nous n’en avons pas eu de visite.

En 2006, lors d’un retour au Mexique après une absence de plusieurs décennies, nous avons pu visiter le site d’hibernation du Monarque, près de Morelia dans le Michoacan. Les papillons à cet endroit dans les montagnes, probablement par millions quand nous avons visité le site, avaient effectué un « vol » de migration d’une seule génération pour venir d’endroits aussi lointains que le Québec. C’est à la limite de ce que font les oiseaux, mais effectué par un petit papillon!

Monarque MoreliaC’est vrai, mon voyage, en contradistinction au sien, comportait un vol en avion et l’émission de tonnes de GES, même s’il a permis non seulement la visite des papillons, mais, à travers le reste, une semaine au Chiapas pour essayer de tâter le pouls de la révolution paysanne qui a débuté le jour de la mise en application de l’Entente de livre échange de l’Amérique du Nord (ALÉNA). Les paysans du Chiapas avaient une bonne idée de ce qui les attendait avec cette entente à l’image de notre économie néolibérale. Je cherche à justifier ce vol, ce voyage, tout comme les trois faits en Chine pour essayer de mieux saisir les enjeux associés au pays qui va déterminer, fort probablement, l’avenir de l’humanité : il faut aller sur place, il faut voir les gens, il faut être saisi par les contrastes entre les modes de vie des uns et des autres.

Reste que la disparition du Monarque – je ne puis croire que c’est en passe de se réaliser, même si j’ai vu disparaître les hirondelles dans seulement une vingtaine d’années, tout comme l’ensemble des oiseaux insectivores, et maintenant les chauve-souris – a non seulement quelque chose d’incongru, d’inacceptable, d’à peine croyable. Elle comporte une illustration presque parfaite de la contradiction que ma vie et celle des populations de l’ensemble des pays riches comportent. Ces vies – voir ma réflexion faite en fonction d’un autre voyage, cette fois-là en Australie   – ont été possibles seulement en fonction d’une atteinte directe et insoutenable au fonctionnement des écosystèmes de la planète.

MISE À JOUR: Le 2 janvier 2014 David Suzuki anime une émission de The Nature of Things, où il est question du film IMAX The Flight of the Butterflies et de l’histoire de la découverte de la migration de ce papillon, la plus longue du monde par un insecte. C’était une occasion pour me remettre dans la réflexion, tout en me ramenant à mon voyage au sanctuaire du papillon dans le Michoacan du Mexique, en 2005.

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L’été, le tourisme et l’avenir

Peu de monde reconnaît ce que la liste de Fortune Global 500 (la figure) révèle année après année: parmi les douze plus importantes entreprises de la planète, onze sont des secteurs du pétrole et de l’automobile. Vu d’un autre angle, Éric Desrosiers nous informe que le tourisme est au même rang comme «puissant moteur de développement économique». En fonction de l’activité économique à l’échelle planétaire, «l’industrie touristique représenterait directement ou indirectement 9 % du produit intérieur brut (PIB) mondial, soit un emploi sur 11 et autant, sinon plus, que l’industrie pétrolière ou celle de l’automobile.» Une lecture de la chronique fait ressortir que – pas une surprise – c’est un phénomène des riches; même si Desrosiers met un accent sur l’essor récent et important du tourisme attribuable aux pays émergents, c’est un phénomène de la classe moyenne de ces pays, où les inégalités sont même plus importantes que dans les pays riches.Fortune 500 1-12

Alors que les transports dominent dans la consommation du pétrole, c’est frappant de constater que cet autre secteur, fortement dépendant de déplacements, complète donc le portrait. Il fait ressortir jusqu’à quel point le PIB mondial est fonction de la principale menace pour la planète, les changements climatiques: les entreprises n’ont pas la taille de celles de la Fortune 500, mais ensemble elles sont aussi importantes dans leurs activités (mesurées par les dépenses) que celles liées à l’automobile.

Dans son livre Heat portant sur les changements climatiques, George Monbiot fait l’exercice pour voir jusqu’à quel point différents secteurs économiques pourraient s’adapter à la nécessité d’éliminer leur consommation des combustibles fossiles. Son seul échec est le secteur de l’aviation, où il ne trouve pas d’approches permettant à ce secteur de se maintenir. Traduit dans le contexte de la chronique de Desrosiers, le travail de Monbiot met en évidence un autre aspect de l’énorme défi que représente le changement de paradigme qui s’imposera. Ce ne sont pas les deux secteurs dominants du PIB mondial qui seront mis en cause, mais les trois!

Pour une réflexion sur l’activité économique à l’échelle de la planète, je me réfère au texte constituant la première partie de mon constat d’échec du mouvement environnemental: «L’économie biophysique comme plateforme pour la société civile: Limites à la croissance et les milieux financiers».

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« Nécessité économique »: une fuite en avant

La perte d’orientation dans les débats de société semble atteindre un nouveau sommet avec l’éditorial de Bernard Descôteaux dans Le Devoir de samedi 6 juillet dernier, éditorial qui aurait pu arriver, par ailleurs, à un meilleur moment. L’accident au Lac Mégantic plus tard dans dans la même journée a servi à mettre en évidence les implications de son message. Dès ma lecture de l’éditorial, j’ai formulé un commentaire que j’ai envoyé au journal. J’y cherchais à souligner la fuite en avant que représente la pensée de Descôteaux, alors que la «nécessité économique» qu’il priorise est de plus en plus clairement d’une autre époque. En effet, le transport de pétrole (de schiste – pour ce qui est de celui de Lac Mégantic – et de sables bitumineux, en grande partie, si ce n’est le raffiné) est une nécessité si l’économie va continuer à tourner comme il a fait pendant les dernières décennies, et l’accident de Lac Mégantic fait sortir une multitude d’informations sur la situation à cet égard.Tar sands

Un des avantages d’avoir décidé de créer ce site web est que je puis publier mes réflexions quand les médias ne jugent pas cela pertinent, comme c’était le cas cette fois-ci pour mon petit texte. L’enjeu est un peu plus clair pour plusieurs depuis le 6 juillet: d’une part, la «nécessité économique» exige que l’on permette presque n’importe quoi pour au moins maintenir le statu quo sinon augmenter l’activité économique; d’autre part, elle montre jusqu’à quel point nous sommes contraints par le modèle économique actuel à foncer dans le mur, à moins de mettre beaucoup de choses en question. Ce ne sera pas long avant que les changements climatiques ne redeviennent le thème dominant des débats à ce sujet, mais pour le moment l’accident nous ramène sur des risques plus locaux, les débats portant sur les choix de transport, par bateau, par train, par camion (tout le pétrole du Saguenay) ou par pipeline – ou, si nous décidons de nous sevrer du pétrole et de la «nécessité économique», sur un nouveau paradigme de vie.

L’éditorial arrive sur la scène alors que je suis en train de lire Supply Shock: Economic Growth at the Crossroads and The Steady State Solution, de Brian Czech. Je connais assez bien déjà la problématique, mais Czech fournit l’histoire de la pensée (et maintenant de l’idéologie) de la croissance économique, ce que je ne connaissais pas aussi bien. Et je viens tout juste de terminer un échange avec un économiste hétérodoxe qui a conclu avec son rejet de ma lecture de la situation. Celle-ci rejoint les projections du Club de Rome et constate que nous sommes devant des effondrements des bases écosystémiques de notre civilisation, à assez brève échéance. Pour justifier son rejet de ceci, l’économiste souligne qu’il n’accepte pas l’idée qu’il a perdu son temps pendant une carrière qui a couvert plusieurs décennies et qui a été marqué par l’histoire de l’idéologie en question. Autant je constate l’échec du mouvement environnemental au sein duquel je me suis débattu pendant 45 ans, autant je constate l’échec des mouvements sociaux où était engagé cet économiste, mouvements qui cherchaient et cherchent toujours à améliorer le sort des populations. Tout d’abord, ces mouvements ciblaient les populations de leurs propres sociétés, mais avec le temps, il est devenu clair que, même avec des avancées au sein des pays riches, les énormes inégalités qui définissent les liens de ceux-ci avec le reste de l’humanité nous amènent à des projections de perturbations (lire effondrements) à l’échelle de la planète, dont les émeutes de 2008 (en raison du prix du pétrole et du prix des aliments qui en découlait), le Printemps arabe et l’intervention des Indignés n’étaient que des signes avant-coureur.

De tous les journaux au Québec, Le Devoir semble le plus conscient, de par son approche éditoriale, des situations critiques qui définissent les enjeux écologiques et sociaux actuels. Que le directeur du journal intervienne dans le déni explicite de cette approche face à la «nécessité économique» de poursuivre la croissance mérite commentaire. Czech termine son livre en projetant un virage qui viendrait d’une sorte de gêne ressentie par le 1%, mais comme moi, il est bien conscient que l’idéologie de croissance est tellement inscrite dans les moeurs, même  des plus avertis, que la projection n’a pas autant de pouvoir de convaincre que celles du Club de Rome.

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L’IPV : J’étais un peu trop tôt…

Le 14 juin dernier, à Baltimore, le gouverneur de l’État de Maryland a présidé un sommet auquel étaient convoqués des leaders dans le travail sur l’Indice de progrès véritable (Genuine Progress Indicator ou GPI, en anglais) venant de 20 États américains (contre 4 lors du sommet de 2012). Le Maryland est le premier État à utiliser formellement l’IPV, avec 26 indicateurs, en procédant par décision exécutive du gouverneur. Une présentation de la situation a été faite par du personnel du cabinet du gouverneur lors du sommet  et un vidéo présente la façon dont l’État le calcule et l’utilise. Il est intéressant de constater que l’IPV pour le Maryland a été développé en collaboration avec l’Université de Maryland. Pas une coïncidence, des leaders parmi les économistes écologiques à l’origine de l’IPV, dont Herman Daly et Robert Costanza, ont passé par là aussi! Costanza et Steven Posner ont même publié un premier IPV pour le Maryland en 2011, avant que l’État n’embarque. Baltimore Summit

En mai 2012, l’État du Vermont est devenu le premier État à adopter une législation qui mandate le recours à l’IPV. Encore une fois, et tout aussi intéressant, le Gund Institute associé à l’Université de Vermont, à Burlington, réunit une masse critique de praticiens de l’IPV depuis près d’une décennie maintenant (et Costanza y était pour une bonne partie de cette période). En 2004, Costanza, Erickson et une équipe de l’Université  ont publié un IPV pour l’État. Le Gund Institute est partenaire du gouvernement du Vermont pour le travail de mise en oeuvre. Il y a un reportage sur le processus par un des participants.

L’État de l’Oregon est actuellement en train de mettre en place le processus. La gouverneure de l’État d’Oregon participait au sommet. C’est l’organisation Demos  http://www.demos.org/search/node/gpi qui a coordonné le sommet à Baltimore et qui va coordonner les suites.

J’étais donc un peu trop tôt avec mon idée de développer un Indice de progrès véritable pour le Québec, quand j’étais Commissaire en 2007-2008. Encouragé par ma sélection par le Vérificateur général alors que j’en avais parlé lors de mes entrevues, j’ai commencé par le calcul de l’empreinte écologique de la province. Pour obtenir la permission de le produire, j’ai pu montrer un travail déjà fait et en cours à travers le monde portant sur cet indicateur, incluant différents gouvernements nationaux – je n’entrais pas sur un terrain vierge. Le calcul de l’empreinte a nécessité neuf mois de travail avec une mine de données obtenues par ou pour l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Rejeté par le Premier ministre suivant un reflex spontané de sa part, et cela dès sa sortie en décembre 2007, celui-ci s’est rapidement ravisé lorsqu’il a été informé des fondements assez solides de cet indicateur. L’ISQ a par la suite décidé pourtant que cet indicateur, qui « indique » que le Québec connaît un train de vie plus de trois fois plus important que ce que la planète peut soutenir, n’était pas un indicateur de développement durable, et l’a mis au rancart.

Relever le défi de renouveler l’analyse (voire la vérification) des activités de la société, en l’occurrence celles de son gouvernement, par un indicateur qui corrige le PIB, s’est ainsi montré de taille. (suite…)

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