Catastrophiste

En quittant le bureau du Commissaire en décembre 2008, j’ai diffusé auprès de mes amis et contacts une réflexion sur ce que ces deux années m’avaient fourni comme expérience. Je m’y décris comme « catastrophiste », ayant réalisé que le résultat de mes 40 ans d’efforts était clairement un échec. La réalisation venait de mon retrait forcé d’interventions dans l’actualité et de la lecture et de la réflexion que ce retrait a permis. Ce m’était déjà assez clair, et depuis assez longtemps, que nous ne nous réussissions pas à contrôler nos excès, que nous aurions de la difficulté à obtenir une police d’assurance sur notre survie.

Éric Desrosiers m’a fait l’honneur d’une entrevue sur la façon d’évaluer cette situation que je juge catastrophique. L’entrevue a vite tourné vers le fondement de ce jugement, le constat que le «développement économique» et la «protection de l’environnement» sont irréconciliables dans le cadre du modèle économique actuel. Mon article sur le Jour de la Terre de la semaine dernière sur ce site, allant dans le même sens, a suscité beaucoup de réactions, de la tristesse à la colère. Beaucoup ont de la difficulté à se considérer «catastrophiste», voire de constater l’échec.

Dominait probablement un questionnement quant à l’avenir qui est devant nous et nos enfants. Josée Blanchette a décidé – c’était bien apprécié – de faire sa chronique sur le Jour de la Terre en ciblant ma mise en question de cet événement : «En attendant de cultiver mon propre jardin, je pleure de nous voir faire du surplace de façon aussi peu efficace.»

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Et David Desjardins de récidiver sur le thème, dans sa chronique récente. Lui fait une réflexion sur ces jeunes innocents peinturlurés en vert qui ont fait la une du Devoir. De mon coté, j’ai réfléchi sur ces jeunes et moins jeunes dans un bidonville de Nairobi où il y a beaucoup de noir.

Vous l’avez deviné : je suis lecteur du Devoir, lisant les autres journaux de façon tout à fait aléatoire et fasciné par l’ensemble de la couverture médiatique qui, d’une part, suit ce qui est devenue une idéologie de l’économie avec peu de capacité indépendante et, d’autre part, fait rapport sur les catastrophes sociales et naturelles un peu partout sur la planète qui découlent de dérapages de cette même économie, sans s’en aperçevoir.

Reste que notre vie parmi les riches de ce monde est bien trop belle pour passer notre temps à pleurer. Et assez curieusement, j’ai l’impression que le Québec constitue une petite nation à part, peut-être capable de confronter les effondrements qui viennent avec plus de succès que la plupart des autres. Je travaille actuellement avec un collectif d’auteurs qui cherchent à dessiner le portrait d’un Québec vivant dans le respect de la capacité de support de la planète, où les liens sociaux (pour poursuivre la chronique de Josée Blanchette) feront que la société serait même plus riche qu’elle ne l’est actuellement – si les décisions toujours refusées dans le passé sont prises. Vous en entendrez parler de temps à autre.

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Célébrons le Jour de la Terre?

En 1970, j’ai animé un kiosque au premier Jour de la Terre; j’y présentais les options: une bouteille de Coke à 20 usages ; une bouteille à usage unique; une  canette d’aluminium. En 1990, j’étais le sous-ministre adjoint responsable des programmes qui cherchaient à détourner nos déchets des sites d’enfouissement, entre autres par le recyclage. Aujourd’hui, je note que nous recyclons plus de déchets qu’il n’y avait de déchets quand j’étais sous-ministre, et cela à des coûts énergétiques assez importants – sans parler du fait qu’il y autant de déchets non recyclés qu’il y a 20 ans. Histoire d’un mouvement…

Les informaticiens, notre quotidien et le Jour de la Terre

Une inertie s’est installée dans le mouvement environnemental. À l’œuvre depuis les années 1960, et à force de maintenir la pression pendant ce long demi-siècle, les groupes ont développé leurs habitudes. Ils continuent à organiser les interventions, à faire les recommandations, finalement, à faire tout ce qui se fait depuis tout ce temps. Ile le font en oubliant le point de départ. On peut identifier ce point en se référant à la publication de Halte à la croissance! en 1972. Ce document, le fruit d’un travail d’informaticiens de haut calibre du Massachusetts Institute of Technology, fournit un portrait des tendances de cinq grands descripteurs clé de la civilisation : (i) les réserves de ressources non renouvelables, (ii) la production alimentaire per capita, (iii) la production industrielle per capita, (iv) les tendances démographiques et (v) la pollution. Ces cinq paramètres étaient décortiqués par plus d’une centaine de sous-paramètres reliés par des « boucles de rétroaction ». C’était en effet un «modèle» de notre civilisation, des services qu’elle fournit à l’humanité et de ses besoins pour le faire.

Halte! insistait sur des limites et sur une certaine urgence. Aux environs de 2025, suggérait son scénario de base, l’ensemble des systèmes marquant cette civilisation se mettait à s’effondrer. Au fil des ans, le mouvement environnemental semble avoir oublié cette tendance vers l’effondrement qui pourtant motivait sa naissance. Le quotidien du militantisme et de l’activisme, tout autant que du dialogue et du « lobbying », s’est installé, participant à l’inertie qui oublie aujourd’hui l’urgence. Nous ne sommes plus dans la situation qui prévalait dans les années 1960. Nous sommes rendus à une situation qui manifeste ce que craignaient les premiers à sonner l’alarme – nous sommes aux premières étapes de l’effondrement annoncé, comme la mise à jour de ses travaux (la figure) le LtG Turnermontre.

Autant les projections des savants informaticiens étaient complexes, fournissant un portrait schématique d’une civilisation que nous ne connaissons toujours pas bien, autant notre quotidien est simple et presque impossible à relier à la catastrophe planétaire en cours. Voilà le drame. Comme individus, nous cherchons à suivre les conseils, qui remontent loin dans le temps. Nous recyclons – mais nous produisons deux fois plus de déchets à recycler. Nous cherchons à restreindre la consommation nécessaire pour soutenir notre vie quotidienne – mais nous vivons dans des maisons deux fois plus grandes que celles du début du mouvement. Nous cherchons des autos qui consomment moins d’essence – mais nous conduisons deux fois plus de kilomètres qu’auparavant. Et ainsi va la vie, presque sans qu’on s’en aperçoive.

Nous ne voyons tout simplement pas que les pays riches ont évolué vers un modèle de civilisation qui exigerait trois ou quatre planètes pour se maintenir – et c’est un modèle qui laisse dans la dèche les trois quarts de l’humanité, dont le quotidien ne ressemble pas au nôtre. Dans leur quotidien, ces gens voient le nôtre (les télévisions abondent, même dans les pays pauvres) et n’acceptent pas un quotidien qui est si différent. Dans le bidonville de Kibera, à Nairobi, demeurent un million de personnes. Elles se branchent sur les réseaux d’électricité et d’eau destinés aux riches des alentours – et chaque poteau ici tient une antenne de télévision…

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Finalement, le mouvement environnemental nous conseille toujours les gestes quotidiens censés réduire au moins un peu notre empreinte. Il conseille toujours les gouvernements quant aux correctifs à apporter à leurs projets de développement plus ou moins bien conçus. Derrière tout cela, à notre insu dans notre vie quotidienne, se déferle un ouragan, presque littéralement, avec les changements climatiques sur le bord de s’emballer, figurativement, avec des rapports qui nous montrent que tous ces gestes, tous ces correctifs, s’insèrent dans le contexte d’une empreinte écologique déjà au-delà de la capacité de la planète à nous soutenir.

Chaque année, nous célébrons/manifestons lors du Jour de la Terre. Cette année, c’est le 44e exercice du genre, et c’est comme si nous nous préparions pour en célébrer le 50e. L’an dernier, un mouvement impressionnant et multi-colore réunissait un ensemble d’opposants à la dégradation écologique et sociale de notre époque. L’événement est resté cela, sans suite, sans reconnaissance de l’urgence, chaque composante retournant à ses propres ouailles – pour revenir cette année avec le même discours, absent le mouvement massif de l’an dernier qui a failli nous sortir de notre torpeur. Comme suivi de l’événement, les groupes ont endossé la croissance verte par leur plateforme électorale d’août dernier, et plus récemment, le SWITCH formalisait encore une approche comme celles des dernières décennies, pour concerter dans l’espoir d’un virage « vert » – une illusion.

Les informaticiens et les scientifiques ont fait leur travail, très bien. Le problème est notre quotidien, qui reste toujours un quotidien, incapable de voir cette Terre que les astronautes nous ont montrée il y a des décennies. Elle est fragile, flottant dans l’espace, ce qu’elle va faire peu importe ce que nous réussirons à faire, ou à ne pas faire.

Le temps n’est plus pour des événements annuels, pour se satisfaire des gestes quotidiens, pour le lobbying habituel. C’est le temps pour une vague bleue/verte/orange/jaune/rouge par laquelle la société civile se mette en marche, investisse les parlements avec une majorité de « poteaux », s’attaque à l’urgence.

 

 

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Mobilité durable: Les enjeux écologiques

Nos comportements ne l’indiquent pas, mais ce sont nos transports qui occasionnent les plus importantes quantités d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Ceux-ci à leur tour sont associés directement aux perturbations des systèmes atmosphères que nous connaissons comme les changements climatiques. Le secteur manufacturier de bon nombre de pays riches est fondé sur la production de véhicules de transport; suivant le modèle des pays riches, la Chine se propose d’en faire le « moteur » de son développement économique pour les prochaines décennies. Toute cette activité est intimement liée à l’industrie pétrolière, pour laquelle les transports représentent le plus important segment de marché. Dix des douzes plus importantes entreprises mondiales sont dans les secteurs de l’énergie fossile et de l’automobile, sur la liste du Fortune 500.

C’est dans un tel contexte qu’on vise ce qu’il est convenu d’appeler la «mobilité durable». La distinction est importante : la mobilité n’équivaut pas au transport, et tout l’avenir des milieux urbains à l’avenir va devoir refléter cette distinction. Il n’y aura vraisemblablement pas de «transport durable», mais il faut nécessairement que nous trouvions des modalités pour une «mobilité durable», puisque la survie de bon nombre dépend de leur mode de vie en ville. L’Observatoire de mobilité durable de l’Université de Montréal alimente la réflexion sur les multiples enjeux en cause, dont un article par Beaudet et Wolff qui situe le cadre pour la réflexion.

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Depuis plus de deux ans, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) travaille sur les différentes facettes d’une vision de mobilité durable conçue en fonction d’orientations économiques. Le plus récent rapport de recherche de l’IRÉC s’intitule justement «Politique industrielle : stratégie pour une grappe de mobilité durable». L’IRÉC analyse les transformations à venir dans les secteurs de l’énergie et des transports, et insiste sur l’idée que sa contribution constitue un programme pour la «reconversion écologique de l’économie». L’IRÉC prétend même que ses propositions contribueraient à une « économie verte ». Malheureusement, son approche ne tient tout simplement pas compte des véritables enjeux écologiques en cause.

(suite…)

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Avenir du secteur forestier

L’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec a tenu un atelier le 20 mars pour débattre de la rentabilité http://www.harveymead.org/2013/03/21/avenir-du-secteur-forestier/http://www.harveymead.org/2013/03/21/avenir-du-secteur-forestier/des investissements sylvicoles. Dans un contexte de grande préoccupation pour l’avenir de l’industrie, autant au niveau de la foresterie elle-même que de celui des scieries et des usines de pâtes et papiers, plusieurs interventions ont été faites pour fournir un portrait de la situation en forêt privée.  Une intervention en après-midi a précédé la mienneDiapositive01portant sur des travaux de planification sylvicole dans la Mauricie, en forêt publique, elle a insisté sur « l’indicateur économique » comme la référence clé pour la réflexion. En effet, le principal thème de la journée a été la primauté de la valeur sur le volume.

Mon intervention cherchait à souligner un contexte économique qui ne semble pas souvent pris en compte, défini par la « boîte noire » du MRN. Elle portait sur la redevance recherchée par l’État pour l’accès à la ressource publique que constitue la forêt en vue de son exploitation; un court résume en fournit les principaux éléments. Les données suggèrent que cette ressource est donnée par le MRN, fournissant à peine des revenus suffisants pour couvrir les coûts du programme de traitements sylvicoles dont l’objectif est d’assurer la pérennité de la forêt, en principe renouvelable. Clé dans le portrait, les coûts du transport dans la forêt publique représentent entre 40% et 70% de l’ensemble des coûts, en fonction d’une distance à la scierie de 164 kilomètres en moyenne, contre 51 dans la forêt privée. Comme dans tous les secteurs de développement, la hausse plus que prévisible du prix du pétrole dans les prochaines années est difficile à concilier avec le maintien du système d’exploitation commerciale en place, devant l’importance des coûts du transports dans le portrait.

Il s’agit, finalement, d’une présentation du travail sur le chapitre 2 du livre sur l’IPV.

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Développement durable: trop tard

Le comité du Québec du Groupe interministériel sur le développement durable du gouvernement fédéral a tenu son atelier biennal le 19 mars dernier à Montréal. Formé en 1995 et composé de cadres, surtout du secteur de l’environnement des différents ministères, le groupe a proposé comme thème « Le développement durable en période de transformation ». Diapositive1La présentation du Commissaire à l’environnement et au développement durable (CEDD), qui quitte son poste à la fin de mars, a permis de réfléchir sur le peu de progrès en la matière depuis la création du poste il y a 17 ans, tout en signalant la façon dont le gouvernement fédéral a réussi à placer l’ensemble de cet engagement sous la responsabilité d’une «agence non centrale», le ministère de l’Environnement. Il est désolant est de voir que le gouvernement provincial a suivi ce modèle, mettant la responsabilité pour la mise en oeuvre globale de la Loi sur le développement durable, sous la responsabilité de son agence non centrale, le ministère de l’Environnement.

Comme au fédéral, le Commissaire provincial relève du Vérificateur général, sous le nom de Commissaire au développement durable. Il faut noter que le CEDD par intérim Ron Thompson a signalé dans deux rapports, en 2007 et 2008, le peu d’écoute de la part du gouvernement fédéral des rapports précédents s’étalant sur 10 ans. Rien ne suggère que cette situation a changé pendant les cinq dernières années. Le Groupe fédéral, de par sa composition, souligne le détournement de l’attention des défis du développement lui-même en cherchant à résumer cela sous la rubrique de l’environnement – le nom même du CEDD souligne la confusion, prétendant distinguer l’environnement du développement (durable ou non).

J’ai déjà souligné dans un article récent les faiblesses qu’il faut noter face aux rapports des vérificateurs généraux (dont ceux des commissaires), faiblesses auxquelles je reviens régulièrement dans ce blogue. Dans ma présentation à l’atelier, je propose que le concept même de « développement durable » appartient désormais au passé, les quelque trois décennies pendant lesquelles nous avons essayé de promouvoir une intégration des enjeux sociaux, économiques et environnementaux ayant, finalement, abouti à un constat d’échec.

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Deuxième moitié de l’ère des métaux?

Au Forum sur les redevances minières tenu le 15 mars aux HEC, il était intéressant de voir se dérouler un débat assez vif mais manquant vraiment de contexte. La vérification de l’activité minière du coté gouvernemental que j’ai faite en 2008 comme Commissaire nous a fait découvrir que ni le MRN ni le ministère des Finances ne se posait la question pour laquelle nous cherchions une réponse : De quelle façon le développement minier s’insère-t-il dans la recherche du bien commun de la société? Dominic Champagne est intervenu pour poser la même question lors du Forum, et c’était encore difficile de voir un portrait global raisonnable se dessiner en réponse.DSC07580

Finalement, le Forum était un exercice qui rappellait celui de 2008, mais dont ce petit rapport de vérification arrive à un constat plus général. Tous les intervenants de l’industrie soulignaient que le secteur connaît globalement aujourd’hui (i) des hausses de coûts, (ii) des baisses de teneur dans les gisements, (iii) un accès de plus en plus difficile à ces gisements et (iv) des hausses de prix. Ce sont justement ces caractéristiques qui définissent, dans le secteur énergétique, les combustibles non conventionnels qui dominent le portrait désormais. Ces ressources marquent ce que l’on appelle « la deuxième moitié de l’ère du pétrole », qui nous met devant des défis énormes. (suite…)

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