Dérives énergétiques

Encore Découverte, qui présentait le 3 mars un reportage sur les gisements de pétrole de schiste au Québec. Pendant quatre minutes Charles Tisseyre fait un plaidoyer pour l’exploitation de cette ressource. Il serait difficile pour quiconque, dit-il, de renoncer à la fortune qu’offrent les gisements; ceux qui voudront protéger l’Île d’Anticosti « devront avoir de bons arguments », comme si le défi des changements climatiques appartenait à un autre discours. Il termine en moins d’une minute pour souligner sur un ton dramatique: que l’économie mondiale carbure sur les combustibles fossiles et c’est comme si l’humanité n’a rien fait pour encadrer cette économie face au désastre appréhendé.

Tisseyre se joint ainsi à un discours largement répandu qui voit les réserves des combustibles non conventionnels comme une sorte d’El dorado inespéré. Le discours est terriblement incomplet et finalement trompeur. J. David Hughes a récemment publié un rapport sur ces combustibles qui mérite lecture par quiconque cherche à comprendre le discours et ses défaillances. Hughes graphique 2 partieCe n’est même pas l’absence de prise en compte des changements climatiques qui importe ici. Les combustibles non conventionnels le sont parce qu’ils définissent en quelque sorte la deuxième moitié de l’ère du pétrole, dans laquelle nous nous trouvons. Ils arrivent sur la scène aujourd’hui parce que leur exploitation, et les technologies (dont la fracturation hydraulique, ou «fracking») qui la rendent possible, coûtent très cher, sont très énergivores et nécessitent un prix élevé du pétrole. Les gisements aux États-Unis atteindront leur pic vers 2017 et un effondrement vers 2019; comme dit Hughes, il s’agit d’une bulle d’une durée d’environ 10 ans, et ne suggère rien pour le long terme. Il ne s’agit pas d’une production semblable à celle de l’Arabie Saoudite, où les gisements produisaient sans de coûteuses interventions annuelles. Simplement pour maintenir la production de gaz et de pétrole de schiste aux États-Unis à leur niveau actuel, il faut forer annuellement environ 8600 puits chaque année, à un coût de $48 milliards, surtout dans les deux principaux gisements, dont le Bakken.

En contrepartie, les projections de l’Energy Information Administration (EIA) des États-Unis découlent de perspectives économiques qu’elle juge incontournables et de la demande pour l’énergie qui en découle. Le graphique de Hughes reproduit ici illustre la grossière incohérence entre de telles projections et la réalité. En dépit de l’arrivée du pic de pétrole (conventionnel), ces projections pour la consommation mondiale d’énergie prévoient une augmentation de 44% de celle-ci entre 2011 et 2035, période pendant laquelle la population augmentera de 23% et la consommation par personne de 14%. Pour soutenir cette croissance, il faudra l’équivalent de 71% de tous les combustibles fossiles consommés entre 1850 et 2011 – dans 24 ans… Les « réserves » non conventionnelles paraissent énormes, mais seule une petite fraction de celles-ci sera récupérable. Découverte suggère que seulement 5% du pétrole de schiste d’Anticosti pourra être éventuellement exploité, indication générale pour l’ensemble de ces réserves.

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Boum minier, un piège?

Soixante années de développement ont livré aux pays riches un niveau de vie qui est l’envie de l’humanité. Elles ont par contre progressivement manifesté, à travers le temps, des crises environnementales et sociales croissantes. L’empreinte écologique fournit une première mesure de ces crises en indiquant que nos dépassons par trois fois la capacité de la planète à soutenir notre activité au Québec.

Le PIB que nous utilisons comme guide pour une bonne partie de nos choix politiques ne mesure pas ces crises. Les économistes écologiques proposent le recours à l’Indice de progrès véritable, qui part de notre expérience positive des dernières décennies, refletée par la partie du PIB qui mesure notre consommation, mais en soustrait le coût de ce qui la permet en termes de ressources ainsi que de milieux pour la disposition de nos déchets. L‘IPV représente l’établissement d’un bilan des actifs et des passifs du développement dont l’objectif devrait être reconnu par tous.

Pour le Québec, le calcul de cet IPV suggère que le PIB surestime notre « bonheur » par un facteur de trois. L’empreinte et l’IPV reconnaissent donc les « effets pervers » de notre activité économique et, à sa base, de notre surconsommation. C’est dans un tel contexte qu’il faut aborder les débats en cours sur la façon de gérer ce qui semble être un « boum minier » et un potentiel important pour le développement économique fondé sur les ressources non renouvelables.

Approche au « boum minier »

Expéditions de cuivreOn peut comprendre une partie du défi en cause en pensant à ce que nous avons fait avec le cuivre, dont la production a diminé de 83 % avec l’épuisement des gisements, une situation qui a abouti au lancement d’un Plan Cuivre . Ou bien nous procédons comme beaucoup l’ont fait, en présumant qu’il y aura toujours d’autres ressources que nous n’aurons qu’à trouver, ou bien nous procédons en reconnaissant que nous allons épuiser nos réserves et nous trouver appauvris par après. Pour une multitude de raisons, c’est presque de l’inconscience que de procéder selon la première approche.

En prenant la deuxième approche, nous devons oublier donc l’idée que l’activité générée par l’exploitation suffit à répondre à nos besoins et se justifie ainsi. Elle va terminer, et pour mieux saisir l’importance d’une telle situation, nous n’avons qu’à regarder la frénésie avec laquelle tous cherchent aujourd’hui de nouvelles réserves de pétrole et de gaz – et de métaux. Nous avons exploité d’abord les gisements riches et faciles d’accès, et sans avoir préparé l’événement, nous nous trouvons aujourd’hui avec un prix pour les ressources non renouvelables « non conventionnelles » qui réflète la rareté croissante des réserves conventionnelles. L’accent est toujours sur les ressources énergétiques, mais les réserves des métaux deviennent de plus en plus non conventionnelles aussi. Ce prix élevé gruge directement dans notre capacité de faire autre chose, de continuer à maintenir notre bien-être. (suite…)

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La crédibilité des vérifications et des audits mise en question

Observations xii07

Surprenante cette intervention de spécialistes qui met en question certains dogmes face aux audits dans le secteur public. Avec le titre « L’audit dans le secteur public : le risque d’une illusion de contrôle » dans Le Devoir du 12 février 2013, les auteurs mettent l’accent sur la grande qualité des vérifications, la documentation rigoureuse de tout constat fait, et sur la faiblesse que cela souligne, l’incapacité de mettre en évidence ce qui n’est pas ainsi documenté. Ils critiquent avec raison le fait que le risque d’illusion de contrôle par les audits « est entretenu par une certaine obstination de la part des dirigeants politiques à ne pas vouloir reconnaître les limites de l’audit ». Les rapports du VG, pour prendre cet auditeur, donnent « une impression de sécurité, de transparence et de crédibilité », mais les révélations de la Commission Charbonneau suffisent « pour réaliser avec lucidité que les promesses liées à l’audit dans le secteur public sont menacées de se transformer en illusion ».

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En foresterie, la limite nordique actuelle n’est déjà pas une limite rentable

Pendant les années 1990, le ministère des Ressources naturelles a identifié une «limite nordique» définissant l’extension DSC04879maximale de l’exploitation forestière. Il le faisait dans un cadre ciblant le respect d’objectifs écologiques, soit la capacité de croissance productive et de régénération des forêts après coupe. Lors d’une émission de Découverte le dimanche 20 janvier dernier, des chercheurs en foresterie de l’Université du Québec à Chicoutimi UQAC) sont intervenus pour promouvoir des projets d’extension de la limite nordique bien plus au nord que la limite actuelle.

Ces interventions sont surprenantes, même si elles se font dans un contexte où l’UQAC est reconnue généralement pour des interventions en ce sens. Lors de l’émission, la présentation par l’ensemble des intervenants de phénomènes de changements dans les écosystèmes de la taïga, aux limites de la forêt boréale, était convaincante. Ce qui l’était moins, voire pas du tout, était la prétention des chercheurs du Centre de recherche sur la Boréalie et du Consortium de recherche sur la forêt boréale commerciale, à l’encontre de l’avis des autres, qu’il faut (i) arrêter la progression de la taïga vers le sud et (ii) transformer les éclaircies de la forêt boréale par des plantations. Une absence fondamentale d’analyse économique marquait ces propositions.

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Stabilisation de la population

À travers les nombreux bilans qui cherchent constamment à expliquer la faible croissance dans les pays richesDSC01677 et l’absence de reprise, on voit poindre souvent une sorte de nostalgie pour l’époque des baby-boomers. C’était une époque où la croissance démographique alimentait la croissance économique que tous suivaient, et qui semblait, tout au long des Trente glorieuses, créer une richesse impressionnante. Les économistes suivaient le PIB comme indicateur de cette croissance, et regardaient dans le rétroviseur les rapports de plus en plus fréquents sur quelques problèmes écologiques qui semblaient en résulter.

Il me paraît pertinent de ressusciter un texte que j’ai écrit en lisant l’éditorial de Jean-Robert Sansfaçon dans Le Devoir du 10 février dernier. Il n’y a pas de raison de croire que le Québec, voire l’ensemble des pays riches, vont retourner à l’époque des baby-boomers et reprendre une croissance démographique contre presque toutes les tendances actuelles. Par contre, on voit partout une sorte de réflexe bien ancré qui voit dans l’immigration le salut.

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Fin de la croissance

La chronique d’Éric Desrosiers dans Le Devoir cette semaine portait sur «la fin de la croissance ». Il faisait allusion à un rapport produit par Robert Gordon du National Bureau of Economic Research intitulé «Is U.S. Economic Growth Over? Faltering Innovation Confronts the Six Headwinds» » À première vue, et après lecture de la chronique, le rapport semble soutenir les préoccupations quant aux limites à la croissance inhérentes dans sa dépendance aux facteurs naturels, aux écosystèmes. Il n’en est presque rien.

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