Le glouton impénitent et la course de la Reine rouge

C’est le terme qu’Yves-Marie Abraham, un des leaders du mouvement pour la décroissance au Québec, utilise pour caractériser la position des promoteurs du modèle économique capitaliste qui domine nos sociétés depuis plus de deux cents ans. La réflexion se trouve dans l’épilogue de Creuser jusqu’où : Extractivisme et limites à la croissance, édité par Abraham et David Murray. L’épilogue, intitulé «Moins d’humains ou plus d’humanité?», semble constituer une critique de fond, en quelques pages, du positionnement du mouvement environnemental depuis ses débuts et un plaidoyer pour une approche à la décroissance qui valorise ce qu’Abraham appelle une «utopie anarchiste».Reine rouge

Même si le texte est court, seulement une dizaine de pages, il donne du fil à retordre au lecteur, et pousse à une réflexion dépassant largement les attentes pour un épilogue! De par la question posée, qui a une réponse qui paraît évidente – les deux! – il semblait clair dès le début qu’Abraham cherche à déranger, à proposer une réflexion de fin de livre qui n’est pas une simple synthèse. J’ai fait part de ma réflexion sur ce petit texte à l’Association humaniste du Québec lors d’une soirée de rencontre le 18 février dernier. Le titre du texte me faisait croire que cela pouvait rejoindre leurs préoccupations.

Des besoins illimités

Abraham esquisse une critique des écologistes, comme des économistes et de nombreuses religions, dans leur façon d’aborder le défi de l’extractivisme, c’est-à-dire celui des impacts de la production industrielle au cœur de notre développement économique et qui semble nous amener à un effondrement de la civilisation elle-même. Les mouvements environnemental et social appliquent des approches qui depuis des décennies reconnaissent, suggère-t-il, les fondements de notre modèle économique et vont donc dans le sens du glouton impénitent.

Pour Abraham, ces fondements peuvent être liés à un constat d’Adam Smith à l’effet que dans «le désir d’améliorer notre sort … il n’y a peut-être pas un seul instant où un homme se trouve assez pleinement satisfait de son sort pour n’y désirer aucun changement ni amélioration quelconque». Du postulat ainsi exprimé, Abraham conclut que pour les promoteurs du modèle, tout comme pour ceux qui cherchent seulement à en mitiger ses nombreux impacts, la révolution néolithique et la révolution industrielle étaient «inscrites dans la nature de l’Homme en tant qu’elles permettent d’accroître les moyens de satisfaire ses besoins infinis» (371).

Abraham s’appuie pour ce premier élément de son texte sur des critiques en règle du livre de Jared Diamond de 2004, Effondrement : Comment les sociétés choissent d’échouer ou de réussir[1]. La perte de jugement et d’analyse rationnelle de la part des auteurs cités enlèvent tout intérêt quant à un apport quelconque de ces sources à l’argument d’Abraham, qui n’en a pas besoin. Ce qui est frappant est de voir ces auteurs cibler un thème quand même présent subrepticement dans le texte d’Abraham, soit celui qui voit la croissance démographique de l’humanité constituer un défi important. Le sous-titre de l’article d’Abraham suggère que ce n’est pas le cas, et il reste presque un mystère pourquoi il voit la situation ainsi.

Abraham passe ensuite à un survol des types d’interventions de ceux qui acceptent, consciemment et explicitement ou non, les fondements du modèle économique. On peut difficilement être plus réducteur par rapport aux intervention du mouvement environnemental au fil des décennies : les interventions représentent soit des discours moralisants (et donc n’ayant pas beaucoup de pouvoir de conviction, croit-on sous-entendu), soit des manipulations en cachette d’un esprit «écosuicidaire» pour l’amener à des positions qui seraient rejetées si reconnues, soit des efforts d’arrêter la croissance démographique. Abraham associe ce troisième type d’intervention – largement absente dans l’histoire du mouvement environnemental sur le terrain mais présentée par Abraham comme considérée souvent la plus efficace ou la seule efficace – au postulat de Smith : «S’il est vraiment dans la nature de l’humanité de chercher à satisfaire toujours plus de besoins, la seule manière d’empêcher la raréfaction absolue de ressources naturelles vitales, c’est que le nombre de représentants de l’espèce cesse d’augmenter et même diminue pendant un temps» (372).

Abraham propose que cette intervention remonte à l’idée de «la tragédie des communaux» proposée par Garrett Hardin en 1968. Il est vrai qu’il y a eu beaucoup de reconnaissance de cette idée, à l’effet que les êtres humains se trouvent dans une situation de concurrence permanente pour les ressources et cela les amène à détruire leur propre environnement, pour aboutir à l’effondrement de leurs sociétés. C’est la position attribuée faussement à Diamond, mais qui est plus proche du vrai pour Hardin. En effet, il semble que devant une situation de surpopulation de l’humanité, un contrôle de ses nombres semble s’imposer, et c’est ce qui est proposé par Hardin.[2]

La «goinfrerie atavique» des économistes (et des écologistes)

L’approche qu’il attribue aux économistes et aux écologistes

présente deux avantages très appréciables : elles n’impliquent aucune remise en question fondamentale de l’ordre en place et n’imposent d’efforts véritables qu’aux habitants des pays à forte croissance démographique, c’est-à-dire aux pays pauvres. Elles permettent ainsi aux plus riches occidentaux … d’espérer pouvoir continuer à s’enricher, notamment du fait de l’exploitation des ressources naturelles de ces pays du Sud, sans craindre d’avoir à partager ces richesses avec un nombre grandissant d’humains ni à subir les conséquences d’un effondrement civilisationnel (373).

C’est presque du mépris pour ces intervenants, mais il décrit quand même la situation imposée par le modèle économique sur l’humanité, incluant les inégalités que nous reconnaissons de plus en plus, et acceptée par les théoriciens et (implicitement) par les militants qui oeuvrent au sein du système. La «goinfrerie atavique» (371) qu’Abraham juge au cœur de ce modèle économique, décortiqué dans ses implications par Halte, était presque évidente en 1972 et, en jugeant par le calcul de l’empreinte écologique, était à un point décisif vers 1980, quand l’empreinte s’approchait des limites de la capacité de support de la planète.

Une alternative flotte en arrière-fond de ceci : si l’être humain utilisait beaucoup moins de ressources, ses nombres ne seraient pas un problème. Abraham insiste que l’être humain n’est pas le glouton impénitent décrit par Smith. Il cite un intéressant passage de Sahlins (374) pour suggérer que «l’attitude du chasseur» est une attitude au travail de l’économie précapitaliste où ce n’est pas du renoncement à des besoins d’appropriation ou l’abandon de désirs qui sont en cause dans l’effort d’intervenir contre le système actuel. «Les chasseurs-collecteurs n’ont pas bridé leurs instincts matérialistes; ils n’en ont simplement pas fait une institution». (374)

Une grande qualité d’Yves-Marie Abraham est d’avoir bien saisi les fondements du système en place depuis la Deuxième Guerre mondiale (pour simplifier) et de mieux voir que d’autres que ce système ne peut pas agir autrement que comme Halte le décrivait dans son scénario de base. Le modèle économique fondé sur la production industrielle  est en fait devenu un cadre incontournable pour l’ensemble des activités des sociétés; plutôt qu’une approche favorisée mais à améliorer, il est devenu une approche totalisante.

Capitalisme et Utopie anarchiste

Pour expliquer notre situation actuelle, Abraham remonte aux débuts du capitalisme industriel dans la création de la bourgoisie. Il esquisse l’évolution en partant de «l’accaparement des moyens de la production, forçant de plus en plus la majorité à subvenir à ses besoins en achetant des marchandises. Mais pour ce faire, il lui fait de l’argent … il vend la force de son travail à un capitaliste … qui ne l’achetera pas à moins que cela puisse lui permettre de faire un profit : le travail accroît le capital. Pour cela, il faut que toujours plus de marchandises soient produites et vendues, et les salariés ont donc eux aussi finalement intérêt au succès des capitalistes» (375-376). À l’encontre de l’interprétation marxiste de la situation, celle d’Abraham insiste sur les mauvaises orientations sur le plan écologique de cette vision indirecte de l’extractivisme.

Abraham ne convainc pas plus dans son portrait de l’être humain comme proche du chasseur-cueilleur que dans celui du goinfre. Il reste que son texte souligne l’importance de reconnaître l’importance du goinfre dans notre vie contemporaine dans les pays riches. Abraham passe à sa conclusion pour insister que dans la perspective de sa critique du capitalisme, «le salut de l’espèce humaine ne passe donc pas par une réduction du nombre d’humains sur Terre mais plutôt par l’avènement de sociétés réellement humaines» (377). Il rejoint ainsi ses références qui ne tolèrent pas des atteintes à la libre reproduction humaine, et il n’est absolument pas clair pourquoi.

Contrairement à sa vision et à celle de ces sources, tout nous montre que nous sommes trop nombreux pour les capacités de la planète à nous maintenir dans l’état actuel de l’humanité, même à un niveau proche de celui de paysan: l’empreinte écologique de l’humanité, même avec des milliards de pauvres, est une fois et demi la capacité de support. Tout au long de Halte, qu’Abraham semble estimer pertinent, les auteurs mettaient déjà en évidence le défi démographique dans de multiples manifestations, et insistaient que des limites s’imposent.

Une citation d’un autre auteur (P.M.) passe proche de suggérer une explication. C’est celle d’une «fort intéressante utopie anarchiste» : «La Machine Travail Planétaire doit être démantelée soigneusement car nous ne voulons pas mourir avec elle. N’oublions pas que nous sommes une partie de la Machine et qu’elle fait partie de nous-mêmes» (377). Autant mon intervieweur en 2013 insistait qu’il préférerait voir l’humanité disparaître plutôt que de la voir sauvée par un gouvernement dictatorial (voir la note 2), autant Abraham semble suggérer qu’il n’y a pas d’avenir dans les interventions qui cherchent à sauver la planète et ses écosystèmes et que nous sommes aussi bien de foncer dans une approche utopique vouée quand même à l’échec.

Indépendamment de la suite logique, il fournit dans son dernier paragraphe une esquisse de la société qu’il faut viser :

Les fondements du capitalisme constituent pour nous des évidences. Qui ose en effet aujourd’hui remettre en question la propriété privée? Qui appelle à l’abolition du salariat? Qui demande la suppressioni du prêt à intérêt? Qui réclame l’interdiction de l’entreprise privée à but lucratif? Centrales au XIXe siècle, ces revendications ont pratiquement disparu du débat politique contemporain et n’apparaissent jamais ou presque dans les discours de nos stratèges révolutionnaires. Il va bien falloir pourtant les porter à nouveau, si nous voulons conserver une petite chance de provoquer la fin du capitalisme avant la fin du monde. (377)

Ces «stratèges révolutionnaires» semblent inclure les écologistes.

Il ne paraît pas évident que ces revendications se trouvent dans les différents articles de Creuser jusqu’où? : Extractivisme et limites à la croissance. L’article de Normand Mousseau, presque le seul à traiter des enjeux écologiques, soit de l’énergie, ne vient même pas proche. Il semble s’y trouver pour contester la position d’intervenants à l’effet que, «si l’on espère la décroissance, il ne faut pas l’attendre d’un épuisement des ressources fossiles». En dépit d’un regard plutôt positif envers les travaux en cause, dans sa contribution au livre, Abraham semble également contester les tendances lourdes projetées par Halte, soit un effondrement dans le sens de Diamond. Celui-ci, à son tour, note que Halte s’est déjà montré erroné dans ses «prédictions»…

Contre la course de la Reine rouge

Autant «le glouton impénitent ressemble à s’y méprendre au pêcheur biblique», selon Abraham, autant «la situation désespérée de l’Empire romain ressemble à s’y méprendre à la nôtre», selon Ugo Bardi (p.347) dans son livre complémentaire et en plus direct à Creuser. Le grand pillage de Bardi reste centré pendant 400 pages sur l’extractivisme dans ses implications directes, tout en refusant, cela de la part d’un auteur qui a écrit un livre complet pour le défendre, les implications de Halte. Son dernier chapitre, sur l’avenir de la civilisation, décrit notre situation comme celle de la course de la Reine rouge dans À travers le miroir de Lewis Carroll, l’auteur d’Alice au pays des merveilles: nous courrons pour rester en place…

Nous aboutissons aujourd’hui à l’effondrement qui s’est annoncé et, ce faisant, à la nécessité de l’approche d’Abraham, ou de ceux ciblant la transition sociale, ou d’autres dont les perspectives restent encore floues. Finalement, son rejet de «bon nombre d’écologistes» est un appel à une nouvelle alliance qui reconnaît l’être humain comme un être matériel, avec ses besoins (limités), ainsi qu’un être social, avec ses revendications, capable d’agir plutôt que de tout simplement subir l’effondrement. À la lecture du court texte de l’épilogue, on se trouve confronté à une présentation qui semble constituer bien plus une introduction qu’une conclusion, soit l’étalement de principes pour préparer une confrontation de l’effondrement dont il est question dans de nombreux écrits marginaux de nos temps. Il faut moins d’humains (finalement, moins d’humains gourmands en craignant que l’effondrement aboutisse à moins d’humains tout court) et plus d’humanité.

 

[1] Le premier attribue à Diamond des positions sur la démographie et sur l’immigration qui faussent presque complètement les analyses de ce dernier. «L’inquiétante pensée du mentor écologiste de M. Sarkozy» de Daniel Tanuro  montre comment le débat sur ces questions peut aboutir à une perte de sens critique de la part d’un auteur présumément plus objectif normalement. Le deuxième, «Ecological Catastrophe and Collapse : the Myth of Ecocide on Rapa Nui» (21-44) montre la volonté d’un groupe d’anthropologues de décrire les positions de Diamond sur l’effondrement de la société de l’Île de Pâques selon des principes qui déforment grossièrement son travail d’anthropologue «amateur», en lui attribuant la position à l’effet qu’un trait «d’écocide» est inhérent dans l’être humain et la clé de tous les effondrements décrits dans le livre. Diamond aborde le sujet en faisant une multitude de distinctions, en faisant ses analyses selon une multitude de critères et – curieusement négligé par ce texte – en insistant sur le fait que de nombreuses sociétés réussissent, ne s’effondrent pas. Le troisième texte, l’introduction au livre Questioning Collapse : Human Resilience, Ecological Vulnerability and the Aftermath of Empire (p. 1-15) dont le deuxième texte est le premier chapitre, continue dans le même dérapage. «Why We Question Collapse and Study Human Resilience, Ecological Vulnerability, and the Aftermath of Empire» semble vouloir éliminer comme sans intérêt les problématiques associées à la dégradation des ressources en insistant sur l’être humain et le fait qu’un certain nombre d’individus a survécu l’effondrement décrit par Diamond. Pour les anthropologues, cet effondrement n’en est pas un, puisque « »collapse » – in the sense of the end of a social order and its people – is a rare occurrence». Diamond propose une autre compréhension du concept, tout à fait en ligne avec son sens habituel : «une réduction dramatique de la population humaine et/ou de la complexité politique/économique/sociale, sur une zone étendue et une durée importante».

[2] Abraham propose que c’est également la position de Diamond, qui aurait indiqué (je ne trouve pas de passages dans son livre sur la question, mais je puis les avoir manqués) «des propos louangeurs sur le contrôle démographique imposé par l’État chinois pour éviter toute «surpopulation» (guillemets d’Abraham) sur son territoire» (373). Il est difficile de comprendre comment on peut proposer qu’il n’y avait pas une telle menace, alors que les terres agricoles de la Chine pourraient suffire à nourrir peut-être un milliard de paysans, alors que le pays se dirigeait vers une population de deux milliards d’habitants. Je me trouvais confronté à un positionnement similaire il y a deux ans, quand un journaliste qui m’interviewait a déclaré, face à mon appui au geste du gouverement chinois, qu’il aimerait mieux voir l’humanité disparaître que de la voir sauvée par une dictature.

NOTE :

Le lendemain de la publication de cet article, j’ai découvert qu’André Desrochers consacre le dernier article de son blogue à la critique de Diamond par les anthropologues. Pour avoir relu Collapse tout comme les travaux des anthropologues, j’aboutis au constat qu’il y a des corrections possibles sur plusieurs éléments du travail de synthèse de Diamond, mais sa réflexion de base, complètement déformée par les anthropologues (voir la note 1), reste tout à fait convaincante : un processus de développement de la société humaine sur l’île a abouti à l’effondrement de la civilisation. Les rats faisaient partie de l’analyse de Diamond et il constate que «toutes les noix de palmiers découvertes sur l’île montre les signes de morsures par les rats et n’auraient pas été capables de germer»; ce qu’il faut ajouter, c’est qu’il y avait plus de 20 autres espèces d’arbres utilisés par les habitants de l’île, et Hunt ne suggère pas que les rats sont responsables de leur disparition. La principale critique des anthropologues, finalement un biais, est à l’effet qu’il n’y a pas eu d’effondrement par «écocide», mais par génocide. Finalement, on voit le dérapage lorsque une conviction de base en amont des travaux scientifiques – ici, la priorité à donner aux humains plutôt qu’aux écosystèmes – fait dévier l’analyse scientifique.

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Et que faire donc maintenant, après la COP21 ?

Petit survol d’interventions marquant les stratégies post COP21 pour situer le défi. Je reviendrai sur ces interventions et ces stratégies dans des articles à venir.

J’ai récemment rendu hommage à Maurice Strong, un de ces personnages des dernières décennies qui a marqué les efforts de corriger le tir dans notre développement, cela en travaillant à l’intérieur du système. Je viens de terminer le livre d’un autre de ces personnages, Gus Speth, décrit comme le «ultimate insider» de par ses efforts de corriger le système de l’intérieur. Dans un geste qu’il voulait contraire à toute sa carrière, Speth, en compagnie de Naomi Klein et plusieurs centaines d’autres, a été arrêté le 20 août 2011 pour désobéissance civile, manifestant son opposition au pipeline Keystone XL.

Il a publié ce dernier livre en 2012, l’année après l’arrestation. America the Possible : Manifesto for a New Economy représente son effort de souligner la nécessité de changer le système et de fournir quelques éléments d’un nouveau. Aussi intéressant soit-il, le livre frappe par sa manifestation de la difficulté de sortir du système dans sa propre pensée, aussi informée qu’elle soit ; même l’arrestation reste dans le cadre des règles en place. Et le défi pour Speth est même limité, «seulement» celui de réorienter les États-Unis. Finalement, le livre est un cri de cœur, un cri d’espoir et une sorte de survol de l’ensemble des interventions sur le thème du livre.

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Speth centre le survol sur le concept de «progressiste» qui le décrit. Ceci est intéressant, en voyant la progression inattendue de Bernie Sanders dans la campagne pré-électorale américaine où ce dernier, ni Démocrate ni Républicain mais sénateur indépendant, s’est lancé dans la course comme progressiste (en se distinguant ainsi de Hilary Clinton), et obtient des appuis impressionnants. Une victoire de Sanders dans les primaires, et ensuite dans la course à la présidence, représenterait probablement la sorte de chose que Speth cherche.

À la lecture du livre, on est quand même plutôt frappé par l’envergure des défis, meme en pensant seulement aux États-Unis ; on ne peut même qu’être découragé par la narration de ces défis dans les trois premiers chapitres, tout comme dans celui sur l’avenir de la démocratie dans le chapitre 8. Finalement, on voit une sorte de mise à jour de la vision apocalyptique de Maurice Strong dans son autobiographie de 2001, et presque aussi découragé – même pour un dur à cuire comme moi, qui n’aurait pas survécu autrement à des années de militantisme plutôt infructueuses. Ses propositions en réponse frôlent le lyrique.

Strong n’a pas changé d’approche à ses efforts d’intervenir dans les activités à l’échelle internationale après la publication de son autobiographie. Il faut quand même croire qu’il retenait son idée que «seul la chance ou la sagesse» permetrait d’éviter l’apocalypse. Avec son geste de désobéissance civile, Speth fait un pas de plus que Strong dans son intervention, soulignant avec insistance que le modèle de croissance économique n’a pas d’avenir. Reste que son livre montre tellement bien l’envergure des défis (pour le répéter, seulement pour les États-Unis…) que l’on doit bien soupçonner que la chance et la sagesse représentent tout ce qu’il voit, vraiment, comme possibilités.

Sauf que Speth abandonne, dans sa rédaction, une prise en compte de contraintes telles l’empreinte écologique fournissant un indice du défi raisonnablement précis, le budget carbone maintenant quantifié et les réductions nécessaires de GES qu’il impose, aout comme leurs réallocations. Finalement, pas plus que Strong, il ne voit pas d’issue pour sa réflexion.

Progressiste au Québec ?

À mon niveau, mon parcours ressemble pas mal à ceux de Strong et de Speth, dans le sens que j’ai passé plusieurs décennies à essayer de travailler à l’intérieur du système, atteignant les limites quand j’occupais les postes de Sous-ministre adjoint au développement durable et à la conservation (1990-1991) et de Commissaire au développement durable et Vérificateur général adjoint (2007-2008). Probablement représentatif d’un certain bémol dans le parcours, comprenant 40 ans au sein du mouvement environnemental dans la société civile, j’ai démissioné du premier poste et j’ai été démissionné du deuxième.

Speth ne mentionne même pas dans son livre les travaux de Halte à la croissance, surprenant en voyant la masse de références qu’il fournit. Son appel pour un mouvement progressiste, qui n’arrivera vraisemblablement pas face aux obstacles, s’insère quand même dans un autre appel. Et il souligne que le mouvement environnemental a toujours de la difficulté aux États-Unis à s’intégrer dans le mouvement politique que Speth croit nécessaire. Il y a une absence de liens entre les libéraux (progressistes politiques) et les environnementalistes ; les premiers devraient reconnaître l’urgence (à court terme) des crises décrites par les deuxièmes, et ceux-ci la nécessité de changer d’approche.

My sad conclusion is that the environmental community is stuck in a rut and losing. If we just keep doing what we’re doing now, without any growth in the economy and population, we’ll ruin the planet. And yet the environmental community is still mainly working within the ambit of the things that succeeded in the ’70s.

Je dois bien constater que mes propres propos insistant sur l’échec du mouvement environnemental et de mes efforts pendant un demi-siècle ne soulèvent pas beaucoup de sympathie parmi mes anciens collègues du mouvement. En effet, j’ai même beaucoup de difficulté à m’impliquer dans les nombreux «dossiers» qui perdurent ou qui arrivent sur la scène, autrefois et pendant longtemps une passion et un object d’implications à temps plein.

En même temps, j’essaie de maintenir le principe que je puis me tromper dans ma lecture de la situation, dans ma confiance dans les travaux de Halte à la croissance. Je retourne régulièrement donc aux efforts des différents intervenants, dont les groupes, les professionnels et les universitaires, à confronter les défis et offrir des pistes de solution. En effet, le mouvement environnemental a toujours et surtout trouvé les sources pour ses activités, pour ses orientations, dans le travail des scientifiques.

Les fondements de nos interventions

Je suis les travaux du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) depuis maintenant un an et demi, voyant dans ces travaux, qui partent des calculs du GIÉC et du budget carbone en cause dans les efforts de réduire radicalement nos émissions de gaz à effet de serre (GES), une approche qui mérite attention. Le DDPP a maintenant publié une version complète (mais non finale) de son travail pour 2015 et, pour la première fois, on peut y trouver une analyse de sa façon de tenir compte du budget dans les allocations faites aux 15 pays pour lesquels ses équipes ont produit un DDP – cela en insistant sur le maintien de la croissance économique jugée essentielle par l’ensemble des décideurs. Sans une allocation explicite, on y trouve « a ‘downward attractor’ of 1.7 tonnes per capita based on equal tonnes per capita in 2050.  China and India are over, the Europeans under, and Canada about on par. There was recognition that some countries that made emissions intensive materials (e.g.steel and cement) would have higher per capita emissions as a result, to be accounted for at the global level » (communication personnelle d’un des responsables).

Un peu en contresens, j’ai lu le récent rapport du West Coast Environmental Law (WCEL) sur le budget carbone, où le travail vise à situer les défis pour le Canada dans son effort de respecter l’accord de Paris et des réductions d’émissions qui permettront de maintenir la hausse de température en-dessous de 2°C. En dépit du fait que les calculs du GIÉC représentent la meilleure source que nous avons pour l’effort, en ayant quantifié, WCEL aborde le sujet en laissant de coté ce budget carbone calculé pour l’humanité (même s’il y fait référence), limitant le terme pour la quantité des émissions que le Canada doit essayer d’éliminer, mais de toute évidence perdant les balises qui s’imposent. WCEL propose même de faire intervenir les enjeux économiques dans le travail pour décrire l’éventuel plan d’action qui serait approprié pour le Canada, au risque de voir compromises les données scientifiques, dont celles du GIÉC.

Dans une autre intervention, Greenpeace International, en collaboration avec le Global Wind Energy Council et Solar Power Europe, a publié récemment un travail impressionnant qui fait le portrait du potentiel d’ici 2050 de fournir une énergie à l’humanité qui serait 100% renouvelable (ou un peu moins). Un premier survol ne me permet pas de voir si et comment le budget carbone est respecté par les deux scénarios révolutionnaires esquissés (une recherche ne trouve que 4 référeGreenpeacde 100%nces au budget carbone et celles-ci ne fournissent pas de réponses à la question). Ni une recherche ni un examen de la table des matières ne permet pas de voir si le travail cherche à atteindre une convergence dans l’utilisation de l’énergie par les quelque 9 milliards de personnes prévues; un coup d’oeil aux résultats pour l’OCDE et l’Afrique suggère qu’il y a des différences importantes qui restent en 2050 dans la consommation d’énergie par les différentes populations du monde. En parallèle à cela, Clean Technica a également produit les résultats de travaux proposant que jusqu’à 139 pays pourraient atteindre 100% énergies renouvelables. Comme pour le travail du DDPP, il n’y a aucune raison de vouloir refaire ces travaux, que même les auteurs reconnaissant comme dépendant de nombreuses hypothèses. L’intérêt est ailleurs, en lisant les documents. Comme pour le DDPP, Greenpeace cherche à faire le portrait d’un monde en 2050 qui serait fondé sur le maintien pendant 35 ans du modèle économique actuel, un monde qui aura doublé son activité économique (pour le DDPP, la croissance serait de 350%).

Le document inclut comme partie intégrante du travail des estimations des coûts pour l’ensemble des interventions touchant la production d’énergie. Dans un contexte qui semble escamoter une allocation du budget carbone, voire un portrait en termes sociaux des différents pays du monde en 2050, le lecteur cherche à voir comment les auteurs abordent les inégalités actuelles entre pays qui risquent de saborder tout effort de concertation face aux changements climatiques; le maintien du modèle économique actuel risque de maintenir ces mêmes inégalités. Conclusion préliminaire : le travail est un travail technique et sectoriel, cherchant à voir comment l’énergie renouvelable pourrait permettre de maintenir le développement économique et social que nous connaissons, pendant les 35 ans à venir. C’est à d’autres, ou les mêmes dans d’autres démarches, à voir comment cela est compatible avec toute une autre série d’interventions cherchant à répondre aux crises de l’eau, de l’alimentation, etc. Je vais y revenir après avoir examiné les quelque 350 pages…

Et ici au Canada ?

Dans une autre intervention, Marc Jaccard de Simon Fraser University publie un papier sur les différentes mesures discutées en vue d’un plan d’action sur les changements climatiques. Il part de l’objectif établi par le gouvernement Harper, qui ne répond même pas à une attente que l’on peut juger acceptable, et montre que le coût des mesures nécessaires pour l’atteindre n’ont aucune commune mesure avec celles qui semblent proposées par les groupes qui travaillent sur les suites de l’Accord de Paris. Le coût du carbone, en 2030, serait de l’ordre de 160$, inacceptable sur le plan politique, juge Jaccard, à moins de l’introduire par une réglementation qui la cache plutôt que par une taxe ou un jeu d’échanges de droits d’émissions qui le met en évidence. Autre indication de l’ampleur des défis : un objectif pour la vente de véhicules personnelles en 2030 qui serait 70% électrique… Ce qui frappe est le caractère irréaliste des propositions, quelque chose que même Jaccard semble reconnaître – et cela, pour un objectif digne du gouvernement Harper.[1]

Le DDPC va plus loin, en partant de l’objectif de respecter le budget carbone du GIÉC. J’ai déjà parlé des travaux de l’équipe canadienne et l’intérêt est de partir maintenant de la récente mise à jour pour esquisser l’approche, les défis et ce que l’on pourra attendre d’un éventuel plan de mise en œuvre de l’Accord de Paris ici au Canada. À cet égard, une récente entrevue de David Suzuki au Huffington Post, «Si Paris a changé la donne, comment se fait-il qu’on parle encore d’oléoducs?», établit le ton qui définit les attentes. Le nouveau gouvernement Trudeau a déjà indiqué sa volonté d’aller dans le sens du DDPC en maintenant l’exploitation des sables bitumineux, et les débats sur les pipelines ne font que souligner l’absence d’analyse des implications d’un abandon de cette exploitation. La Fondation Suzuki au Québec intervient pour suggérer cela, en prônant le 100% renouvelables du rapport de Greenpeace International et même voit le Québec aller dans ce sens, en prenant au mot les récentes interventions de Philippe Couillard.

 

[1] Jaccard suggère qu’une approche réglementaire fournira de bien meilleurs résultats, et est plus réaliste, sur les plans environnemental, économique et politique, qu’une approche par une taxe carbone ou même par des échanges de droits d’émissions.

It’s the same in any jurisdiction that has significantly reduced emissions. Experts show that the carbon pricing policy in California, which Quebec has now joined, will have almost no effect by 2020. Ninety percent of that state’s current and projected reductions are attributed to innovative, flexible regulations on electricity, fuels, vehicles, buildings, appliances, equipment and land use. Even Scandinavian countries, famous for two decades of carbon taxes, mostly used regulations to reduce emissions. For example, the greatest CO2 reductions in Sweden happened when publicly owned district heat providers were forced to switch fuels.

Assez curiusement, Jaccard prône l’approche du mouvement environnemental critiquée par Yves-Marie Abraham et qui cherche a rendre implicite ce qui serait difficile à faire accepter de façon explicite – sauf qu’il prend l’exemple de la taxe carbone comme explicite, alors qu’Abraham suggère qu’elle est implicite…

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Fermes impossibles? – 2

L’Union paysanne a mené la charge, mais à Nature Québec nous avons également travaillé pour ramener la scène agricole du Québec à la prise en compte des fermes familiales vraies, actuelles ou à venir[1]. Bref rappel de quelques éléments du débat, de quelques contributions à la réalisation du portrait de l’avenir et une reprise d’une partie du chapitre de mon livre sur l’Indice de progrès véritable portant sur les enjeux touchant le secteur agricole et agroalimentaire. Complément au précédent article.

Et au Québec?

Écosociété a publié tout récemment La ferme impossible, de Dominic Lamontagne[2]. Le livre fournit le portrait des obstacles en place pour quiconque cherche, au Québec, de s’installer sur une «ferme impossible : 2 vaches, 200 poules et 500 poulets». Même quand on quitte le conflit entre l’agriculture industrielle et celle paysanne, les obstacles en place montrent la complexité de l’effort de relever les défis. C’est une reprise des débats qui perdurent depuis des décennies et qu’ont perdu l’Union paysanne et d’autres intervenants de la société civile face au monopole syndical en agriculture et, finalement, face aux pressions de la grande industrie agroalimentaire.

Enfants dans une rizière en Chine

J’en ai parlé, dans d’autres termes, dans un article de juillet dernier où il était question de souligner le travail du chapitre du livre Les indignés sans projets? (finalement abandonné) sur l’économie sociale et, en partant, sur le retour à la terre souhaitable. J’ai également souligné, en mars dernier, des regrets que le travail de l’IRIS sur la dépossession et l’intérêt de reprendre possession du territoire n’ait pas poursuivi son propre objectif pour décrire les conditions pour un tel retour à la terre, en complément à la description des processus de dépossession.

Il nous manque terriblement la vision de ce retour, celle des futures paysannes du Québec, tout comme il nous manque les bases pour l’exode urbain en cause. Dans mon article de juillet je retournais à un article de Josée Blanchette dans Le Devoir, où elle avait fait part d’une entrevue avec le jeune agriculteur Jean-Martin Fortier portant sur l’histoire du retour à la terre de son couple. Cette entrevue fournit le contexte pour le visionnement de la vidéo d’une présentation de Fortier sur l’expérience du couple dans la mise en oeuvre de leur ferme.

Roméo Bouchard, fondateur de l’Union paysanne, a répondu à mon article sur le livre de l’IRIS en soulignant que «toutes ces considérations sur la «dépossession agricole» [sont] bien abstraites et bien théoriques… Le discours est très théorique et peu rattaché aux rapports de forces concrets qui s’affrontent dans la réalité. … Résultat: on en ressort vaguement perdu, sans orientation ni motivation claire. Il y a moyen que l’analyse débouche davantage sur l’engagement, il me semble».

En effet, Bouchard se place, et s’y place depuis longtemps, dans le contexte de la nécessaire transformation radicale de notre modèle économique et de sa filière agroalimentaire. Il rejoint ainsi, en voyant plus clair que d’autres, l’intervention politique qui s’impose et dont il était question à la fin de mon dernier article où je me penchais sur le récent article de Rodolphe De Koninck. Il a bien fallu que je lui donne raison:

Je suis bien d’accord avec ton constat général. Dans le cas des chapitres de Dépossession, j’arrive à une conclusion analogue à la tienne : tous les textes restent pour l’essentiel dans une présentation de l’histoire du secteur en cause mais n’arrivent pas à fournir un portrait de ce que j’appelle le nouveau modèle, même en termes plutôt abstraits. Quant à l’engagement, les textes ne fournissent aucune piste. Pour moi, ce n’est presque pas nécessaire. Je suis convaincu après mes propres 40 ans de batailles que nous avons perdu la guerre et que l’intérêt est d’essayer de voir clair dans ce qui va nous tomber dessus.

Bouchard avait fait sa propre caractérisation des enjeux dans son livre de 2002 Plaidoyer pour une agriculture paysanne : Pour la santé du monde (Écosociété, encore). Il conclut son livre en portant sa réflexion sur le thème : «Retrouver le paysan qui besogne en chacun de nous». C’est toujours plus que pertinent et le livre cible mieux les enjeux que les efforts toujours en cours pour améliorer le système en place, efforts qui se sont montrés inefficaces.

Exode rural ou exode urbain?

On est ramené, par cette référence au livre de Bouchard, aux propos des paysans, Chinois en l’occurrence, pendant l’émission des Grands reportages mentionnée dans mon dernier article. On est confronté dans ce reportage à l’énorme attraction pour les paysans de la vie urbaine. Lors de mon voyage au printemps dernier, j’étais frappé plus qu’avant par le constat qui s’imposait, qu’il ne se trouvait pas dans les milieux ruraux beaucoup de jeunes, ceux-ci étant partis pour les villes et la recherche d’un travail rémunéré, cela permettant dans l’imaginaire d’accéder à ce monde d’objets tellement attrayants qui font partie de notre quotidien ici. Lors de quelques conversations avec des jeunes comme avec des locaux, il n’était pas évident quand même que ces jeunes trouvaient les emplois qu’ils cherchaient.

L’émission des Grands reportages terminait avec la phrase percutante : «L’avenir de la Chine est en jeu». En effet, l’émission soulignait qu’à Chongqing il y avait beaucoup de monde dans la rue (cliquer sur la photo dans l’autre article), en attendant l’arrivée des industries souhaitées et pour laquelle le plan de China 2030 esquisse les contours. Ce sont les contours d’une société à l’avenir qui n’est pas plus souhaitable en Chine qu’ici. Dans nos propres turbulences, il y a lieu de maintenir la réflexion – et l’action – en vue de la réintégration des campagnes, suivant l’exemple du jeune couple Fortier-Desroches.

Dans mon livre sur l’Indice de progrès véritable, je me suis permis d’être songeur face à cette vie de paysanne qu’il va falloir retrouver. C’était le premier chapitre du livre dont j’avais pu tester les grandes lignes, devant un groupe dans la région de la Chaudière qui comprenait producteurs, anciens dirigeants de l’UPA et militants contre l’extension des porcheries à travers la province.

Comme je soulignais dans l’article sur le retour à la terre de juillet dernier, le modèle de développement économique toujours poursuivi par les milieux de l’agroalimentaire nous berne: le coût des «externalités» environnementales et sociales de ce développement annule les bénéfices qui paraissent aux livres de nos agriculteurs industriels. La figure 3.8 ici résume les calculs du chapitre.

Les coûts et les bénéfices de l'activité agricole: match nul

 

Le fait que les coûts de l’agriculture industrielle équivalent aux bénéfices des produits (subventionnés…) ne fait qu’accentuer l’intérêt d’un changement radical du système.

Je reproduis ici une partie de ce chapitre 3 inséré dans la section du livre portant sur l’aménagement du territoire, sous un titre peu rêveur mais fondamental dans la compréhension de ce qui repousse toujours la réalisation du rêve.

Chapitre 3 : Les coûts sociaux et environnementaux imputables aux activités agricoles (Extrait du livre [3])

L’IPV prend comme situation d’origine pour la définition du «territoire agricole», une fois éliminés la forêt des feuillus et les milieux humides, les prairies sur lesquelles paissent des animaux. Une partie de ce territoire est conçue comme sous exploitation pour la production d’aliments nécessitant le labour des prairies, mais en présumant une complémentarité entre les prairies restantes et les champs en culture : la paille et le fumier résultant du broutage des animaux fournissent des apports nutritifs pour la culture sur terre labourée. Ce labour, par le fait même, entraîne une certaine perte de la matière organique et d’autres composantes essentielles à la fertilité des sols cultivés, ce que l’ajout du fumier et de la paille compense.

Les sols représentant la base même de l’agriculture perdent directement et de façon normale une partie de leur fertilité avec le labour. Ils la perdent également à la suite des efforts pour accroître la production des terres au-delà de leur capacité naturelle; cela se fait en augmentant la superficie des champs en culture et en ayant recours à des engrais venant de l’extérieur de la ferme.

L’exploitation des terres agricoles au Québec a connu une tendance en ce sens avec le temps, en vue de l’obtention d’une plus grande quantité d’aliments pour la consommation interne, pour l’alimentation d’animaux, dont les troupeaux étaient également en croissance, et pour l’exportation.

Parallèlement à cette tendance, les élevages ont commencé à quitter les pâturages. En effet, la décision d’abandonner les liens internes entre pâturages et champs en culture pour augmenter la production des cultures s’est accompagnée d’un changement d’approche touchant les pâturages aussi. Les élevages ont connu une augmentation de la taille des cheptels grâce à l’apport d’aliments venant de l’extérieur et, progressivement, sont devenus plus ou moins «sans sol», les animaux passant la plus grande partie de leur vie à l’intérieur.

Cet accroissement des superficies des cultures et des élevages, objectif de l’agriculture intensive dite «industrielle», a augmenté le territoire en culture et a rapidement dépassé la production résultant «naturellement» d’une complémentarité théorique et idéale entre les prairies et les champs en culture. Pour soutenir l’accroissement, les producteurs ont donc introduit, dans le processus de culture, d’abord des engrais inorganiques provenant de l’extérieur des fermes et, plus récemment, du lisier provenant d’élevages sans sol. Pour les animaux élevés «sans sol», l’alimentation s’est faite en grande partie par apports de nourriture concentrée (moulées) venant de l’extérieur de la ferme.

L’apport d’engrais inorganiques venant de l’extérieur de la ferme pour les cultures et de nourriture concentrée pour les animaux constitue en fait le moyen utilisé par les producteurs pour compenser la perte progressive de qualité des sols cultivés et l’abandon progressif des prairies d’origine qui permettent une exploitation soutenable dans un sens strict. En même temps, cette approche tend à réduire les sols à des substrats physiques pour une culture «hydroponique» et, avec les élevages sans sol, à des lieux d’épandage des lisiers produits «en quantité industrielle». Il s’agit d’une approche qui néglige l’apport naturel du «territoire agricole» comme prairies et comme base des cultures, et occasionne une dépendance plus ou moins complète envers les facteurs externes. Tout ce processus de transformation de l’agriculture «d’origine8» en agriculture «industrielle» s’accompagne, depuis des décennies, d’impacts importants sur le milieu naturel, in situ et à l’extérieur des fermes, ainsi que sur les communautés rurales où vivent les agriculteurs.

Il est utile de regarder certains aspects fondamentaux du recours aux intrants venant de l’extérieur de la ferme. L’intention du producteur en utilisant des engrais inorganiques et, selon le besoin qui se présente par après, des pesticides, est d’augmenter sa production et par conséquent ses bénéfices. Par ailleurs, cette «industrialisation» de l’agriculture9 a amené une autre pratique qui mérite un commentaire. L’achat des semences est devenu un phénomène normal pour le producteur, qui ne conserve plus ou ne possède plus ses propres semences10. De plus, depuis une dizaine d’années, l’introduction de cultures OGM a forcé les agriculteurs à acheter leurs semences ; la hausse des coûts des semences depuis ce temps n’est sûrement pas étrangère à ce phénomène.

Sur trente ans, les coûts des engrais inorganiques, des semences achetées et des pesticides pour les cultures ont plus que doublé. En dépit de l’engagement formel du gouvernement datant de la fin des années 1980 de réduire l’utilisation de pesticides de moitié, le recours à ces intrants s’avère inhérent à l’activité ; du moins, le coût de ces intrants a augmenté de façon constante pendant toute la période 1981-2008. Et même si un effort important a été fait pour réduire l’utilisation excessive d’engrais inorganiques et pour remplacer une partie de ceux jugés nécessaires par les fumiers et les lisiers provenant des élevages, le coût de ces intrants a augmenté également de façon constante pendant toute la période. Nous ne nous penchons pas sur les quantités absolues en cause, mais sur l’aspect monétaire de ce recours; ces coûts ont connu des augmentations quand même moins importantes que la valeur de la production correspondante.

Pendant la même période, les intrants venant de l’extérieur de la ferme pour les élevages ont également connu des hausses importantes. Il s’agit de l’achat de bétail et de volaille, d’aliments commerciaux et de services vétérinaires11. Ce portrait montre, comme pour les intrants touchant les cultures, une transformation importante du système «d’origine», où la production était fonction de la capacité de la terre à nourrir les animaux et les humains qui y demeuraient. Les élevages dépendent de plus en plus d’une alimentation venant de l’extérieur de la ferme et, selon un phénomène analogue à celui des cultures où le recours aux pesticides est devenu essentiel, le recours à des produits pharmaceutiques pour assurer la santé des animaux, pour stimuler leur croissance et pour augmenter leur production de lait est devenu un aspect essentiel de cette activité, ce qui ne se fait pas sans risque pour la santé humaine.

Le pic récent dans le coût des engrais inorganiques et dans le coût des aliments commerciaux est relié à une pression mondiale devenue très forte pour de tels produits de base. Statistique Canada en présente le portrait dans un rapport de 2009 qui souligne :

Les dépenses agricoles ont connu une hausse de 9,4 % en 2008 pour se chiffrer à 42,5 milliards de dollars [pour tout le Canada]. Il s’agit de l’augmentation la plus substantielle ayant été observée depuis 1981. Les fortes hausses des prix enregistrées pour un grand nombre d’intrants importants tels que l’engrais, les aliments pour animaux et le carburant pour la machinerie agricole ont constitué les principaux facteurs de cette augmentation. Près des deux tiers de la hausse des dépenses agricoles sont attribuables aux augmentations qu’ont connues ces trois intrants12.

L’agence de statistiques canadienne fournit une analyse de ces informations dans le même document:

La forte demande mondiale pour la plupart des produits de base pendant la première partie de 2008 a provoqué une montée en flèche des prix. Les prix du carburant pour les machines ont participé à cette hausse, les prix du carburant diesel ayant augmenté de 45,5 % pendant les trois premiers trimestres de 2008 par rapport à la même période en 2007 selon l’Indice des prix des produits industriels (IPPI)13. Au cours du quatrième trimestre, alors que les prix affichaient une importante régression en raison du fléchissement de la demande mondiale, laquelle était affectée par le début de la crise financière et le ralentissement économique, la plupart des utilisations agricoles étaient déjà réglées.

Les prix des engrais, soutenus par les prix élevés des cultures, ont également enregistré une forte hausse pendant la majeure partie de 2008, avant de connaître un léger repli à la fin de l’année. Les prix ont affiché une hausse moyenne de 61,2 % en 2008 selon l’IPPI. La plupart des prix des céréales fourragères ont suivi une tendance similaire, les prix ayant atteint un sommet au cours de l’été pour ensuite reculer pendant le dernier trimestre. En règle générale, les prix des céréales fourragères ont enregistré des augmentations supérieures à 10% en 2008.

Dans le contexte de cette analyse, il importe de souligner plusieurs éléments qui sont fondamentaux pour notre propre analyse. La décision de délaisser la production agricole «d’origine» pour augmenter la production comportait des risques à plusieurs niveaux. Les producteurs sont devenus dépendants de sources externes pour leurs intrants. Ceux-ci proviennent d’autres exploitations – quand ce n’est pas de l’industrie chimique et de l’industrie minière – qui s’exposent aux mêmes jeux de dépendance externe. Tous ces intrants sont sujets, par le même processus fondamental, à des fluctuations de prix découlant des jeux des marchés auxquels les producteurs se soumettent. Le manque de contrôle sur les intrants et sur les extrants comporte par ailleurs un risque pour le milieu environnant, qui n’est plus en équilibre «naturel». Tous ces facteurs ainsi que la concentration qui se développe dans ces marchés représentent des risques pour les producteurs, pour l’environnement et pour la société.

L’effort de globalisation visant à produire pour les marchés internationaux et donc à entrer en concurrence comporte une augmentation des pressions sur la capacité de production de l’ensemble des terres agricoles de la planète. Même si la demande dont parle Statistique Canada vient surtout des pays riches, la production pour assurer l’offre vient de partout.

Les réactions à la crise financière qui éclatait en 2007, de la part des spéculateurs et des pays producteurs eux-mêmes, a mis en évidence le déséquilibre entre l’offre et la demande à l’échelle mondiale. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, la population humaine a triplé, et même si la grande majorité de cette population vit dans des pays pauvres, ce déséquilibre risque d’être source de stress pour l’ensemble des sociétés dans les années à venir. Nous traiterons ailleurs dans le travail sur l’IPV de la question du pic du pétrole, qui est inéluctable. Ici, nous soulignons seulement que notre volonté de participer à la «globalisation» a finalement confronté l’agriculture québécoise à l’instabilité des marchés à l’échelle mondiale, reflet à grande échelle de la volonté des producteurs québécois de rechercher une production accrue au-delà de la capacité naturelle des terres.

De façon générale, ces interventions de l’ensemble des producteurs québécois, et cela au fil des années, se sont exprimées par une hausse de la valeur ajoutée nette, soit le bénéfice après déduction des coûts. Cet indicateur est suivi comme principal indice du succès ou non d’une industrie, et de l’ensemble de l’économie. Le recours aux intrants venant de l’extérieur des fermes ne continuerait pas s’il ne comportait pas des retombées positives, puisqu’il y a des coûts à amortir associés à ce recours.

On peut avoir une idée de ces retombées en regardant autrement les dépenses pour cet ensemble d’intrants provenant de l’extérieur de la ferme. Cet ensemble représente moins de la moitié de toutes les dépenses, mais constitue la partie associée directement à l’intervention visant la transformation de la production «d’origine» et comportant un risque à plusieurs niveaux.

Les dépenses totales représentent environ les deux tiers de la valeur de la production. La valeur ajoutée nette, ce qui est recherché, représente entre le quart et le tiers de la valeur de la production. Autrement dit, pour générer un bénéfice, il faut générer entre trois et quatre fois autant d’activité dans les marchés [et sur les terres]. Finalement, les dépenses de base que nous avons identifiées comme représentant un risque pour le producteur, et plus globalement, pour la société et les écosystèmes, sont presque l’équivalent de la valeur ajoutée nette. Pendant les trente dernières années, le territoire québécois a connu d’autres «retombées» qui ne rentrent pas dans les statistiques économiques officielles. Il s’agit d’importants changements sociaux et environnementaux ayant généré des coûts. (51-54)

La résilience va s’imposer, mais ce n’est pas une évidence

En Chine, le retour des paysans qui ont quitté leurs terres et leurs villages pour de nouveaux locaux dans les tours urbaines où le manque de travail risque de perdurer est impossible en bonne partie : les anciennes terres agricoles (quand même en manque en Chine) se trouvent transformées en parcs industriels en bonne partie inoccupés. Ici au Québec, l’étalement urbain, bien présent en Chine aussi, comme partout ailleurs depuis quelques décennies, a réussi à éliminer une bonne partie de nos meilleures terres, à l’image de qui s’est passé à Toronto, entourée auparavant par les meilleures terres du Canada. Un «retour à la terre» ici va se buter donc à un territoire substantiellement réduit alors que la population que l’on voudra voir nourrie par les produits de terroir de ce territoire s’est substantiellement accrue.

Nous sommes devant l’évidence que l’effondrement projeté par le Club de Rome n’est toujours reconnu nulle part dans les propres termes de Halte, même si les grandes préoccupations des économistes face à la «nouvelle normale», une croissance très limitée et en permanence, s’insère dans une réflexion qui ressemble à une telle reconnaissance. Nous sommes également devant l’évidence que le retour nécessaire à la terre ne se reconnaît pas non plus, et la diminution importante de nos terres va rendre ce retour d’autant plus difficile, quand il va se montrer presque souhaitable, nécessaire. Nous sommes encore dans un monde de «perceptions et impressions». Roméo va rester sur son appétit en lisant cet article…

[1] Parmi les interventions de Nature Québec, remontant au début des années 1980, on peut souligner plusieurs rapports soumis au gouvernement entre 1999 et 2004: Inventaire des programmes de certification agroenvironnementale et application pour le cas du QuébecÉvaluation des bénéfices économiques liés à l’atteinte des objectifs du plan d’action 1998-2005 en agroenvironnementÉvaluation des programmes d’aide à l’instauration de pratiques de protection des cours d’eau en milieu agricoleLa contribution du concept de multifonctionnalité à la poursuite d’objectifs de protection de l’environnementLa gestion du territoire agricole et le contrôle de la pollution diffuse : inventaire et première évaluation des outils disponibles

[2] La publication comporte une mise en garde au tout début quant aux orientations à cibler, soulignant qu’il s’y trouve «des arguments de type libertarien qui s’accordent parfois mal» avec la vision du retour de la petite ferme multifonctionnelle, artisanale et résiliente qui est particulièrement chère» à ces éditeurs.

[3] Harvey L. Mead, avec la collaboration de Thomas Marin, L’indice de progrès véritable : Quand l’économie dépasse l’écologie (Multimondes, 2011)

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Fermes impossibles? – 1

Une réflexion sur les enjeux du développement rural sur la base de mes quelques expériences bien trop limitées. Une émission de Grands reportages souligne la complexité de la situation en Chine, où la volonté de maintenir la croissance économique à l’intérieur du pays se bute aux limites de celle-ci et se trouve en contradiction avec le maintien de la vie en milieu rural. Il y a un bref survol du livre de référence sur la culture du riz dans le monde permet de voir quelques pistes qui sont en évolution face aux pressions démographiques et la nécessité de continuer à nourrir le monde, et un résume d’un récent article sur le choix entre l’agriculture industrielle qu’il faut rejeter et l’importance de soutenir plutôt la production paysanne. Un deuxième article partira de cette réflexion pour regarder brièvement la situation au Québec.

Pour l’écologiste de longue date que j’étais, c’était un choc en 1998 et 1999 de voir pendant deux voyages à Madagascar, et plus tard, lors d’un autre voyage à Bali en 2008, les plaines inondables des rivières, et les rivières elles-mêmes, complètement transformées en rizières; ici et ailleurs dans les pays riches, nous nous battons pour essayer de maintenir l’intégrité de la biodiversité que représentent ces habitats, mais dans de nombreux pays, c’est clair que la vie des paysans dépend directement de ces transformations.

Vallée transformée en écosystème rizicolePendant mes quatre voyages en Chine, j’étais impressionné par la diversité des paysages ruraux et des villages de paysans qui les occupaient; j’ai dû en visiter plus d’une vingtaine. Plusieurs des visites étaient dans des régions des minorités, probablement considérées comme plus pauvres que celles occupées par les Han, mais d’autres étaient carrément dans des régions de grande production et souvent près des grandes villes. En 2011, j’ai suivi d’est en ouest de multiples variantes de la culture du maïs (et de la pomme de terre) dans le nord du pays, en 2009, 2010 et 2015 des variantes de rizières et de culture de blé dans le centre et le sud. C’était frappant de voir du monde partout dans les champs et dans les rizières, en 2015 presque pour la première fois avec une petite machinerie en soutien au travail manuel.

Impressions et perceptions à étoffer

Lors d’un colloque il y a plusieurs années organisé par Rodolphe De Koninck, professeur de l’Université de Montréal spécialisé dans les cultures de la Malaisie et de l’Indonésie (entre autres) pendant sa longue carrière (fils de mon patron de thèse au doctorat et que j’ai rencontré pour la première fois, en Californie, en 1960…), j’ai entendu que l’année d’un(e) riziculteur représentait environ 3000 heures de travail dans des conditions de subsistance (alors que c’est environ 2000 heures, le maximum chez nous dans les pays riches). C’était déconcertant puisque, à travers mes voyages et le portrait des paysans que j’esquissais au fur et à mesure, jumelé à mon effort de comprendre intellectuellement le défi contemporain de l’humanité face à de nombreuses contraintes, j’arrivais à l’idée que l’avenir de l’humanité ne résidera pas dans les villes, mais bien plutôt à la campagne, et cela pour les milliards de personnes que sont les paysans.

Pendant mon voyage en 2015, j’ai également eu l’occasion de chercher et de voir partout – c’en était un des objectifs – des indications des «villes fantômes», ces groupes d’édifices en hauteur neufs et en grand nombre qui ne sont tout simplement pas occupés et dont la construction était une partie importante de l’activité économique qui faisait la merveille du cas chinois pendant plus de 20 ans. En échangeant avec des chauffeurs de taxis locaux à de nombreuses occasions, je recevais la même réponse à ma question : les gens ne peuvent pas payer le prix de ces logements et c’est pour cela qu’ils restent inoccupés. En complément, j’avais vu – et j’avais lu – que de nombreux paysans, surtout en périphérie des grandes villes (il y en a beaucoup en Chine!) perdaient plutôt sans rémunération appropriée et tout simplement leurs lopins de terre, devant l’urbanisation galopante et des pratiques déloyaux des responsables municipaux qui en faisaient la promotion.

Une toute récente émission des Grands reportages de Radio-Canada, diffusé le 26 janvier, fournit des composantes du portrait. Travailleurs journaliers en attente de travail sur un coin de la ville de ChongqingLa Chine est en train de mettre en œuvre China 2030, dont la partie ciblant la réaménagement de quelque 300 millions de Chinois ruraux dans les villes. Cela vise à libérer l’espace pour des parcs industriels en périphérie des grandes villes, là où les autorités souhaitent créer des emplois pour les paysans déplacés de leurs villages. L’émission prend le cas de Chongqing pour décortiquer la situation. Sur les 20 millions de paysans vivant en périphérie de la ville de 10 millions d’habitants, le plan prévoit d’ici 2030 en déménager la moitié dans de nouvelles tours à logement, en construction depuis 2011; j’y ai passé en 2010 et déjà la ville était impressionnante par le nombre de gratte-ciel. Les anciens paysans n’auront pas de loyer à payer pour leurs nouvelles résidences, mais devront chercher des revenus quelque part pour le reste des coûts de la vie. La Chine cherche à aménager dans cette seule ville, sur une période de seulement 15 ans, une population le quart de toute celle du Canada et à leur fournir des emplois. Pour le moment, la construction va bon train, mais les emplois, le développement économique recherché, tardent à se concrétiser. L’émission conclut avec une dernière phrase : « L’avenir de la Chine est en jeu », à laquelle on doit ajouter, cela selon les travaux de la Banque mondiale et le Gouvernement de la Chine dans le rêve de China 2030.

L’avenir de la Chine – de l’Asie –  : rural ou urbain?

J’ai contacté De Koninck pour avoir quelques pistes pour m’aider à mieux comprendre la situation dans les milieux ruraux. Sa réponse : je dois faire la lecture de la référence bien connue des chercheurs : Le riz : Enjeux écologiques et économiques, par Guy Trébuil et Mahabub Hossain (Belin, 2004). C’était le grand temps que je sorte de ma bibliothèque d’impressions et de perceptions – l’objectif de mes voyages qui pouvaient difficilement s’appeler des missions – pour essayer de mieux comprendre ce qui se passe – l’objectif de mes lectures et de mon blogue. Je me permettais de penser que je n’avais pas besoin de tout suivre dans cette présentation académique d’un ensemble d’enjeux centrés sur l’Asie pour en saisir les grandes lignes et alimenter ma réflexion.

Les auteurs du livre se montrent très sensibles à l’ensemble des préoccupations des écologistes tout comme à celles des intervenants en économie sociale. Le portrait des petits producteurs est recherché et esquissé partout, cela en fonction d’un survol de la contribution de la révolution verte (centrée sur la culture du riz) et de l’analyse des défis qui marquent la période après cette révolution, dont la fin est située à environ 1985. Le constat global : pendant quelque trois décennies, la révolution verte a permis de fournir cet aliment de base à la moitié de la population humaine, même face à une croissance démographique importante (entre 1967 et 1985, passant de 1,9 à 3,5 milliards d’habitants), mais pour conclure que «le poids de la croissance démographique reste écrasant dans toute analyse de l’évolution de la demande en riz» pour l’avenir.Célestin à trois jours

Le chapitre 4, «Problématiques actuelles» (125-158), comporte deux sections, l’une sur les problématiques en riziculture irriguée, l’autre sur les écosystèmes rizicoles non irrigués (inondés, pluviaux, à submersion profonde et des zones côtières); les titres des sous-sections résument la situation post révolution verte :

«Moins de terres disponibles pour le riz irrigué» [parce qu’il se trouve normalement en zones densément occupées, souvent remontant à l’occupation coloniale pendant laquelle les digues etc. auraient été installées], «Moins de bras en rizières irriguée» [parce qu’il y a eu un exode vers les villes de la part des jeunes], «Moins d’eau pour irriguer» [parce qu’il y a des pressions de plus en plus importantes, entre autres venant de l’urbanisation et du développement industriel], «Consommer moins d’intrants d’origine industrielle».

Le texte fournit aussi des réponses à ma question concernant le travail des paysans dans les rizières, mettant les chiffres sur ce que j’avais vu en 2015, presque pour la première fois, la présence d’une machinerie dans les rizières. De manière frappante, il fournit une image du travail en cause sans le motoculteur : «La préparation d’un hectare de rizière en traction attelée avec l’aide du buffle d’eau nécessite de parcourir environ 100 kilomètres à pied derrière l’animal sur un sol boueux! Il est important de réduire la pénibilité du travail de préparation du sol et d’implantation de la culture» (153).

En réponse à cela, la moto-mécanisation intermédiaire (avec machines adaptées aux besoins locaux et louées) avance partout. Avec les motoculteurs, par exemple :

La durée des opérations de préparation du sol d’un hectare de rizière irriguée est passée de 16-20 jours en culture attelée traditionnelle avec le buffle d’eau (qui ne peut travailler que quelques heures par jour), à seulement 6-7 jours au moyen du motoculteur à roues cages, dont la durée de vie est généralement de 8 à 10 ans. (95)

Concernant d’autres machines :

Le développement des services contractuels au sein des villages permet à la vaste majorité des producteurs de riz d’accéder à cette moto-mécanisation sans devoir détenir les engins en propriété… Ces mécanismes ont joué un rôle important en faveur de la limitation des inégalités économiques entre exploitations agricoles… Les temps de travaux à la récolte ont ainsi pu être ramenés de 30 jours, avec fauchage à la faucille et battage manuel des gerbes, à seulement 4 jours par hectare grâce à l’utilisation de l’ubiquiste batteuse mobile à tambour et flux axial d’environ 10 cv. (96)

Et pour ainsi dire conclure le portrait, en se penchant sur l’histoire des petites machines, comme l’égraineuse : «Son utilisation peut abaisser de 50% les coûts de la récolte et du battage» (99). Il semble être une question de pouvoir remplacer le coût du travail, quand les salaires sont relativement élevés, par les petites machines, et cela rentre directement dans le portrait d’un monde de culture du riz où la présence des marchés pour d’autres produits agricoles est de plus en plus déterminante, de plus en plus présente, alors que seulement 6% de la production mondiale est commercialisée. Ceci est fonction souvent d’un monopole public sur le commerce extérieur, question un peu partout «d’amortir des crises sociales et alimentaires majeures» avec une «stratégie de sécurité alimentaire» (145-146). Le livre, publié en 2004, décrivait ainsi assez bien la situation en 2007-2008 où les prix ont monté, en même temps que la hausse du prix du pétrole…

Pour les auteurs, les progrès de la révolution verte ont atteint un sommet pendant les années 1990, en mettant un énorme accent sur les régions où le riz irrigué domine. La période après comporte de nouveaux défis, en raison de toutes sortes de contraintes qui se sont développées pendant la période de la révolution et qui sont résumées par les titres des sous-sections du chapitre 4 mentionnés plus haut. Aujourd’hui (en 2004), disaient-ils, la situation «est infiniment plus contraignante pour les producteurs, surtout ceux qui exploitent les écosystèmes rizicoles non irrigués, où les options pour la diversification des activités sont limitées» (227). Et même s’il faudra s’attaquer à la riziculture inondée, parce qu’il n’y a plus de potentiel d’expansion dans la riziculture irriguée (159, cette dernière comporte aussi ses défis:

Le défi auquel doivent faire face la recherche, les décideurs politiques et les producteurs de riz lors des deux prochaines décennies est de taille, selon les auteurs du livre : aider l’Asie à produire au moins 25% de riz en plus sur moins de terres, sans dégradation supplémentaire des ressources naturelles renouvelables, donc évidemment avec moins d’eau, moins de bras et moins d’intrants chimiques d’origine industrielle en riziculture irriguée. C’est une condition indispensable si nous voulons pouvoir satisfaire les besoins essentiels des petits producteurs ruraux comme ceux des consommateurs urbains, à commencer par les plus pauvres d’entre eux, au moyen de prix stables et se situant à un niveau ne limitant pas l’accès des franges défavorisées de la population à cette céréale essentielle. (227-228)

Nous sommes maintenant 10 ans – une décennie – plus tard, et le livre ne fournit donc pas la mise à jour…

Des tendances contraires et la réponse nécessaire

En contrepartie des impressions et des perceptions venant de mes voyages et des orientations de base du livre de référence sur la culture du riz, une rencontre à la Banque mondiale à Beijing en 2011 m’a mis sur la piste de China 2030 mentionné plus haut, fruit de travaux visant à sortir la Chine du «piège des pays de revenu moyen» – the middle income trap – et à planifier la déménagement d’environ 300 millions de paysans chinois – l’équivalent de toute la population des États-Unis – vers des villes.

Le projet de China 2030 de 2012, et sa mise en œuvre, dont le «projet pilote» à Chongqing est couvert par l’émission des Grands reportages, témoignent d’orientations qui vont dans le sens contraire des grandes préoccupations de Trébuil et Hossain, qui cherchent à identifier les pistes qui permettraient le maintien de la production vivrière par les populations rurales dans leurs milieux de vie, les milliers de villages occupés par ces paysans dans un grand nombre de pays producteurs de riz. Il y a lieu de croire pourtant que, pour l’agriculture et l’alimentation de l’énorme population humaine établie depuis seulement quelques décennies, l’avenir passera selon les autorités chinoises et d’autres par une agriculture industrielle faisant partie du modèle économique actuel qui – mon jugement bien faillible – semble être en passe de vivre pourtant ses derniers jours.

C’était assez intéressant de voir, dans ce contexte, la parution d’un court article de De Koninck dans les Nouveaux cahiers du socialisme: La décroissance pour la suite du monde (n.14, 2015). De Koninck va directement au but, avec un titre provocateur : «Une décroissance de la production agricole mondiale est-elle souhaitable?» (148-155) en répondant que «oui» mais dans une perspective où les projections sont transformées.DSC05985

Dès le départ, il souligne qu’il y a près de 800 millions de personnes qui vivent en état de famine chronique et près de deux milliards qui ne mangent pas à DSC05961leur faim; en contrepartie, 1,9 milliard d’adultes font du surpoids et plus de 600 millions sont obèses. En ajoutant les quelque 2 milliards de personnes supplémentaires attendues d’ici environ 2050, on voit la situation qui mène aux cris de coeur de la FAO et d’autres instances pour une production accrue. Dans les traces de Trébeil et Hossain, De Koninck insiste plutôt sur l’importance de maintenir la production vivrière face aux assauts des multinationales de l’agroalimentaire, pour nous permettre de mieux nourrir les populations du monde tout en restreignant les impacts écologiques et sociaux inacceptables associés à la production industrielle. C’est une version chiffrée de la carte du monde transformée en fonction de l’empreinte écologique – la planète obèse – qui paraît de temps en temps sur mon blogue et dans mes présentations.

Le défi pour l’alimentation mondiale est donc de restreindre ces impacts qui vont de pair avec l’expansion territoriale de la production industrielle et de maintenir ou restaurer la production paysanne. De Koninck résume les «outils» utilisés par les oligopoles agroalimentaires dans les différentes sections de son article lapidaire :

la destruction de la biodiversité; la pratique de la monoculture; le recours massif aux intrants d’origine industrielle et aux sources d’énergie fossile; l’externalisation, c’est-à-dire la socialisation d’une forte proportion des coûts de production; la surproduction, la surconsommation alimentaire, le gaspillage et la publicité; l’accaparement des terres [qui pourrait se placer en premier lieu…]; la promotion de l’alimentation carnée, l’élevage et la destruction absurde de la forêt, notamment pour la culture tout aussi absurde des agrocarburants». (150)

De Koninck conclut en résumant ce qui s’impose :

Une chose est certaine : son expansion territoriale à l’échelle planétaire est à proscrire… C’est que cette expansion représente une fuite en avant et ne fait qu’exacerber les principaux maux auxquels contribue l’agriculture, ce qui comprend la destruction des écosystèmes et le gaspillage des ressources, la destruction de l’emploi et la croissance de l’alimentation insalubre.

On est dans une perspective qui sort des travaux scientifiques et professionnels, et des voyages d’observation, pour cibler les actions requises de la société civile et non seulement des producteurs. Plus d’une décennie après la publication de Le riz : Enjeux écologiques et économiques, les enjeux sont transformés en intervention à l’échelle politique, et non seulement par De Koninck…

 

 

 

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Maurice Strong, l’optimiste opérationnel

Dans son allocution pour ouvrir la conférence Globe90 à Vancouver en 1990, Maurice Strong s’est identifié comme un «optimiste opérationnel». Déjà, il fallait comprendre, l’optimisme comme tel ne se justifiait pas, mais sa motivation comme être humain, notre motivation, nous appellent à l’action. Strong est mort il y a quelques semaines à l’âge de 86 ans, nous mettant en contact direct avec la fatalité qui sévit dans nos vies; pour l’avoir suivi depuis près d’un demi-siècle, j’étais rendu à penser qu’il y était pour rester…

Strong photoDepuis 1990 je fonce, suivant Strong, en m’appellant souvent un optimiste opérationnel. J’ai parlé de lui à plusieurs reprises dans ce blogue, une première fois justement en soulignant l’importance de cette approche qu’il maintenait jusqu’à la fin. Strong était impliqué pendant sa longue vie dans de multiples activités, comme entrepreneur et administrateur dans le secteur privé mais aussi et surtout comme organisateur et négociateur avec de multiples chapeaux à l’échelle internationale. Une entrevue avec The Guardian en 2010 permet de jeter un coup d’oeil à ses orientations et ses réponses à des critiques; un coup d’oeil sur Google trouvera l’ensemble.

Les préoccupations pour les changements climatiques doivent s’insérer dans un cadre plus global 

La relecture de mon texte permet quelques constats dans cette période «après COP21». Entre autres, on voit la difficulté de gérer une situation où les effondrements projetés par Halte à la croissance, ou tout simplement ceux associés aux changements climatiques, sont toujours bien difficiles à cerner dans notre vie de tous les jours. Nous sommes confrontés par les médias à des interventions presque quotidiennes d’actions terroristes et, plus généralement, à des dégâts humains occasionnés par un ensemble de perturbations sociales et politiques, dont, actuellement, la guerre en Syrie.

Finalement, ce qui semble nécessaire dans cette période «après-COP21» est de maintenir un regard sur l’ensemble de la situation sociale, politique et économique aussi bien qu’environnementale. Pour revenir à ce qui sort des projections de Halte, ce ne sont pas les changements climatiques qui initieront l’effondrement, mais des perturbations dans la production industrielle, dans l’économie elle-même. Et de nombreuses tendances à l’écart de nos préoccupations en matière de développement comportent des risques probablement aussi grands, suivant le résultat des sondages du Forum économique mondial dont les résultats sont publiés dans Global Risks 2016. J’en ai fourni une esquisse dans un article de septembre dernier. Nous nous apercevons de ces risques plus ou moins bien, puisqu’ils ne se manifestent pas dans tout leur potentiel dans notre vie de tous les jours; les changements climatiques sont loin d’être le seul cas d’aveuglement.

Strong a fait le pari dès le début qu’il fallait essayer de domestiquer l’économie capitaliste et la croissance qui lui est intrinsèque. Il a fait des efforts énormes en ce sens, convoquant et animant la première conférence des Nations Unies sur l’environnement, à Stockholm, en 1972. Il était le représentant canadien au sein de la Commission Brundtland dans les années 1980 et l’âme du Sommet de Rio en 1992, convoqué poir reconnaître les 20 ans depuis Stockholm et les 5 ans depuis la publication du Rapport Brundtland. Par la suite, il a présidé la Commission du développement durable que l’on voulait une sorte de processus de suivi de Rio. À travers toutes ses interventions, Strong réunissait les plus importants joueurs du domaine économique, les mettant en contact avec ceux des gouvernements et de la société civile, en ciblant sans cesse la nécessité de prendre en compte les enjeux environnementaux.

Dix ans après son discours à Globe90 en 1990, il a écrit son autobiographie, Where On Earth Are We Going? Le premier chapitre de ce livre est écrit dans la forme d’un discours à l’humanité comme les actionnaires de la planète, en date du 1er janvier 2031. Un des buts du présent article est de suggérer que le lecteur passe en priorité à ce texte, celui d’un promoteur du développement durable pendant des décennies et pessimiste quant à la possibilité de le réaliser. Il s’agit d’un portrait de l’effondrement global de notre civilisation que Strong craignait déjà il y a 15 ans, décrivant une situation pour la période d’ici 15 autres années. Il n’est pas difficile de nous y retrouver, en 2016…

J’en ai déjà parlé dans ce blogue en soulignant que c’est l’ensemble de l’activité humaine qui doit être la préoccupation des gens qui prônent le développement, tout en réalisant que le terme même renvoie à ce qui en cause l’échec, le «développement» associé presque partout à la croissance économique. Même si nous mettons l’accent sur des interventions associées à l’effort de reconnaître les contraintes imposées par notre planète finie, nous vivons dans un moment où beaucoup d’autres interventions interpellent notre vie en société, notre vie comme humains. Strong ne les oublie pas. Comme il dit:

This is not just a technical issue. Everybody’s actions are motivated by their inner life, their moral, spiritual and ethical values. Global agreements will be effective when they are rooted in the individual commitment of people, which arises from their own inner life.

Le défi: concevoir un nouveau modèle…

J’ai perdu le contact avec l’homme pendant plusieurs années, mais il était interviewé en 2012 à Rio+20 en 2012 où il a réaffirmé qu’il était «pessismiste sur le plan analytique mais optimiste sur le plan opérationnel : aussi longtemps qu’il semble possible d’effectuer le virage vers un mode de vie soutenable, il faut continuer à essayer». De mon coté, j’ai cru également que c’était le bon pari, cherchant à maintenir le dialogue avec les joueurs économiques et politiques dans le but de faire avancer la prise en compte des enjeux et des exigences environnementaux. Même si, comme Strong, je sentais les problèmes s’accroître, les difficultés se multiplier, il m’a pris mes deux années comme Commissaire au développement durable en 2007-2008 pour voir qu’il faut passer outre le constat d’avoir échoué dans le travail sur le développement durable. Il faut aujourd’hui mettre l’accent sur un effort de concevoir et de mettre en oeuvre ce qui s’impose dans le nouveau contexte.

Comme Yves-Marie Abraham semble souligner (article à venir là-dessus) dans son épilogue au livre Creuser jusqu’où? Extractivisme et limites à la croissance, un jugement sur le pari de Strong comporte qu’il faut finalement reconnaître que l’effort de dompter le modèle économique, pour lequel la croissance constitue la pierre d’assise, était la mauvaise piste. Bien asseoir les assises d’un nouveau modèle, suivant finalement les pistes esquissées par les décroissancistes, n’est pas une évidence, mais Abraham fournit un portrait des failles du modèle actuel dans son article de Creuser (dont il est co-éditeur), «Faire l’économie de la nature». J’ai l’impression que Strong n’a jamais viré dans ce sens, dans cet effort de bâtir un nouveau modèle.

On m’a récemment invité à participer au début d’un processus de planification stratégique pour la période 2016-2020 d’un important groupe environnemental, avec le mandat de sortir les administrateurs de leur «zone de confort». J’ai décidé de faire une présentation en trois étapes. Tout d’abord, j’ai présenté une série de diapositives montrant différents aspects des crises contemporaines, des constats dont les administrateurs sont en grande partie au courant, dont j’étais au courant en commençant mon mandat comme Commissaire au développement durable et Vérificateur général adjoint en 2007-2008. Le retrait obligatoire de l’activisme pendant ces deux années m’a fourni l’occasion de réaliser ce qui est impliqué dans ces diapositives, dans ces constats, et je m’adressais à des activistes.Rockström et al 2009 Sept seuils

Une deuxième partie de ma présentation cherchait à fournir quelques pistes pour une planification qui sortirait justement des zones de confort, qui comporteraient de nouvelles orientations. Comme plusieurs ont souligné lors de l’échange qui a suivi, confronter un ensemble de comportements dans les pays riches qui sont liés aux causes de l’effondrement qui s’annonce passe proche d’être suicidaire pour n’importe quel groupe. Je leur rappelais que, aux débuts du mouvement environnemental, les groupes – tout comme les auteurs de Halte – étaient bien marginaux, mais cette marginalité était probablement moins risquée que celle qui est requise aujourd’hui.

La deuxième moitié de la présentation PowerPoint, non couverte lors de la rencontre, porte sur certains éléments de ce qui est en cause lorsque nous parlons de résilience, approche qui me paraît fondementale dans l’effort de chercher les grandes lignes du modèle qu’il faut essayer de concevoir et de mettre en branle.

…et ne pas rester dans les seules préoccupations environnementales

Dennis Meadows, le chef d’équipe derrière les travaux, souligne la situation autrement dans son court discours lors de la célébration du 40e anniversaire de la publication de Halte, au Smithsonian en 2012.

What we know is that energy, food and material consumption will certainly fall, and that is likely to be occasioned by all sorts of social problems that we really didn’t model in our analysis. If the physical parameters of the planet are declining, there is virtually no chance that freedom, democracy and a lot of the immaterial things we value will be going up.

 

 

 

 

 

 

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Et si on ne veut pas la décroissance?

À l’approche de la COP21, j’ai eu l’occasion d’échanger avec une journaliste sur ma position telle que résumée dans mon dernier article: l’humanité ne pourra pas respecter le budget carbone sans un chambardement majeur des sociétés, surtout des riches. L’échange m’a frappé par le constat qui s’imposait : je ne pouvais la référer à personne en position d’autorité en soutien à ma position. Je lui ai suggéré que Normand Mousseau, ancien co-président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, aurait peut-être des choses intéressantes à dire, sans vraiment savoir où il se positionne.Les réserves de pétrole: le défi

Par la suite, j’ai réalisé que seuls les «décroissancistes» se positionnent comme je le fais dans cet article et qu’ils manquent justement d’autorité. Les environnementalistes, dont certains ont une certaine autorité, se maintiennent sans exception, je crois, dans leurs tendances historiques cherchant à améliorer le modèle actuel.

Un livre par les décroissancistes sur l’extractivisme, y compris sur l’exploitation à grande échelle des gisements d’énergie fossile

Au moment de l’échange, j’avais justement commencé à lire Creuser jusqu’où? Extractivisme et limites à la croissance, intéressant ouvrage collectif publié chez Écosociété et dirigé par Yves-Marie Abraham et David Murray. Le positionnement des milieux environnementaux y est critiqué explicitement mais sans élaboration dans l’épilogue du livre, signé par Abraham sous le titre «Moins d’humains ou plus d’humanité?›[1].

Ce positionnement est critiqué aussi dans un article de Mousseau dans cet ouvrage qui couvre un ensemble de problématiques touchant le secteur de l’énergie et que je ne l’avais pas encore lu au moment de l’échange. Les grandes lignes sont exprimées dès le début : les projections de prix élevés pour le pétrole en fonction de sa rareté croissante (par Jeff Rubin, entre autres) étaient erronées, les «désirs» des environnementalistes de voir les énergies alternatives rendues possibles en fonction de ces prix élevés faussaient leur analyse du défi des changements climatiques, et l’espoir face à ceux-ci se trouvent dans les technologies.

Dans un livre consacré à une critique en profondeur de l’extractivisme (l’exploitation abusive des ressources non renouvelables) et de son rôle dans l’effondrement en cours, le positionnement de Mousseau semble finalement aller plus loin même que celui des environnementalistes. Reste qu’il faut vraiment travailler le texte pour sortir les fondements de sa pensée.

  • Mousseau soutient qu’il reste des quantités d’énergie fossile pouvant nous approvisionner pendant des centaines d’années (183-184), sans distinguer au début entre réserves et ressources, ensuite en parlant de réserves, pour retirer la proposition dans l’analyse des coûts et des technologies pour ce qui est de l’énergie non conventionnelle (188-190). Il propose cela sans même tenir compte de l’ÉROI trop bas de nombre de ces sources d’énergie.
  • En fonction de ce premier constat et d’une suggestion que cela lui enlève toute crédibilité, Mousseau rejette l’argument de Jeff Rubin à l’effet que le prix de plus en plus élevé de l’énergie fossile en fonction du pic de pétrole conventionnel va nuire dramatiquement aux économies des pays dépendant d’énergie fossile. L’argument de Mousseau y est surtout ad hominem.
  • Mousseau rejette, ce faisant, sans jamais y faire référence, l’argument de Halte à la croissance à l’effet qu’une rareté progressive de ressources naturelles va aboutir à l’effondrement de la production industrielle dans nos sociétés.
  • Pour l’énergie fossile non conventionnelle, Mousseau avance que «la véritable révolution se trouve … dans l’utilisation de techniques de fracturation hnydraulique … [qui] permet d’augmenter à la fois le rythme d’exploitation et la quantité disponible, propulsant les réserves vers de nouveaux sommets. Déjà, ces avancées ont fait exploser les réserves exploitatables» (190). Il faut regarder le graphique ci-haut (cliquer dessus pour l’explication) pour comprendre l’importance de ce rejet des analyses de nombre d’experts en matière d’énergie; Mousseau semble rejoindre la présomption de l’Agence internationale de l’énergie à l’effet que l’humanité va pouvoir répondre au déclin dans les réserves traditionnelles.
  • Un objectif de cette série de propositions est d’insister : «l’accès aux ressources et leur prix de production n’a [n’ont] rien à voir avec le réchauffement climatique; le souhait des environnementalistes [de voir les énergies renouvelables remplacer celles fossiles et ainsi répondre au défi des changements climatiques] reflétait plutôt le désir de pallier l’inaction des gouvernements» (184). Exprimé ainsi de façon apparemment voulue mais délibérément confuse, Mousseau prétend, après un autre argument ad hominem, que l’effort de confronter la menace des changements climatiques «devra se faire de manière délibérée … plutôt que par manque de ressources» (184).
  • Ce constat fait, Mousseau propose que l’approche délibérée propre aux économistes, de donner un prix au carbone pour gérer la menace, est trop limitée, entre autres parce qu’elle «risque de perturber fortement l’économie mondiale en plus de rendre l’énergie difficilement accessible pour les plus pauvres», résultat qu’il juge inacceptable. Il poursuit en insistant qu’une «transition en douceur» qui reconnaît «la nécessaire équité énergétique … devra s’appuyer sur des changements technologiques profonds» et «sur une compréhension plus fine de la demande d’énergie» (185). Cela fournit le plan pour le reste de l’article, curieusement à contre-courant des autres contributions du livre et de ce que je connais des tenants de la décroissance.

Table rase des analyses actuelles, sans véritable proposition de rechange

Dans les trois pages de cette première section, sans argument de soutien, Mousseau fait donc table rase de l’ensemble des analyses contemporaines qui suggèrent que des processus structurels vont déterminer le sort de l’humanité face aux changements climatiques, que ces processus soient imposés par la force des choses ou par l’intervention (surtout économique) des sociétés. Deux courtes sections suivent (185-188) qui ciblent «l’équité mondiale [comme] le véritable défi de l’abandon du pétrole» et une distinction entre les pays riches et les pays pauvres quant à la décroissance.

  • Il prétend qu’il est «techniquement possible pour la plupart des pays développés de viser une transition énergétique menant à la réduction signficative de l’utilisation des énergies fossiles et des émissions de GES» (185) mais cela ne sera pas le cas pour les pays pauvres. Mousseau rejette ainsi le récent travail du Deep Decarbonisation Pathways Project de Jeffrey Sachs qui aboutit à la conclusion que les technologies ne permettront pas de confronter avec suffisamment de capacité la menace tout en maintenant la croissance économique; cette conclusion semble intuitivement claire déjà. Pour les pays pauvres, il faudrait par ailleurs une augmentation de 40% de la production mondiale d’énergie, suivant les indications des Nations Unies, même s’il reviendra sur cette idée en insistant sur l’importance d’une approche ciblant la demande plutôt que l’offre.
  • Pour ce qu’il y a de l’offre, une plus longue section qui cherche à couvrir la question de «la transformation possible par la technologie» (188-193) aboutit finalement au constat qui aurait pu se faire dès le début, à l’effet qu’un ensemble de problèmes associés à l’exploitation de l’énergie fossile non conventionnelle «n’assurent pas un avantage insurmontable à ces sources d’énergie» (190 – sic, plutôt incompréhensible) et qu’il y a beaucoup d’inconnus quant au potentiel des énergies renouvelables, même si celles-ci comportent «une technologie qui avance beaucoup plus vite qu’on ne le croit» (191). Mousseau revient ici à certaines propositions des environnementalistes qu’il rejette plus tôt parce que ceux-ci se font berner par leur désir de régler la menace des changements climatiques.

L’ensemble va directement à l’encontre des deux articles intéressants de Philippe Bihouilx dans la collection; on peut bien comprendre l’inclusion d’articles de points de vue différents, mais la qualité des textes de Bihouilx aurait permis de conclure que celui de Mousseau n’avait pas sa place. Dans une dernière section (193-199), Mousseau aborde «la transformation du rapport énergie-citoyen» pour cibler (i) l’importance pour l’avenir des pays pauvres de la production distribuée d’énergie, (ii) la transformation de la demande qui est majeure mais toujours mal comprise et qui n’offre donc pas, actuellement, un scénario de remplacement pour ceux rejetés par Mousseau et (iii) la tendance de remplacement de la propriété par le service.

  • Il propose comme alternatives dans ces courtes sous-sections ce qui finalement revient en bonne partie aux propositions de la Commission Brundtland, il y a plus d’un quart de siècle, de reconnaître et de régler en priorité les inégalités en matière d’énergie, cela jumelé aux propositions du mouvement environnemental pendant aussi longtemps; il y rejoint même différents éléments des travaux de Rubin.

Le rejet de Rubin est tellement fort, tout en étant presque gratuit, que j’ai relu Why Your World Is Going To Get a Whole Lot smaller : Oil and the End of Globalization (2009, le livre de Rubin qui lui sert de référence) ainsi que The End of Growth : But is That All Bad? (2012, successeur du livre de 2009 dont la traduction est parue en 2012, dont Mousseau ne parle pas). Le deuxième livre consacre un chapitre complet sur les enjeux pour les pays pauvres de la sortie du pétrole. Rubin y flotte entre le recours à ‘zero growth’ et ‘slower growth’, confusion qui marque de façon frappante la conclusion.

Cette confusion, qui se trouve partout dans le premier livre aussi, semble résulter, comme pour Mousseau, d’un refus par Rubin de voir un effondrement des sociétés en cours; Rubin juge les auteurs de Halte à la croissance des «prophètes de malheur» (204) et cible surtout la croissance démographique comme le défi principal des pays pauvres dans l’ensemble du chapitre 9, ‘All Bets Are Off’.

La volonté de l’humanité – celle de la COP21?

L’article de Mousseau termine en reprenant le thème du début à l’effet que «la fin de l’ère fossile ne surviendra pas par manque de ressources, mais bien par la volonté de l’humanité de limiter la catastrophe climatique… La décroissance énergétique ne peut être une cible planétaire. Il faudra, avant d’y arriver, permettre à tous d’avoir accès à suffisamment d’énergie pour atteindre une qualité de vie satisfaisante tout en trouvant le moyen de limiter le coût environnemental global de cet effort social» (199-200).

Autant Mousseau rejette avec ce qui passe proche d’un mépris les interventions trop simplistes ou tout simplement erronées de nombreux intervenants dans le débat, qui manient «une baguette magique» (185), autant il se montre lui-même pris par un tel «mirage» (185) en prenant un ton moralisateur qui n’aboutit pas à la moindre proposition convaincante de solution. Tôt dans l’article et jusqu’à la fin, il aborde la question des inégalités énergétiques et sociales, mais nulle part il ne reconnaît que de telles questions ont déjà été abordées de façon assez directes par le GIEC dans son calcul du budget carbone complété par Gignac et Matthews dans leur recours (suivant Brundtland) par l’approche contraction-convergence à l’allocation de ce budget parmi les nations. Il est, par ailleurs, surprenant de ne pas voir de mention des contraintes suggérées par l’empreinte écologique, qui complète le portrait en soulignant que l’humanité dépasse déjà de moitié la capacité de support de la planète.

Le défi ainsi présenté n’est ni reconnu ni abordé par Mousseau, qui semble insister que toute approche qui «perturbe fortement l’économie mondiale» (185) est inacceptable, rejoignant en cela les négociateurs à Paris lors de la COP21. Mousseau semble rejeter les analyses de Rubin et de beaucoup d’autres plus en raison de leurs conclusions qui voient comme inévitables de telles perturbations qu’en raison de la faiblesse de leurs arguments, qu’il n’analyse pas dans son court texte et présente comme évidente. Il insiste que nous sommes loin de la «révolution énergétique annoncée» par Rubin (186 – Rubin n’utilise pas le terme) et exigeant des diminutions importantes dans notre consommation d’énergie en raison du prix élevé associé à l’arrivée au pic du pétrole. Pourtant, le contraire semble vraisemblablement être le cas: les contraintes associées à l’énergie fossile perturbent grandement l’économie mondiale actuellement, cela indépendamment de mesures à venir qui pourraient cibler les changements climatiques.

Finalement, Rubin ne semble pas se tromper dans ses principaux constats, soit que le prix du pétrole est voué à une hausse en permanence, entrecoupée de récessions occasionnées par les hausses, et que le prix plancher avec chaque récession risque d’être plus haut que celui de la récession précédente – c’est la tendance à la hausse qui importe. Il est frappant que le retrait du pétrole qu’il décrit comme nécessaire n’aboutit pas à ses yeux à l’effondrement des économies des sociétés fondées sur le pétrole. Plutôt, les sociétés de l’avenir doivent surtout revenir «simplement» à des économies locales et apprendre à vivre avec certaines restrictions. Autant il critique les économistes dans leur adhésion au modèle de l’offre et de la demande, autant il rejette l’idée (en 2009) que la situation représente la fin de la croissance (97, 192, 206-207), se montrant finalement un économiste lui-même dans ses intuitions.

Ceci semble expliquer l’absence de presque toute préoccupation majeure pour les impacts du retrait du pétrole et d’un portrait qui serait à tirer d’une telle préoccupation. Ceci à son tour semble expliquer l’absence dans les deux livres de toute reconnaissance de limites dans les cycles de récessions et de reprises et donc de l’identification – du moins, la reconnaissance – d’un prix limite au-delà duquel l’économie risque de s’effondrer. En 2016, six ans après la sortie de son premier livre, nous devrions nous attendre selon cet argument à une nouvelle reprise et une nouvelle hausse du prix, allant plus loin que la dernière.

La principale difficulté pour récupérer Rubin semble être le fait que le prix actuel et prévisible sur plusieurs années est plutôt bas, situation dont Rubin est bien au courant. Soit il semble que nous serions dans le creux d’un autre cycle, soit que nous serions dans le processus d’effondrement de Halte que Rubin et Mousseau rejettent. Gail Tverberg offre une perspective intéressante à cet égard dont Rubin ne parle pas, à l’effet que la baisse du prix suggère que l’économie mondiale a frappé dans les dernières années le maximum qu’elle est capable d’absorber, et que la baisse actuelle représenterait un élément dans l’effondrement du système concernant lequel le Club de Rome reste toujours beaucoup plus convaincant que Mousseau, voire Rubin.

À la recherche d’une vue de la décroissance en ce qui concerne l’énergie

On reste perplexe quant à la place de l’article de Mousseau dans le livre, voire dans les perspectives de décroissance mises de l’avant par de nombreux intervenants. Ceux-ci partagent la conviction de Mousseau qu’il faut s’attaquer aux inégalités, énergétiques et sociales, mais cela sans insister sur la «transition en douceur» qui est loin de se montrer une évidence, sans insister sur un recours aux technologies comme composante critique de la transition et sans insister sur la nécessité d’une économie mondiale non perturbée et où les défis dans l’accès aux ressources déterminent les options pour une transition non en douceur.

Abraham, co-éditeur du livre, fait référence à Halte à la croissance dans son intéressant article «Faire l’économie de la nature», placé juste après celui de Mousseau. Il l’associe à l’arrivée de la critique écologique dans les années 1960 et 1970 et à la remise en question de la théorie économique où «la nature ne compte pas». S’y joignent des analyses du travail complémentaire de Georgescu-Roegen sur la loi de l’entropie et de Daly sur l’économie écologique (213-223). Il s’agit du début d’un ensemble d’interventions signalées dans ce blogue.

Pour conclure, et pour souligner un élément fondamental de ma critique de l’analyse de Mousseau, il y a lieu de revenir sur son rejet de base, soit des liens entre les problèmes associés à l’accès aux ressources coûtant de plus en plus cher, la progression des changements climatiques et l’effondrement du système économique lui-même; en fait, pour Mousseau, il n’y a pas de problème de ressources, et il n’y aura pas d’effondrement.

Turner LtG graphique

Graham Turner, dans sa mise à jour de Halte (LtG) en 2012 en fonction des données sur 40 années d’expérience réelle, conclut dans le sens contraire:

The data review continues to confirm that the standard run scenario represents real-world outcomes considerably well. This scenario results in collapse of the global economy and population in the near future. It begins in about 2015 with industrial output per capita falling precipitously, followed by food and services. Consequently, death rates increase from about 2020 and population falls from about 2030 – as death rates overtake birth rates… The collapse in the standard run is primarily caused by resource depletion and the model response of diverting capital away from other sections in order to secure less accessible resources. Evidence for this mechanism operating in the real world is provided by comparison with data on the energy required to secure oil. Indeed, the ÉROI has decreased substantially in recent decades, and is quantitatively consistent with the relevant parameter in the World3 model. The confirmation of the key model mechanism underlying the dynamics of the standard run strengthens the veracity of the standard run scenario. The issue of peak oil has also affected food supply and evidently played a role in the current global financial crisis. While the global financial crisis does not directly reflect collapse in the LtG standard run, it may well be indirectly related.[2]

La contribution de Mousseau à un livre consacré à différents aspects de la décroissance qui est en train de s’imposer se trouve presque en marge du portrait d’ensemble présenté, et on reste sur sa soif quant à la vue de l’énergie dans le portrait de la décroissance. Finalement, il s’agirait d’un portrait où l’analyse suivrait les pistes d’Abraham et où du Club de Rome servirait de balise et de défi. On verra les limites des interventions morales et politiques dans notre progression vers une décroissance imposée, un effondrement du système économique presque inéluctable.

 

[1] J’y consacre un assez long article pour Québec humaniste à paraître sous peu dans un effort de décoder le fond de sa pensée, que je commenterai sur le blogue. Ici, c’est le fond de la pensée de Mousseau qui est la cible de mon attention.

[2] Source : Graham Turner http://www.smithsonianmag.com/science-nature/Looking-Back-on-the-Limits-of-Growth.html#ixzz1t4wdwc7g  et, plus généralement   http://www.csiro.au/files/files/plje.pdf

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La COP21 – et l’après…

Les articles récents produits pour ce blogue et ciblant les enjeux pour la COP21 ont été plutôt longs, plutôt compliqués, plutôt rébarbatifs pour certains lecteurs. À  l’arrivée de l’événement, j’ai saisi l’occasion de produire une version synthèse de mes réflexions, et de mes conclusions.

Tout d’abord, commercemonde.com, piloté par Daniel Allard, m’a offert une tribune pour un texte éditorial. Je me suis permis de centrer l’article sur une intervention du groupe financier Mercer, qui préparait déjà ses conseils pour les investisseurs en fonction de quatre scénarios, dont trois présumait l’échec de la COP21; Mercer soulignait que les engagements de la Chine dans l’entente «historique» de décembre 2014 comportaient une hausse de la température de 3°C… J’intitulais le texte «COP21 : un échec annoncé».

J’ai décidé par la suite d’adapter le réflexion pour un texte à soumettre aux journaux. Le Soleil a retenu le texte, et l’a publié le 2 décembre. Je l’intitulait «L’échec de la COP21 : le scénario du réel», ce que Le Soleil a modifié pour «Se préparer pour l’échec de la COP21».

US Energy Information Administration: projections jusqu'en 2035

Les suites

Voilà donc une lecture moins fastidieuse que celle des récents articles. Clé de l’analyse que je propose: un budget carbone calculé par le GIÉC et un travail d’allocation de ce budget par des chercheurs québécois. La conclusion me paraît incontournable..

Issue prévisible, presque inévitable, même si c’est sûr qu’il y aura une entente quelconque à la sortie de la COP21 : les pays riches vont décider de courir le risque de continuer à mitiger les impacts de leur développement économique en espérant que les pays pauvres seront forcés de rester dans leur situation de pauvreté relative. C’est ce qui marque nos relations depuis près d’un siècle (ou plus) et il y a peut-être de l’espoir à leurs yeux que le développement économique de la Chine et de l’Inde, pour ne mentionner que ces deux pays qui hébergent presque la moitié de l’humanité, s’effondrera. Sinon, les pays riches vont accompagner les pays pauvres dans l’effondrement.

Les conséquences de l’échec à Paris, les implications de cette conclusion, me paraissent également incontournables. J’ai eu l’occasion de les esquisser en répondant à une question d’un journaliste: «Est-il possible, comme le souhaite Mme Figueres, même si COP 21 n’atteint pas la cible, qu’on arrive au but lors des rencontres subséquentes, dans les années à venir?». La réponse:

Cela fait deux ans, à peu près, que les responsables français et des Nations Unies travaillent vigoureusement et bien pour que la COP21 réussisse; le rapport du GIÉC est sorti septembre 2013 et début 2014. Le calcul du budget carbone – admettons qu’il puisse être approximatif, comportant toutes sortes d’hypothèses, tout comme le travail du GIÉC en général – représente la balise de base, et non pas la date de la COP21.
Sauf que le budget carbone est contraignant dès sa conception, comme le montre l’article de Gignac et Matthews, et comme l’a souligné Figueres en admettant, à ma surprise, qu’ils n’ont pas réussi à atteindre la cible pour Paris en dépit de tous leurs efforts, et en dépit de l’urgence que les personnes qui connaissent le dossier reconnaissent. L’urgence vient du fait que les émissions sont toujours en croissance, et plus on tarde à les contrôler, plus le contrôle est difficile parce que plus le budget est diminué.
Le problème de base est qu’il n’y a presque personne qui veut reconnaître que nos économies dépendent presque absolument du pétrole et du charbon et du gaz pour fonctionner. La référence au court texte de Gaël Giraud aide à voir l’importance de ceci, même si on doit admettre qu’il critique la position de la grande majorité d’économistes (qui méritent d’être critiqués!); je prends l’échec des travaux de Jeffrey Sachs et du DDPP comme indication que Giraud a raison. L’argument à l’effet que les énergies renouvelables ne peuvent remplacer l’énergie fossile est peut-être plus compliqué, mais presque pas reconnu. La photovoltaïque fournit un rendement pas beaucoup plus élevé que les sables bitumineux, et dans les deux cas, le rendement est beaucoup trop bas pour maintenir les activités de nos sociétés comme l’énergie fossile le fait.
Plus nous tardons, plus l’impossibilité de maintenir notre activité économique deviendra évidente, je crois, et plus difficile il sera d’organiser la transition qui s’impose. Voilà à mon avis pourquoi l’échec de Paris représente un vrai échec et que l’idée de poursuivre les travaux comme avant représente une illusion.
Confronter l’échec: travailler pour une réduction de notre consommation d’énergie de moitié?
Presque la seule coupure que je vois dans la parution au Soleil est cette phrase:

Les manifs, les marches, les intenses efforts de sensibilisation auprès des populations menés depuis plusieurs années par une multitude d’organismes de la société civile, avec 350.org à la tête, ne tiennent tout simplement pas compte de cette contrainte [du budget carbone].

J’avais circulé un lien au récent texte de Gaël Giraud fourni par Thérèse Lavoie dans un commentaire sur l’article sur Dépossession, qui se penche sur la relation entre la croissance économique et l’utilisation de l’énergie, «l’élasticité» de la relation. Pour les économistes, cette élasticité est d’environ 10%, rien pour nous préoccuper; Giraud montre que c’est plutôt de l’ordre de 60%; il n’y aura pas de croissance virtuelle. Notre dépendance est ainsi soulignée, et il ne reste d’espoir pour les promoteurs de l’économie verte que la capacité des énergies renouvelables de remplacer l’énergie fossile – entendons-nous, à presque 100% – et cela à court terme, cela à l’échelle planétaire.
Il me semble raisonnable de présumer que l’ensemble de l’humanité ne réussira pas à se sevrer de l’énergie fossile à temps et que des perturbations importantes se profilent à l’horizon comme conséquence. Le Québec se trouve quand même dans une situation extrêmement favorable face à cette situation: pour le moment, nous avons des surplus d’électricité, et pour les moyen et le long termes, nous avons dans le réseau hydroélectrique un approvisionnement stable et fiable. L’alternative à l’espoir dans les énergies renouvelables semble s’imposer: commencer rapidement à planifier une diminution radicale de notre consommation d’énergie, ciblant environ la moitié en termes absolus = notre électricité. Il ne semble même pas nécessaire que cela comporte une transformation défavorable de la société…
On se souhaite bonne chance…
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Découverte, la Chine et la COP21

Le printemps dernier, le groupe financier Mercer a publié un rapport pour ses investisseurs qui ciblait les risques et les occasions d’affaires associés au changement climatique. Pensant à ce qui pouvait sortir de la Conférence des parties (COP) sur la question du changement climatique, le rapport formule quatre scénarios pouvant guider les décisions d’investissement: (i) Transformation, dans le contexte d’une hausse maximale de 2°C, (ii) Coordination (sic), en présumant d’une hausse de 3°C,(iii) Fragmentation avec dommages limités et (iv) Fragmentation avec dommages importants, ces deux derniers présumant d’un contexte d’une hausse de peut-être 4°C.

Le rapport de Mercer note que le respect de l’entente de décembre 2014, qui verrait la Chine maintenir son engagement «historique» de réductions à partir d’un pic de ses émissions en 2030, rendrait probable le scénario Coordination et une hausse de température catastrophique de 3°C…

Chongqing en 2010

La Chine mise au pilori par Découverte

Ce n’était pas dans mes intentions de regarder la trajectoire pour la Chine développée par le DDPP. Le visionnement de l’émission Découverte du 22 novembre dernier m’a changé d’idée. L’émission portait sur Solar Impulse 2, l’avion mu entièrement par énergie solaire, en train de faire le tour de la planète, et actuellement à Hawaïi en attendant le retour au printemps d’une météorologie favorable à la poursuite du voyage.

En soi, le projet est intéressant, réunissant de nombreux travaux contemporains en matière d’énergie renouvelable, en l’occurrence l’énergie solaire : le fuselage et les ailes de l’avion sont couverts de paneaux solaires pour capter le rayonnement et il est équipé de batteries capables d’emmagasiner l’énergie nécessaire pour le vol pendant la nuit. En général, l’initiative représente une aventure high tech qui cherche à relever le défi de faire le tour du globe sans énergie fossile.

L’émission prétend dès le début que le projet «démontre qu’il est possible de relever le défi des énergies renouvelables»; «l’objectif de ce défi historique est de prouver que les technologies propres permettent d’accomplir l’impossible et apporter des solutions pour une meilleure qualité de vie sur la planète» (texte tiré de la description sur le site). Ceci passe proche d’être une connerie, et il n’est pas digne de Découverte de se faire le promoteur sans nuances d’un tel discours.

Et voilà la raison de mon intervention. L’émission se transformait, finalement, en une tribune offerte aux deux grands responsables de l’aventure, Bertrand Piccard et André Borschberg, des personnes qui, dans les années 1990, ont réussi à faire le tour du globe en ballon. Lors de l’étape du voyage de Solar Impulse 2 passant par la Chine, un arrêt à Chongqing nous montre Piccard en train de traverser la ville en voiture alors que la ville connaissait une journée de smog important. L’aventurier se lance dans un discours soulignant comment l’énergie solaire (et les autres énergies propres) constituent la réponse aux problèmes du monde. L’animateur Charles Tisseyre intervient en décrivant l’arrivée en Chine :

Les choses sérieuses vont commencer. Avec 35 millions d’habitants, Chongqing [est] une mégalopole gorgée d’énergie fossile … et dont l’air est saturé de particules fines. Le projet prend ici plus qu’ailleurs tout son sens. (vers la minute 8).

Cela sert d’introduction pour Piccard, qui poursuit :

Tout ce qu’on voit ici pourrait très bien exister avec un taux de pollution acceptable, pourrait très bien exister avec très peu d’émissions de CO2, à condition que ces maisons [dont des édifices de 40 étages partout!] soient isolées [comme si elles n’en avaient aucune…], qu’elles aient du double vitrage, qu’elles puissent économiser du chauffage et d’air climatisé, à condition que toutes ces voitures soient électriques, à condition qu’on ait des systèmes d’éclairage au LED, de nouveaux processus industriels. Il ne faut pas se battre contre tout cela. Il faut simplement voir que cela peut exister avec 75% d’émission de CO2 en moins… Ça montre jusqu’où on peut aller dans le possible avec les technologies propres.

C’est indigne de Découverte que de diffuser de tels propos simplistes, voire méprisants, digne du discours d’anciens colonisateurs qui savaient en arrivant qu’ils comprenaient mieux que les colonisés ce qui était et est dans leur intérêt. Je me trouve à utiliser cette image exagérée tellement l’émission manque son coup ici – et cela à 10 jours de la COP21 où ces enjeux pas si simples que cela seront à l’ordre du jour.

Les défis de la Chine (qui sont les nôtres)

À aucun moment pendant l’heure les responsables de l’émission ne se pensent obligés de commenter le discours de Piccard, sauf en louanges. La Chine est pourtant parmi les plus importants producteurs d’énergie renouvelable au monde, que ce soit des chauffe-eau solaires qui se trouvent partout dans le pays, des parcs d’éoliennes qui se trouvent également partout, des usines de production de panneaux photovoltaïques – le pays est de loin le principal producteur de panneaux solaires au monde (voir par exemple ceci), cette situation contribuant à la baisse importante du prix de fabrication de ces panneaux, en raison du coût moindre de main-d’œuvre en Chine par rapport aux pays européens.

Même si Solar Impulse 2 finit par contribuer du nouveau dans le domaine de l’énergie solaire, il est tout simplement invraisemblable que celles-ci aient la moindre contribution à faire aux énormes défis auxquels la Chine est confrontée. Découverte a laissé passer le discours sur le potentiel des énergies propres et renouvelables pour laisser l’impression – c’était presque explicite – que Solar Impulse 2 offrait le potentiel de sauver le monde face aux changements climatiques et aux pollutions occasionnées partout par les énergies fossiles, cela par la contribution qu’il est en train de faire et qui n’est même pas expliqué en détail devant le plus grand intérêt de l’aventure elle-même.

Nul arrêt non plus pour une réflexion sur le fait que toute la recherche sur l’énergie solaire photovoltaïque [1] indique que son retour sur l’investissement en énergie, son ÉROI, est tellement bas, en bas de 5, qu’elle ne représente aucun avenir par rapport à nos énormes défis, quitte à reconnaître qu’elle offrira sûrement certaines opportunités bien spécifiques.

J’ai donc décidé de regarder le DDP pour la Chine, puisqu’il s’agit d’une composante d’une initiative très sérieuse qui cherche à s’attaquer aux défis esquissés par Piccard. Le rapport permet de situer le discours rêverie du promoteur de Solar Impulse 2. Cela sans oublier que, dès le départ dans le résumé exécutif, nous nous trouvons devant des orientations à l’échelle nationale qui visent, suivant le travail fait par le gouvernement de la Chine et la Banque mondiale, à rendre la Chine un pays à revenu élevé (comme nous…).

DSC06358Le rapport rend clair pourquoi le DDPChine n’arrivera pas à faire mieux que le DDPCanada face aux défis des changements climatiques, mais ce n’est pas parce que les responsables chinois manquent quelques éléments scientifiques et technologiques que Solar Impulse 2 pourrait leur fournir… En même temps, il ne fournit aucune information sur le niveau de réductions que la trajectoire pourrait atteindre et ne parle même pas du budget carbone et du défi de rester en-dessous de 2°C. Il faudrait embarquer dans des calculs pour y arriver; le rapport sort du moule du DDPP tellement un cas à part, cherchant à rendre sa population, 20% de la population mondiale, l’égale de la nôtre en termes de niveau de vie. Même si l’on n’arrive pas à un chiffre dans le document, l’entente Chine-États-Unis, repris plutôt dans le détail dans le rapport, nous en fournit. Le groupe financier Mercer l’a analysé et conclut, pour le rappeler, qu’il permettrait une contribution laissant la hausse de température à 3°C ou 4°C…

Finalement, le rapport DDPChina en est un d’un pays qui se voit comme à l’époque de Kyoto, n’étant pas ciblé pour les réductions requises des pays riches. En fait, depuis ce temps, la Chine est devenu un pays où l’empreinte écologique par personne et les émissions globales font qu’elle fait partie maintenant du problème et sujette aux réductions.

Ce qui manque à Solar Impulse 2

Piccard n’est même pas dans le jeu. La Chine veut devenir comme nous (une ancienne colonie voulant devenir comme les métropoles…), cela devant le défi impressionnant de le faire pour une population de près de 1,4 milliards de personnes, dont nous considérerions les trois quarts pauvres… Ses ressources sont limitées pour cela, tout comme le temps dont elle dispose en raison des contraintes résultant d’un siècle de développement extravagant des pays riches, fonction en grande partie des énergies fossiles. Une belle lecture de la situation est représentée par In Line Behind a Billion People: How Scarcity will define China’s Ascent in the Next Decade. C’est tout un contraste avec ce qui a été présenté de manière simpliste le 22 novembre…

En ce qui concerne les énergies renouvelables, le discours de Piccard et de Découverte profiterait de la lecture de L’âge des low tech, de Philippe Bihouilx, produit par un ingénieur qui connaît quelque chose des enjeux associés, entre autres, à la disponibilité (limitée) et à l’utilisation (problématique) des ressources impliquées nécessairement dans tout effort de développer les énergies renouvelables à grande échelle. Le livre commence à nous fournir quelques éléments du portrait de rareté que Piccard jette par-dessus bord (pour le ramener à terre/à l’eau avec l’image) dans ses propos. On peut en trouver le résumé dans deux chapitres qu’il a contribué à Creuser jusqu’où, récente publication chez Écosociété.

Plus généralement, ce qui manque dans le discours de Piccard est une reconnaissance des travaux du GIÉC qui seront au coeur des pourparlers (et de l’échec) de la COP21. Le GIÉC avait publié les différentes parties de son cinquième rapport d’évaluation de la situation en 2013 et 2014. Ce rapport tablait sur un consensus établi par les quelque 200 pays réunis dans les COP à l’effet qu’il est essentiel de garder la hausse de température sous les 2°C et calculait le «budget carbone» qui est en cause.

Il s’agit d’un nouvel élément dans les processus marquant nos décisions d’affaires et dans nos décisions comme sociétés, comme pays. Les représentants des gouvernements qui sont à Paris pour la COP21 pendant les 10 prochains jours se butent aux contraintes dramatiques qui sont en cause. Une étude québécoise nous fournit des explications de cette situation. En juillet 2015, Renaud Gignac et Damon Matthews ont publié leurs calculs sur les implications du budget carbone pour l’ensemble des pays sous le titre «Allocating a 2°C carbon budget to countries»; l’article est intéressant dans le contexte de ce billet par le fait qu’il suit la situation de la Chine à travers ses calculs. En bref: le respect du budget carbone dans le contexte du maintien de notre modèle de développement est impossible… On est loin du constat de Piccard: «Il faut simplement voir que cela peut exister avec 75% d’émission de CO2 en moins»…

 

 

 

[1] Charles A. S. Hall et Pedro A. Prieto ont fait une étude en fonction de données réelles pour l’énergie photovoltaïque installée en Espagne : Spain’s Photovoltaic Revolution : The Energy Return on Investment (Springer 2013). Ils avaient auparavant présenté un sommaire des résultats des travaux dans une présentation à l’Association for the Study of Peak Oil (ASPO) en 2011 et y fournissent les conclusions : l’ÉROI pour l’énergie photovoltaïque est entre 2 et 4, de la même importance que celle des sables bitumineux, et insuffisante pour soutenir la civilisation.

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La trajectoire pour le Canada du DDPP: on exploite les sables bitumineux, mais…

Les travaux du DDPP incluent des documents qui présentent des trajectoires possibles pour les 16 pays qu’il réunit pour le moment. Il établit le contexte pour son travail en divisant le budget carbone résiduel en 2050, tel qu’établi par le GIÉC, par la population projetée pour cette année; les principes de l’approche contraction/convergence sont implicites dans le calcul. Il s’agit d’une allocation de 1,7 t/personne pour toute l’humanité, alors que, actuellement, les Canadiennes sont responsables d’une consommation de 21 t/personne. Le travail du groupe canadien (qui n’a aucun lien avec le gouvernement) est d’identifier des pistes – une trajectoire – qui permettraient d’atteindre la cible, ce qui comporte une réduction de plus de 90% des émissions actuelles.

L’équipe a produit un rapport en septembre 2014 et a publié un rapport de deuxième phase en septembre 2015. Dans les deux cas, les rapports publiés ne sont que de quelques dizaines de pages, mais sont basés sur une documentation volumineuse qui ne semble pas être disponible.

Suncor Greenpeace

Concevoir l’avenir du Canada en fonction de l’exploitation des sables bitumineux

Tout le document de 2014 se fonde sur le jugement que l’exploitation des sables bitumineux constituera un élément de base de l’économie canadienne pour les prochaines décennies, ainsi «taking into account national socio-economic conditions, development aspirations, infrastructure stocks, resource endowments, and other relevant factors.»

The focus of this analysis has been to identify technically feasible pathways that are consistent with the objective of limiting the rise in global temperatures below 2°C. In a second—later— stage the Country Research Partner will refine the analysis of the technical potential, and also take a broader perspective by quantifying costs and benefits, estimating national and international finance requirements, mapping out domestic and global policy frameworks, and considering in more detail how the twin objectives of development [lire: croissance économique] and deep decarbonization can be met. (p.1)

Le rapport signale trois caractéristiques particulières pour le Canada: (i) la taille du territoire, le climat et – surtout, doit-on dire – l’importance du secteur de l’extraction des ressources, en particulier des sables bitumineux; (ii) la nécessité d’inclure à toutes les étapes des mesures technologiques pour contrer les émissions en cause; (iii) des contraintes politiques, économiques et technologiques importantes. Comme les auteurs soulignent:

It is important to remember that this pathway is not a forecast, but rather an illustrative scenario designed to identify technology-related needs, challenges, uncertainties, and opportunities. …  current political realities were suspended, and important assumptions were made …

The Canadian deep decarbonization pathway achieves an overall GHG emission reduction of nearly 90% (651 MtCO2e) from 2010 levels by 2050, while maintaining strong economic growth (see Table 1). Over this period, GDP rises from $1.26 trillion to $3.81 trillion (real $2010 USD), a tripling of Canada’s economy. (p.6)

Le travail, tenant compte du contexte fourni par une croissance démographique assez importante et cette augmentation majeure de l’activité économique, porte une attention particulière aux secteurs industriel et des transports; les perspectives pour les secteurs du bâtiment et des transports s’avèrent plutôt positives. Il identifie des interventions en matière de technologies, d’utilisation d’énergie et de structures économiques pour fournir les pistes permettant d’atteindre la cible.

Au Canada, les principales sources d’énergies deviennent les énergies renouvelables et la biomasse et, comme le texte souligne, le tout n’est pas dépendant d’une seule approche; différentes alternatives sont envisageables selon les circonstances. Complémentaire à ce changement de source d’énergie, l’efficacité énergétique et l’intensité en énergie de l’activité économique amène une hausse de seulement 17% dans la consommation d’énergie avec une hausse du PIB de 203% (p.7 – il semble y avoir confusion avec le 302% mentionné à la page 6).

Le portrait est hallucinant, mais l’objectif est de nous fournir les options envisageables dans le cadre de la volonté de maintenir la croissance; même la technologie de la capture et séquestration de carbone (CCS) n’est pas jugée essentielle, surtout devant le coût prévisible qui la rendrait non viable sur le plan commercial (p.12). Dans la trajectoire esquissée, la production de pétrole et de gaz double, mais c’est surtout pour exportation. Le recours à la CCS à un coût abordable est jugée essentielle dans le cadre d’une trajectoire qui restreint les réductions à des interventions canadiennes, cela en soulignant que la production de pétrole est surtout pour exportation et qu’une collaboration internationale est à rechercher à ce sujet (p.14).

Le rapport identifie quatre hypothèses pour gérer les incertitudes reliées aux secteurs problématiques: la demande pour le pétrole et le gaz va rester importante, même avec la décarbonisation profonde; toutes les réductions des émissions se font au Canada, un point de départ pour le DDPP mais jugé préoccupant; il n’y a pas de changement dans le commerce international pour l’économie canadienne; il y aura beaucoup d’innovation pour stimuler les réductions.

As mentioned previously, the Canadian deep decarbonization pathway assumes that international demand for crude oil and natural gas remains substantial. If international oil prices remain above the cost of production, continued growth of the Canadian oil sands sector (with decarbonization measures) can be consistent with deep emission reduction efforts and would support continued economic development.

The literature conflicts on whether production from the oil sands can be cost-effective in a deep decarbonization scenario; the answer depends on policy, the cost of reducing production emissions, and assumptions regarding transport energy use and efficiency. However, the International Energy Agency’s World Energy Outlook 2013 indicates that even in a 450 ppm world, oil sands production could remain at levels similar to today or higher. (p.12)

Finalement, ce premier jet conclut en soulignant que le coût des réductions dans les deux secteurs problématiques de l’industrie lourde et de l’extraction et du raffinage de l’énergie reste toujours très élevé. En dépit du constat que tout est possible, ils proposent d’y revenir dans la deuxième étape du travail, en ciblant le rôle d’une approche  internationale (en fait, un retour aux types de mécanismes associés au Protocole de Kyoto).

Le prix du pétrole plus déterminant pour l’économie canadienne que le défi de la décarbonisation profonde (p.22)

Dans le rapport de 2015, on projette les tendances actuelles vers 2050, sauf que la base des projections est le prix projeté du pétrole sur les 35 prochaines années: la structure de l’économie canadienne est tellement liée à l’exploitation des sables bitumineux que le rapport se trouve obligé de construire ses scénarios tout en soulignant que «dans un monde en train de se décarboniser, nous ne savons tout simplement pas comment la demande et l’offre pour le pétrole et pour d’autres biens intensifs en émissions vont interagir et où les prix vont se trouver» (19, 20).

Le rapport de 2015 comporte donc une première section sur l’impact du prix du pétrole sur le développement des sables bitumineux. Ce faisant, il donne suite au constat de 2014 à l’effet que le contexte international pourrait être déterminant pour la trajectoire canadienne, pensant à la nécessité de trouver les mesures les plus économiques pour les réductions des GES sans être obligé d’effectuer les réductions au Canada, surtout dans le secteur de l’extraction (sables bitumineux). En 2015, cette approche semble être transformée en partie en reconnaissant l’importance de la baisse dramatique du prix du pétrole sur l’économie canadienne, frappant directement le secteur de l’extraction mais également les industries lourdes.

Le DDPCanada part avec cette énorme incertitude pour l’avenir de l’économie canadienne, en utilisant le scénario de l’Office national de l’énergie (ONÉ) qui comporte l’hypothèse d’un prix bas pour le pétrole dans les prochaines décennies.

Reflecting the 2014 collapse in oil prices, we adopted the NEB [ONÉ] low price scenario, which at the time of report writing was the only publicly available and credible long-term forecast reflecting current market trends. In our reference case, the long-term price of oil stabilizes at a yearly average of $83 after 2030, rising from an average of USD $67 for 2015 (in 2014 dollars), driving 4.3 million barrels per day of oil production. Henry Hub natural gas prices are about USD $4.8 per million British thermal units (MMBTU) with production of 11 billion cubic feet per day. This reference case essentially has production ramping up to 2020 then more or less stabilizing in the longer-term, with GHG emissions more or less stabilizing from today. (p.11)

Avec la perspective pour un prix de pétrole qui reste bas, l’économie canadienne verra une exploitation des sables bitumineux d’environ 4,3 millions de barils par jour pendant les prochaines décennies. Reconnaissant la fragilité de la projection du prix, le DDPCanada formule un deuxième scénario avec l’hypothèse d’un prix à la hausse pour le pétrole, fondé sur la projection moyenne de l’ONÉ.

The basis for the high oil price assumption is the 2013 NEB [ONÉ] medium reference benchmark. In this scenario, oil prices climb to USD $114 in 2035, which we then assume remains constant through 2050. Oil production consequently increases to 7.6 million barrels per day by 2050. Natural gas prices rise to USD $6.7 per MMBTU and natural gas production increases to 17.4 billion cubic feet per day. In this scenario, emissions are about 20 Mt higher in 2020, but then stay about 50 to 60 Mt greater than the reference case to 2050 (Figure 3)…

Figure 5 compares the GHG trajectory of the two scenarios, highlighting the significant impact that oil and gas prices have on Canada’s emission trajectory through production and consumption. The net impact of higher oil prices and production is to increase Canadian emissions by 47 Mt in 2050 or 7 per cent. (p.11)

Il s’agit d’une exploitation 3 fois supérieure à ce qui se fait aujourd’hui. Dans les deux scénarios, les auteurs décrivent ce qu’ils jugent comme une vision plutôt réaliste de l’avenir en termes des politiques et des comportements actuels. Le prix plus élevé voit l’exploitation des sables bitumineux, et les émissions, augmenter. Le réalisme inclut le jugement que, comme c’est le cas depuis des décennies, les défis environnementaux ne changeront pas les orientations économiques.

J’inclus ici pour faciliter le suivi de l’argument un long extrait qui explique la pensée derrière les deux scénarios de référence (avec prix bas et pris élevé):

Overall, net emissions are dominated by the upstream fossil production in either oil price scenario, with transport emissions [en baisse] only somewhat offsetting upstream emissions [en hausse]. The key dynamics are threefold. First, the higher oil prices scenario drives more fossil energy extraction, boosting sector emissions relative to our reference case by 82 Mt in 2050, or 12 per cent higher. Second, there is an offsetting net effect on emissions as oil prices impact long-term technology deployment on the consumption side. Higher oil prices discourage the consumption of gasoline and diesel, with emissions in the NEB medium scenario down 4 per cent or 27 Mt. Ongoing energy-efficient regulations dampen the transport emissions rebound as the fuel economy of the transport fleet significantly improves to 2050. The large relative drops of GHGs in both scenarios reflect Ontario’s coal electricity phase-out, which delivers emission reductions before 2015, but also the federal coal-fire power electricity regulations that reduce the emission intensity of electricity after 2020, despite a 50 per cent expansion in electric demand between now and 2050. Third, changes to energy prices induce minor fuel switching and changes to emissions in other sectors of the economy, such as buildings and industry. (p.11-12)

Voilà pour le réalisme du rapport, qui suit ici la même approche que le Conférence Board. C’est cette vision à laquelle Dialogues pour un Canada vert prétend répondre... Le rapport conclut en retournant aux travaux sur les trajectoires de référence.

In sum, oil prices, and not national decarbonization policy, are the key determinant of Canadian oil production and therefore our regional economic structure. Overall GDP is relatively unaffected, but with strong regional effects. Domestic deep decarbonization is feasible in all cases. (p.23)

2015: La DDPC, la trajectoire pour le Canada: On cherche à atteindre la cible du GIÉC ou Comment réaliser la croissance économique en respectant un rôle important pour les sables bitumineux

Le texte poursuit en rappelant la cible de 1,7 t/personne, à partir de 21 t/personne aujourd’hui, et maintient le seuil de probabilité de 67% (contrairement à ce que le projet global du DDPP se trouve obligé de faire avec leur mise à jour globale de 2015). La travail tient compte d’une population qui aurait augmenté de presque 50% (33M à 48M) et use croissance du PIB per capita qui le verrait passer de $37,000 à $78,000, plus du double.
La trajectoire pour une décarbonisation profonde de l’économie canadienne comporte plusieurs politiques: réglementation la meilleure de classe: contrôle de l’intensité de consommation d’énergie et d’émissions pour les bâtiments, les véhicules et les appareils ménagers ainsi que pour le transport personnel et de marchandises; contrôles exigeant des réductions de 99% des sources de méthane que constituent les sites d’enfouissement et les industries; établissement du prix de carbone différencié entre l’industrie lourde et le reste de l’économie; politique d’aménagement du territoire qui intègre la prise en compte des émissions.
La trajectoire compte six composantes sous trois régimes. Le premier régime est constitué des tendances actuelles en mode hautement accélérée, et comporte des interventions dans les processus d’électrification décarbonisée, dans la productivité (ou efficacité) énergétique et dans l’étanchement des fuites dans les sites d’enfouissement et dans les équipements et infrastructures pour le gaz. Un deuxième régime est décrit comme «nextgen» – «prochaine génération» – et comporte des interventions ayant recours à des technologies non encore disponibles; il touche la développement de carburants zéro émissions pour les transports et des procédés industriels décarbonisés. Le troisième régime est structurel et touche le fonctionnement de l’économie en relation avec l’évolution du prix du pétrole; il s’agit de la première section déjà esquissée.
 Le transport comporte des incidences différentes dans l'exploitation des sables bitumineux...
C’est un ensemble de mesures extrêmement contraignantes, allant à l’encontre de ce que les auteurs jugent la norme par le contrôle extrême qui serait exercé par l’État. Ils laissent entendre – c’est très clair – que la trajectoire développée es plutôt illusoire…
Our analysis and modelling indicate that this is truly a stretch scenario relative to current and forecast policy stringency. … These rather aggressive measures need to be implemented essentially immediately if deep decarbonization is to be achieved by 2050, which we as analysts realize is pushing the limits of plausibility. (p.13)
Bref, ils réussissent à concevoir une trajectoire qui pourrait permettre les réductions de GES de 90% tout en maintenant l’activité dans les sables bitumineux. Par contre, cette trajectoire n’est tout simplement pas plausible. On se bute à la faille de tout le processus du DDPP: il s’agit d’un exercice qui cherche à fournir aux décideurs en ensemble de mesures qu’ils ne pourront pas mettre en oeuvre selon les conditions établies – du moins dans le cas du Canada. Devant l’échec, aucune piste n’est fournie pour les gestes qu’il faudrait poser dans le cadre d’une décroissance prévisible de l’économie.
et l’auto dans tout cela
Le Conference Board, se penchant uniquement sur le secteur des transports, n’a même pas jugé pertinent d’esquisser dans le détail un scénario qui respecterait le budget carbone. Il jugeait que les mesures requises seraient beaucoup trop contraignantes et autoritaires pour le cadre canadien. Le DDPP le rejoint dans son jugement à cet effet ainsi à l’effet que sa trajectoire n’est pas plausible, mais fonce dans le détail.
À travers le rapport, les perspectives pour les transports personnels sont jugés plutôt capables de progresser dans la bonne direction (p. 6, 29s.); cela serait justement en raison de l’ensemble d’autres mesures proposées. À l’instar du DDPP, nous sommes devant une des contraintes fondamentales dans les travaux visant la formulation d’un accord à Paris: des projections qui se butent à un monde inconcevable, où il y aurait, par exemple, des milliards de véhicules personnels (incluant 1,2 milliard high tech) circulant dans l’imaginaire à travers une activité économique mondiale trois fois et demi celle d’aujourd’hui, mais décarbonisée.
Nulle part dans les travaux ne voyons-nous une réflexion sur les implications de tout cela, avec la consommation de ressources que nous pouvons dire inimaginables; nulle part nous n’y trouvons une réflexion sur l’alternative qui s’imposera de force – ou possiblement avec notre intervention… – une restructuration de l’économie canadienne, de l’économie mondiale, de la civilisation contemporaine dans le cadre d’une baisse permanente et dramatique de son activité.
Finalement, c’est un peu le pendant du tableau de la Fortune 500, où onze des douze plus importantes corporations du monde en 2012 étaient dans le secteur de l’énergie (fossile). Le nouveau gouvernement Trudeau va-t-il vraiment abandonner le rêve d’exploiter les sables bitumineux, de maintenir l’industrie automobile? Déjà, nous voyons le DDPCanada se plier aux dérapages qui auront lieu à Paris et après.
La baisse du prix du pétrole pourrait entraîner l’abandon imaginable de l’exploitation des sables bitumineux et d’autres sources d’énergie non conventionnelle. Est-ce que l’abandon imaginable de l’industrie de l’automobile, complément de celle de l’énergie fossile, fait partie de la réflexion qui s’impose. Est-ce que cela préfigure l’effondrement de la production industrielle projetée par le Club de Rome dans Halte à la croissance?

Quand même, dans un prochain article: L’émission Découverte, et le DDP pour la Chine…

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Le DDPP: la décarbonisation profonde est «plus ou moins» atteignable

NOTE Le 3 septembre: David Roberts, blogueur de Grist pendant 10 ans et maintenant de Vox, avait souligné comme moi l’importance des travaux du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) : il s’agit d’une initiative de dernière chance qui cherche à concilier les exigences du budget carbone du GIÉC avec la volonté de maintenir le modèle économique actuel fondé sur une croissance économique contre-intuitive devant l’ampleur du défi. Je l’ai contacté pour voir s’il en connaissait quelque chose concernant le retard d’une demi-année dans la sortie du rapport 2015, le délaissement du site web et une  adresse courriel qui ne fonctionnait pas. Pour moi, tous les moyens de contact étaient bloqués, les auteurs du rapport canadien ne répondant pas plus que ceux du DDPP. La réponse de son contact dans l’organisation n’a pas tardé: «The 2015 @Pathways2Decarb report will be released in late 2015 before COP21 & we’re relaunching the site in a few weeks!» – aucune explication fournie. Un résumé exécutif du document synthèse est sorti discrètement en septembre; on attend toujours le rapport lui-même.

En date du 25 novembre, le site web du DDPP est bloqué, avec le message (en espagnol): «Transferencia mensuel superada – Actualmente esta página se encuentra desactivada por haber superado la transferencia total contratada. – Por favor, vuelva a intentarlo más tarde. – Gracias por visitarnos.» Et il semble que le rapport promis pour le début de la COP21, le 30 novembre, n’est toujours pas sorti. Et voilà, en date du 27 novembre: le site est toujours bloqué en passant par une voie, mais est ouvert en suivant une autre; j’y trouve maintenant une version française du résumé exécutif 2015 que j’utilise pour fournir les citations en français dans mon texte, en laissant l’original en anglais.

Disons que c’est une initiative extrêmement exigeante, et que cela explique qu’il y ait des retards… Soulignons surtout que déjà le résumé exécutif de septembre nous informe que le DDPP a abandonné son objectif initial (voir plus bas). 

Le DDPP a publié son premier rapport (après un rapport préliminaire quelques mois plus tôt) pendant la rencontre aux Nations Unies en septembre 2014 convoquée par Ban Ki Moon pour préparer la COP21 et a promis, «dans la première  moitié de 2015», un rapport plus complet qui aborderait les enjeux sociaux, politiques et économiques encore plus problématiques que ceux, technologiques, du rapport de 2014:

In the first half of 2015, the DDPP will issue a more comprehensive report to the French Government, host of the 21st Conference of the Parties (COP-21) of the United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC). The 2015 DDPP report will refine the analysis of the technical decarbonization potential, exploring options for even deeper decarbonization, but also better taking into account existing infrastructure stocks. At this stage, we have not yet looked in detail at the issue of the costs and benefits of mitigation actions, nor considered the question of who should pay for these costs. The 2015 DDPP report will take a broader perspective, and go beyond technical feasibility, to analyze in further detail how the twin objectives of development and deep decarbonization can be met through integrated approaches, identify national and international financial requirements, and map out policy frameworks for implementation. (p.vi-vii)

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Pour avoir une explication partielle de l’échec annoncée de la COP21, il semble utile de regarder l’état des travaux du DDPP sur 16 pays représentant environ 85% de l’activité économique mondiale et 75% des émissions, et en incluant les pays du BRICS. Je propose de le faire en regardant les sous-sections du court résumé exécutif publié en septembre; les rapports par pays sont également disponibles et je reviendrai plus bas sur celui pour le Canada. Les sous-sections se présentent sous forme de questions. (suite…)

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