350.org : si j’étais environnementaliste

Avis : À noter à ce jour du 21 septembre que, si j’étais environnementaliste, je serais en train de faire campagne avec 350.org pour l’adoption des mesures proposées dans l’ensemble des documents prônant l’économie verte comme approche à favoriser face, entre autres, à la menace des changements climatiques. En effet, c’est sûrement cela que les groupes sont en train de faire, plutôt que de travailler à l’analyse la plus objective possible de cette approche et à l’alternative qui s’impose pour mieux nous positionner face aux risques devant nous. Je serais prêt à gager que 350.org, pas plus que les autres, n’a pas élaboré un programme pour l’atteinte de ses objectifs accompagné d’une analyse des risques associés à sa poursuite. Que tout soit orienté vers l’économie verte et qu’aucune analyse ne soit en train d’être faite en fonction des implications du pic de pétrole et de l’imminence apparente de l’effondrement projeté par le Club de Rome me paraît presque absurde. Le récent document signé Calderón et Stern montre encore une fois les risques que le mouvement est en train d’encourir sans en évaluer les conséquences de l’échec probable.

Ce n’est pas la première fois récemment que je me vois en train de lire un volumineux document prônant les objectifs du mouvement environnemental et signé par ceux qui ont refusé de les reconnaître et de les mettre en œuvre pendant des décennies. Le brassement autour de Rio+20 en 2012 nous en a fourni toute une collection sous la thématique de l’économie verte, et maintenant c’est le brassement autour des préparatifs pour Paris 2015 qui prend la relève. Le tout récent document déposé aux Nations Unies par Felipe Calderón et Nicolas Stern suit ceux du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) mené par Jeremy Sachs, Risky Business signé par les millairdaires Bloomberg, Paulson et Steyer et l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) sur l’importance de bien établir le prix de l’énergie. La plupart de mes récents articles portent sur ces documents, dont ceux du FMI.

La lecture attentive du The New Climate Economy Report constitue tout un défi. Des pages et des pages proposent ce que le mouvement environnemental propose depuis toujours. La différence : le rapport est le fruit du travail d’une commission formée de 24 décideurs, venant presque exclusivement des milieux économiques et politiques, conseillée par une quinzaine d’économistes de haut niveau, et il met l’accent sur la croissance économique – «economic prosperity and development» – que les nations doivent viser tout en contrôlant le dérapage du climat. On y trouve justement et entre autres les ministres de Finance de nombreux pays en complément aux politiciens qui les écoutaient pendant tant de temps. La menace des changements climatiques est maintenant craint partout, et finalement par de nombreux décideurs eux-mêmes, non sans un certain déni évident (comme dans le DDPP) devant les contraintes énormes (insurmontables) qu’ils reconnaissent tout au long du document.

Le défi est de voir ce qui est changé dans la pensée de ces politiciens et économistes qui leur permet d’accepter d’emblée l’agenda des mouvements environnemental et social. Tout y est ou presque dans la vision d’une «meilleure croissance qui améliore la qualité de vie à travers les dimensions du revenu, de meilleure santé, de villes plus vivables, de résilience, de réduction de la pauvreté et de l’innovation plus rapide» tout en atteignant un «meilleur climat» (41). Il faut également essayer d’évaluer l’importance du fait que ces décideurs des milieux économiques, suivant les interventions du FMI, (i) acceptent l’importance de tenir compte des coûts des externalités (qu’ils préfèrent appeler des «market failures», des défaillances des marchés) tout en (ii) négligeant complètement une partie importante de ces externalités. Dans l’ensemble, les coûts de ces externalités représentent entre les deux-tiers et les trois-quarts du PIB lui-même, selon les calculs d’indices de progrès véritable faits pour de nombreux pays.

 

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La première partie de la réponse semble claire : le rapport du GIEC et l’expérience presque quotidienne de dérèglements climatiques ne permettent plus le déni (en oubliant Harper et même Couillard). Par contre, le rapport insiste qu’il «ne porte pas sur les mesures pour réduire les émissions de GES, que d’autres ont fait de façon compréhensive» (p.12). Le programme «compréhensif» du DDPP, probablement le plus important proposé à date, n’arrive pas à atteindre les résultats nécessaires pour respecter les calculs et l’échéancier du GIEC.

L’analyse de la deuxième partie de la réponse est le vrai défi : le rapport entérine une croissance économique pour les prochaines décennies qui est presque hallucinante (sauf pour les économistes) et cherche à fournir les pistes (suite…)

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Le schiste : la bulle financière de notre temps

Il y a lieu de croire que l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste n’est pas rentable, et l’accent sur ces nouvelles ressources (en y ajoutant les sables bitumineux) représente l’équivalent d’une bulle financière. Les coûts de l’exploitation sont tels que des analystes connaissant les enjeux financiers et économiques en cause prévoient l’éclatement de la bulle d’ici quelques années à peine. Une telle analyse fournit une perspective différente pour la résistance qui s’impose alors que nous nous approchons de l’effondrement de notre système économique actuel.

[voir les deux mises à jour à la fin de l’article pour d’autres références]

Il y a une sorte de découragement au sein des groupes écologistes face au développement des énergies fossiles non conventionnelles, surtout le pétrole et le gaz de schiste, mais aussi les sables bitumineux. Dans une perspective de contestation traditionnelle, tout semble déjà joué auprès des décideurs, obnubilés par l’idée d’une Amérique saoudite avec de riches gisements qui se trouvent un peu partout.

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Lors d’échanges sur le sujet de temps en temps, il s’avère difficile de présenter une autre perspective avec rigueur, tellement la littérature sur le sujet est abondante et contradictoire. Pourtant, de nombreuses indications suggèrent que le fondement économique de ce développement est sérieusement déficient et qu’il s’agit actuellement d’une sorte de bulle financière qui cache l’effondrement en progression. Il me paraît pertinent de fournir ici la perspective difficile à formuler spontanément lors d’échanges informels. Les sources reviennent pour la plupart du temps dans mes différents articles et plusieurs sont associés aux analystes du phénomène du pic de pétrole.

Une autre perspective économique

Le thème de bulle financière est la perspective qu’en donne Tim Morgan, analyste financier anciennement de Tullet Prebon qui a écrit Perfect Storm“Shale Gas : The Dotcom Bubble of Our Times”, publié au mois d’août dans le journal The Telegraph en Angleterre, ne fournit pas une analyse, et suit ce qui circule déjà dans d’autres milieux, mais cible bien le contraste entre le discours et la réalité qui marque souvent les bulles (merci à Enjeux énergies pour avoir fourni la piste). Un survol des quelque 375 commentaires sur l’article donne une idée de la confusion dans les débats actuels, et n’aboutit pas à beaucoup de clarification. Une référence intéressante est faite à des progrès sur le plan de la technologie, mais rien ne met en cause le constat de base : un rendement financier négatif aux États-Unis, dans le schiste.

Mark Lewis, ancien directeur de recherche pour la Deutsche Bank, a publié dans The Financial Times en novembre 2013 un article qui fournit les détails de la situation. “Toil for oil means industry sums do not add up” met en évidence les investissements (capex, ou capital expenditures) de plus en plus importants de l’industrie pour une production de moins en moins importante et cela à un coût de plus en plus important. La combinaison de ces éléments fournit une perspective pour le développement des hydrocarbures qui suggère que nous atteignons des limites dans un approvisionnement qui détruira les fondements économiques de nos sociétés.

C’est assez intéressant de noter que Morgan et Lewis semblent rejoindre le Canadien Jeff Rubin dans la liste d’anciens joueurs des milieux financiers qui sont arrivés à cette même perspective et qui ont quitté leur milieu pour devenir intervenants à titre personnel ; je manque les détails pour Morgan et Lewis à cet égard.

Le phénomène de la Red Queen

À son tour, Thomas Homer-Dixon, analyste à qui je me réfère souvent, a fait paraître un texte dans The Globe and Mail en décembre dernier. “We’re Fracking to Stand Still” présente la problématique par le biais des énormes investissements requis pour tout simplement maintenir l’approvisionnement acquis; (suite…)

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Paris 2015 (3)

Dans mes articles Paris 2015 (1) et Paris 2015 (2), je mets un accent sur l’impossibilité technologique et politique derrière l’effort de préparer un accord sur le climat à Paris l’année prochaine, accord qui pourra respecter le budget carbone établi par le GIEC. Ce qui commence également à paraître partout est l’impossibilité économique ce cet effort, mené par des économistes qui ne peuvent pas remettre en question leur modèle, leurs carrières. Dans sa chronique du samedi 30 août, intitulée «La Grande Dépression (bis)», Éric Desrosiers du Devoir fournit des éléments de cette autre piste manquante dans le travail préparatoire de Paris 2015.

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Desrosiers détaille les constats d’économistes sur l’ensemble des économies des pays riches, constats qui aboutissent à la conclusion que la «reprise» n’a pas eu lieu après six ans, que cette reprise n’aura pas lieu. Parmi les plus frappants, la récente baisse de la projection de croissance des États-Unis pour 2014 à 1,5%.

Ces constats rejoignent ceux d’un éditorial par Serge Truffaut le 25 août inspiré par une intervention de l’économiste principal du Mouvement Desjardins, qui projette ce que la tendance montre depuis des décennies, que la croissance du Québec, du Canada, des pays riches en général, tend vers zéro (voir le graphique à cet effet dans un autre article[1]).

Ce qu’aucun de ces intervenants ne souligne est que de telles perspectives négatives n’intègrent même pas les coûts des externalités de cette activité économique en fin de régime, et que le Fond monétaire international (FMI) propose d’intégrer par nécessité dans le bilan.

Il est donc déconcertant de voir Desrosiers conclure sa chronique avec un appel comme celui du DDPP pour une «transformation» de nos économies en ciblant la technologie comme planche de salut face à la menace des changements climatiques, tout en soulignant qu’il en va de notre prospérité, voire de notre survie. Son collègue Gérard Bérubé aborde le défi d’une autre façon en faisant un reportage sur la croissance faible du Québec par rapport à celle du reste du Canada. Ce que Bérubé ne note pas est que la croissance du reste du Canada dépend pour son caractère positif de l’exploitation des sables bitumineux et, dans une moindre mesure, de celle du pétrole offshore à Terre-Neuve-et-Labrador. Lui aussi aboutit donc aux changements climatiques comme source du défi, sans le reconnaître.

Il est fascinant de voir toute cette réflexion par des économistes et par des journalistes couvrant les dossiers économiques commencer à aboutir à une autre de la part des non économistes, comme Serge Truffaut. «Croissance économique dans le monde», titre de son éditorial, présente plus ou moins le même portrait que Desrosiers, un essoufflement et des projections de croissance économique à la baisse, finalement, «une remise en cause du dogme de la croissance et la mise en lumière de l’indifférence des économistes pour les conséquences environnementales» de notre activité économique.

Desrosiers et Truffaut utilisent comme référence Larry Summers, chef économiste pour Bill Clinton et grand architecte de la déréglementation des milieux financiers à la fin des années 1990. On peut penser qu’il s’agissait d’un geste presque de désespoir tellement cela ne semblait pas avoir de sens aux yeux des non économistes. Truffaut reprend son principal intérêt dans l’éditorial du 25 août, pour les emplois, dans un éditorial le lendemain, mettant presque de coté le signal d’alarme de la veille ; ceci est presque sans surprise, lorsque l’on pense que son éditorial de la veille représentait une rare intervention dans le domaine économique par un non économiste. Desrosiers le résume plus directement: «tous ces phénomènes en ont amené certains, comme l’ex-secrétaire américain au Trésor, Larry Summers, à presque jeter l’éponge en affirmant que nous étions désormais entrés dans une période de « stagnation de longue durée».». Luipour sa part, semble préférer se réfugier dans l’espoir tout court, comme le DDPP, mais il est beaucoup trop perspicace pour ne pas revenir sur le sujet[2].

MISE À JOUR: Tout récemment, Graham Turner a publié une nouvelle réflexion sur les correspondances entre le scénario de base de Halte à la croissance et les données des quatre dernières décennies, qui en corroborent les projections. Dans le récent document, Hughes cherche à rendre plus explicite le fonctionnement du modèle de Halte et les phénomènes contemporains associés, en particulier, au pic de pétrole. Turner y discute brièvement l’analyse du modèle de Halte de l’approche fondée sur un espoir dans la technologie, fondamental pour le DDPP; les données pour le scénario de la technologie compréhensive de Halte sont fournies dans son document de 2012, «On the Cusp of Global Collapse?».

 

 

[1] Un éminent économiste québécois que j’ai consulté sur ce graphique reconnaît la tendance et souligne que les économistes le considèrent un «mystère». De nombreuses analyses présentées dans ce blogue suggèrent qu’il s’agit de l’effet des limites biophysiques rencontrées «mystérieusement» au fil des décennies, et qui arrivent aujourd’hui à tout simplement annuler l’illusion de croissance représentée par le PIB.

[2] Je me suis permis un commentaire sur sa chronique, à même les pages du journal :

Je m’attendais à une autre conclusion pour le portrait brossé par Desrosiers. Et à cet égard, je m’attendais à ce que Desrosiers mentionne la Deuxième Guerre mondiale comme étant impliquée dans la «reprise» après l’autre dépression.

Dans de récents articles sur mon blogue, je commente deux interventions récentes du Fonds monétaire international (FMI) qui insistent sur la nécessité d’intégrer dans nos bilans les coûts des externalités de notre activité économique – des coûts énormes – ainsi que l’initiative du Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP), qui cherche à fournir des pistes pour les Nations-Unies, surtout technologiques, pour un accord sur le climat qui respectera le budget carbone établi par le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat.

La lecture de ces documents n’aboutit pas à la conclusion de Desrosiers dans cette chronique. Selon ma lecture, un accord sur le climat est une impossibilité économique, technologique et politique, et cela annonce – c’est déjà annoncé – une autre guerre à mener, une guerre qui se fera en fonction de notre dépendance presque absolue à une énergie fossile bon marché pour nos économies.

Celle-ci, devenant de plus en plus chère, se cache derrière toutes les données économiques dont il est question ici. Nous avons dépassé les limites dans notre poursuite, finalement une illusion, d’une «prospérité» matérielle et une «vigueur» économique qui ne reconnaissent pas de limites.

 

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Le FMI tient promesse

En janvier 2013, le Fonds monétaire international (FMI) est intervenu en proposant différentes taxes sur le carbone comme moyen de corriger une défaillance des marchés, la non prise en compte des coûts des externalités. Suivant une étude américaine, le FMI estime le coût d’une tonne d’émissions entre 25$ et 65$. Le FMI promettait de revenir avec des propositions de mesures fiscales précises pour un ensemble de 150 pays, ce qu’il vient de faire. Dans un premier article, j’ai mis l’accent sur la détermination des auteurs du FMI à voir la prise en compte du coût des externalités comme une mesure positive pour la croissance économique; leurs analyses suivent rigoureusement le modèle économique, mais l’acceptation du principe permettra de montrer les failles dans ces analyses. Dans ce deuxième article, je souligne que le FMI, partant d’autres données, dont un coût pouvant atteindre 38$ par gallon d’essence consommé, ne semble pas bien évaluer les défis politiques associés aux propositions fiscales ni l’impact de celles-ci sur les économies des différents pays, source des défis politiques. 

 

Dans un article de juin dernier, j’ai souligné ma surprise de voir le Fonds monétaire international (FMI) intervenir dans le sens de mon travail sur l’Indice de progrès véritable. Le document sur le cout des subventions aux énergies fossiles accordées par l’ensemble des pays était publié en janvier 2013 mais ne semblait avoir reçu aucune couverture médiatique (même pas par Éric Desrosiers, normalement à l’affut de telles interventions). Dans le document, le FMI notait qu’il allait revenir sur le sujet avec une étude par un des groupes qui ont produit le document de janvier 2013, le Département des affaires fiscales (FAD). Il s’agissait de fournir en plus grand détail des éléments fiscaux de sa proposition.

Ce n’est pas un accident de parcours, mais les bons calculs?

Le FMI a récemment publié le document promis, et il a eu une certaine couverture (Éric Desrosiers était en vacances…) à La Presse Le document de 2013 n’était donc pas un accident : le FMI reconnaît l’échec du marché en ce qui concerne le coût des externalités et propose des mesures – pour un ensemble de 150 pays! – pour corriger cela. Étrangement, pour une institution de son importance et connaissant son budget et son mandat, Getting Energy Prices Right n’est pas disponible gratuitement en ligne, mais seulement le résumé pour décideurs.

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Il est plutôt satisfaisant de voir le FMI aborder dans son analyse les coûts, pour les sociétés et pour l’environnement, d’externalités qui sont au cœur des calculs d’IPV dans différents pays : le coût du changement climatique, mais également les coûts en morbidité, en mortalité et en perte de productivité associés à la congestion  et à la pollution locale de l’air par les transports mus par l’énergie fossile.

Le travail du FMI semble aboutir aux mêmes constats que l’IPV, des coûts importants. À l’encontre des analyses faites en association avec les IPV par les économistes écologiques, le FMI ne semble pas y voir d’énormes problèmes. (suite…)

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25 questions sur le crime du 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic

Mon dernier article sur les principes qui devraient être reconnus pour bien promouvoir la résistance a eu un écho chez les gens impliqués dans les suites de la tragédie de Lac-Mégantic l’an dernier. Ils ont publié l’automne dernier un texte pour souligner la paralysie des interventions traditionnelles de mobilisation. Ils l’ont traduit tout récemment, laissant en place l’ensemble des questions posées dans la première version et presque sans identifier les prochaines étapes qu’ils voudraient promouvoir eux-mêmes. Le texte a été écrit par Liette Gilbert de l’Université de York, à Toronto; d’autres articles ont été préparés par Mark Winfield, également de l’Université de York, sur l’ensemble de la problématique actuelle en ce qui concerne la production et le transport de pétrole. J’ai pensé qu’il serait intéressant de faire paraître ici cette histoire de 25 questions qui, même si certaines semblent avoir trouver réponse, semblent en même temps et comme partie du processus en générer davantage.

Harvey L. Mead

 

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25 questions sur le crime du 6 juillet 2013 à Lac-Mégantic 

Aujourd’hui, nous sommes en mesure de constater que bon nombre de nos questions n’ont toujours pas encore été éclaircies ou élucidées.

Même s’Il faut toutefois reconnaître que la Ville de Lac-Mégantic et le ministère de l’Environnement du Québec (MDDLCC) ont amélioré la communication auprès des citoyens, les ateliers de participation citoyenne de la Ville en sont un bel exemple, les travaux de décontamination et de reconstruction du centre-ville, eux, sont loin d’être terminés et posent encore pour ne pas dire davantage de questionnements. Le casse-tête est loin d’être résolu…

De concert avec Mme Gilbert, j’aimerais donc les adresser à nouveau auprès des politiciens et, plus spécifiquement, auprès du gouvernement Harper.

Est-ce qu’une véritable justice sera rendue après le dépôt du rapport final du Bureau de la sécurité des Transports (BST) du Canada, le 19 août prochain? Permettez-nous d’en douter. Les ploutocrates, personnages ou corporations très riches qui exercent par leur argent une influence politique, mènent le bal un peu partout sur la planète et ce, plus particulièrement depuis l’arrivée de la mondialisation des marchés. Dans notre cas, on pourrait parler d’Irving, de World Fuel pour ne nommer que quelques pétrolières, mais aussi pourrions-nous ajouter certaines grandes banques, compagnies pharmaceutiques et d’assurance et autres milliardaires.

Ce n’est certes pas aux contribuables québécois, ni même aux Canadiens à payer toutes les factures attribuables à la tragédie du 6 juillet dernier, mais malheureusement, au printemps dernier, le gouvernement Harper a rejeté du revers de la main sa responsabilité. Deux articles de mai 2014, éloquents et aux commentaires instructifs, traitent de ce sujet, l’un dans L’actualité, l’autre dans La Presse.

Jacques Vandersleyen, consultant en sécurité ferroviaire et chargé de cours à l’Université du Québec à Rimouski, estime que Québec est dans son droit d’exiger qu’Ottawa resserre la sécurité ferroviaire à Lac-Mégantic. Si le fédéral avait correctement appliqué les normes, dit-il, le train de Lac-Mégantic ne se serait jamais immobilisé sur une voie principale à Nantes, le soir fatidique. «Les dispositions réglementaires étaient très précises, mais elles n’étaient nullement appliquées», juge M. Vandersleyen. Dans un autre communiqué, ce dernier ne comprend pas comment le ministère des Transports du Canada a fermé les yeux et n’a pas sanctionné MMA dès la première infraction: 7600 infractions en dix ans et aucune amende. La ploutocratie, ça vous dit quelque chose maintenant ?

Les citoyens devront se mobiliser de plus en plus. Partout dans le monde, des groupes environnementaux et associations communautaires se manifestent sporadiquement. Parfois de belles victoires, mais au prix de combien d’années de travail, de persévérance et de bénévolat, pour ne pas dire d’apostolat. Il faudra passer de la résilience à la résistance. Qui sait? Peut-être que de fil en aiguille, certains d’entre nous irons rejoindre le rang des sympathiques Raging grannies ou des futurs raging grandpas…

André Blais, résident de Lac-Mégantic

 

 

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Promouvoir la bonne résistance

Il est presque fascinant de voir comment les enjeux énergétiques qui inspirent ce blogue dès son premier article, que j’ai intitulé «Èchec du mouvement environnemental». ne ressortent même pas dans les débats. Mon analyse se fait en fonction des enseignements de l’économie biophysique et leur insertion dans le modèle de Halte à la croissance, lui aussi invisible dans le mouvance en faveur d’une économie verte.

Tout récemment, Roméo Bouchard est intervenu avec la verve qu’on lui reconnaît dans un article dans Le Devoir. Dénonçant la «fable» des discours relatifs à l’énergie, et surtout au pétrole, il débute en signalant «les trois raisons majeures pour résister à l’exploitation du pétrole de schiste et à la circulation du pétrole bitumineux au Québec : la contamination prévisible et irréversible du fleuve Saint-Laurent et des territoires habités ; l’accélération du réchauffement du climat ; le peu de bénéfices qu’en retireront les Québécois». Parlant des sondages favorables à l’exploitation du pétrole et à son transport au Québec, il dit qu’ils ne valent rien parce qu’ils reflètent «la propagande mensongère des pétrolières» et souligne en passant que les écologistes ne font pas le poids auprès du public face à cette propagande. L’article lance un appel à une résistance plus générale.

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Absence de débats, vraiment ?

C’est plutôt surprenant de voir Bouchard insister dans ce contexte sur l’absence de débat public sérieux, face à la multitude de programmes à la télévision et à la radio, à des films, à des articles dans les journaux, à plusieurs mandats au BAPE ou ministériels et à des débats partout, entre autres suite à la catastrophe de Lac-Mégantic. Je crois qu’il faut souligner bien plutôt que le débat se déroule comme il se déroule depuis des décennies, et que le cri de Bouchard est plutôt un nouveau constat de l’échec du mouvement environnemental (et du mouvement social). Il n’y a presque aucune raison de croire que son appel pour un nouveau mouvement de résistance ira très loin.

Ce nouvel échec annoncé se situe dans le cadre établi par les trois raisons qui selon lui devraient inspirer la résistance, mais qui manquent la cible principale. Bien sûr, il faut continuer à dénoncer la poursuite de la dégradation (contamination) de l’environnement local, il faut continuer à dénoncer notre contribution aux changements climatiques, il faut essayer de mettre en place un nouveau paradigme reconnaissant que nous avons atteint les limites de l’ère de pétrole. J’ai consacré les deux derniers articles de ce blogue à ce qui est en cause si nous voulons nous assurer d’une (faible) chance de contrôler le climat par des interventions qui dépendent de nous, et tout le blogue tourne autour de notre persistance dans la dégradation non seulement locale mais aussi planétaire.

Les «vraies affaires» et l’économie

La troisième raison identifiée par Bouchard pour résister porte sur l’absence de bénéfices économiques découlant de l’aventure québécoise dans le pétrole et le gaz, voire dans les sables bitumineux. J’ai déjà souligné l’absence d’une analyse appropriée par le mouvement environnemental de ce qui est en cause dans la «transition» souhaitée pour la sortie de l’ère du pétrole, où une approche éthique exigerait une réduction de nos émissions de GES de 40% d’ici 2020 et où une éthique qui lâche du lest viserait -20% ou -25%, tout cela face au rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec qui voit -15% possible pour 2025… Bref, les «bénéfices» que nous retirons déjà de «la folie du pétrole» nous rendent à toutes fins pratiques incapables d’agir sans des bouleversements que j’appelle l’effondrement de notre système, suivant Halte.

Tant qu’il y aura des activités de forage, de construction de pipeline et de port en eau profonde, tant qu’il y aura de commerce associé à l’exportation de pétrole, il y aura des bénéfices économiques. Nos décideurs économiques et politiques ne pensent qu’en fonction de tels objectifs, d’une croissance du PIB, et cela justifie cet ensemble de gestes économiques, qui l’augmente – sans tenir compte des deux premières raisons pour la résistance, les externalités.

Même quand c’est une commission très sérieuse en cause, et non de «quelconques groupes d’environnementalistes», des recommandations dans le sens contraire sont rarement écoutées. D’ailleurs, toujours suivant le modèle en place depuis des décennies, ces interventions se font en s’assurant de «hauts standards de protection de l’environnement», même si cela n’élimine pas complètement le risque. Ainsi s’expriment les auteurs du Manifeste pour le pétrole, suivant une longue tradition qui insiste que de ne pas aller de l’avant serait irresponsable. (suite…)

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Paris 2015 (2): échec prévisible devant l’impossible

Pour son calcul de la quantité de gaz à effet de serre que l’humanité pourra émettre sans compromettre profondément les chances d’éviter que le climat ne s’emballe, le GIEC identifie les émissions de CO2 occasionnées par la combustion de pétrole, de charbon et de gaz et par la production du ciment, environ 70% de toutes les émissions. Le calcul n’inclut pas une prise en compte des émissions des autres gaz à effet de serre comme le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Comme le résume pour décideurs du rapport du premier groupe de travail du GIEC souligne (p.25-26), tenir compte de ces autres émissions exigerait des réductions correspondantes dans les émissions anthropogéniques de CO2.

Le calcul du budget carbone utilisé par le DDPP dans son récent rapport préliminaire s’avère donc très conservateur, c’est-à-dire très en dessous de ce qui est vraisemblablement nécessaire pour éviter un réchauffement excessif de la planète. Tel qu’esquissé dans la première partie de cet article, les travaux du DDPP estiment néanmoins qu’il faudrait presque éliminer l’utilisation de l’énergie fossile pour respecter notre budget carbone. Du moins, les émissions par personne doivent être réduites de 70% et la capture et la séquestration des émissions restantes s’avèrent clé dans leurs projections. Bref, le DDPP, dont les scénarios frôlent l’irréalisme, nous donnent une bonne idée des énormes défis en cause pour la COP-21 à Paris en décembre 2015.

En dépit du fait que la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec a montré de façon convaincante qu’il sera impossible d’atteindre une réduction des émissions du Québec de 20% d’ici 2020, l’ensemble des acteurs continuent à prôner cet objectif (qui était une réduction de 25% pour le gouvernement précédent). Nous semblons être devant une situation au Québec où la reconnaissance de l’impossibilité d’atteindre en suivant notre paradigme actuel nos propres objectifs, beaucoup trop restreints, aboutit à une sorte de paralysie (pour voir des indications que le présent gouvernement n’a pas l’intention de l’atteindre, voir le dossier de la cimenterie Port-Daniel).

De la même façon, il est difficile de croire que les auteurs de Deep Decarbonization et de ses stratégies pays par pays (DDP) croient en leurs propositions, tellement elles exigent des interventions que l’on doit juger irréalistes. Le travail fait fi de tout ce qui a bloqué celles des mouvements environnemental et social pendant des décennies : croissance économique prioritaire, contraintes politiques, intérêts divergents, actifs et investissements majeurs confrontés à un échouage, recherche de compétitivité alors que tout dépend dans le DDPP d’une collaboration à l’échelle planétaire. Plus important, probablement, il y a la question des coûts, que les auteurs du DDPP remettent à une deuxième étape de leur travail, la première étant consacrée de façon presque exclusive à détailler les approches technologiques concevables. Le tout se fait, par ailleurs, sans aucune prise en considération d’autres contraintes, d’autres crises ; le DDPP ne cherche que les moyens d’éviter un emballement du climat maintenant qu’ils sont convaincus, enfin, qu’il s’agit d’une véritable menace.

Les stratégies pays par pays, le test

Pour ce dossier, c’est un peu le message de l’économie verte en général, où on nous présente les propositions du mouvement environnemental maintenant repris par des entrepreneurs, des gouvernements, par tout le monde – ou presque… Deep Decarbonization, mené par des gens les plus sérieux du monde, propose en fait qu’il faudra reconnaître le caractère de «stranded assets» – des actifs échoués – pour la plus grande partie des réserves fossiles, se confrontant à la réalité déjà en place et créant de nombreux problèmes politiques.

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On peut jeter un coup d’œil aux scénarios (préliminaires) pour 4 des 15 pays, l’Australie, la Chine, le Canada et les États-Unis, pour se donner une petite idée (le commentaire de Paul Racicot sur la première partie de cet article allait dans ce sens). Pour atteindre l’objectif du respect du budget carbone, le DDPP propose qu’il faut que l’Australie élimine complètement l’utilisation du charbon (tout en gardant une industrie pour l’exportation, mais cela vers des pays qui réduisent eux-aussi leurs émissions)…. Un changement radical récent dans les orientations gouvernementales (avec un changement de gouvernement) va tout simplement dans le sens contraire, et est en train d’éliminer les énergies renouvelables.

L’exploitation des sables bitumineux au Canada serait stabilisée selon son DDP, contrairement aux intentions profondes du gouvernement et des investisseurs de les voir s’accroître. Tout ce qui bouge dans le secteur sera assujetti aux exigences de la capture et de la séquestration des émissions. En même temps, on note que cette technologie est devenue hors de prix et est en train d’être abandonnée.

Le DDP pour la Chine, suivant les orientations de China 2030, prévoit l’urbanisation d’environ 13 millions de personnes par année, et reconnaît les immenses quantités d’acier et de ciment qui seront requises, générant d’emblée d’immenses quantités d’émissions correspondantes. Pour éviter ce résultat, le DDP compte sur des améliorations substantielles dans la l’énergie nécessaire pour la production de ces deux intrants (entre autres), tout en ciblant des technologies en basse teneur de carbone pour l’ensemble du secteur de la construction.  Le PIB par personne du pays, le plus populeux du monde, s’accroîtra de six fois d’ici 2050, là aussi suivant les orientations du travail de la Banque mondiale et du Gouvernement de la Chine dans China 2030. (suite…)

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Paris 2015 (1) : le budget carbone de l’humanité

L’article du Devoir ne fait qu’effleurer ce qui est en cause : un nouveau rapport rédigé par des groupes de recherche indépendants des gouvernements et qui brosse le tableau de ce qui est nécessaire pour obtenir une «décarbonisation profonde» de nos activités, cela d’ici 2050. Clé dans le portrait est l’objectif de ramener l’ensemble de la population humaine à des émissions de 1,6 tonnes par personne, contre une moyenne de 5,2 tonnes actuellement (et beaucoup plus que cela dans les pays riches). Cet objectif est nécessaire en tenant compte du budget carbone, dont la reconnaissance par les auteurs du nouveau rapport constitue sans aucun doute sa plus importante contribution.

Avec ce rapport, le Deep Decarbonization Pathways Project (DDPP) propose d’alimenter la réflexion en vue de la rencontre convoquée par Ban Ki-Moon pour la fin septembre, cela en vue de la Conférence des parties (de Kyoto) COP-21, qui aura lieu en décembre 2015 à Paris. Il s’agit d’un effort de renverser les résultats catastrophiques de la COP-15 à Copenhague en 2009, un échec sur toute la ligne dans l’effort de contrôler les émissions de GES à l’échelle mondiale.

Je me suis donc mis à lire Deep Decarbonizationle rapport intérimaire déposé par le DDPP, curieux de voir ce qui pourrait bien sortir de neuf dans toute cette histoire. Dès les premières pages, mon attention était captée par la notification que le projet est sous l’égide du Sustainable Development Solutions Network (SDSN) et de l’Institute for Sustainable Development and International Relations (ISDRI). Et Jeffrey Sachs est le directeur du projet.

Living Beyond Our Means page titre DDPP Sachs title page

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai «rencontré» Sachs en lisant son livre The End of Poverty, que j’ai ramassé à l’aéroport de Nairobi fin 2006, intrigué par le titre et ayant entendu parler de l’auteur. En même temps, au début de 2007, je lisais le Millenium Ecosystem Assessment, le rapport d’un groupe de chercheurs, indépendants comme ceux du DDPP, publié en 2005 en association avec le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE).

Le choc des cultures

Le «choc des cultures» était frappant, même pour quelqu’un rodé comme moi. Sachs, un économiste de bonne réputation, procède dans son livre sans faire intervenir la moindre préoccupation pour les limites écosystémiques qui font partie de l’actualité quotidienne de la plupart de l’humanité. Le Millenium Ecosystem Assessment insiste que les Objectifs du développement pour le Millénaire (ODM) adoptés comme cibles par les Nations Unies à New York en 2000, et qui incluent une réduction de moitié de la pire pauvreté dans le monde, ne sont pas atteignables selon les scénarios élaborés dans le rapport. Sachs était directeur du Earth Institute, responsable du suivi des efforts ciblant les ODM, dont j’ai brossé le tableau dans mon premier (et seul) rapport comme Commissaire. J’ai écrit à Sachs, me permettant de penser que je pourrais peut-être influencer cet économiste en ayant recours au Millenium Ecosystem Assessment. Je n’ai pas eu de réponse, mais je suis resté marqué par le choc de cultures que j’avais expérimenté. Ce blogue en est un résultat.

Avec la sortie récente des milliardaires de riskybusiness.org, juste avant le dépôt de Deep Decarbonization, on pourrait être tenté de penser que la crise climatique commence à être reconnue même par les plus obtus, ceux qui se trouvent au cœur du modèle économique qui en est la cause presque directe. Finalement, dans ces interventions récentes, comme dans tout ce qui va se faire en préparation pour COP-21, on voit la main lourde des économistes, toujours incapables de constater l’échec de leurs propres efforts en matière de développement. (suite…)

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Le nucléaire au Québec?

Il y a une vingtaine d’années, le Conseil d’administration de l’organisme que je présidais était confronté à la décision d’accepter ou non un financement venant de l’industrie nucléaire. Par principe, j’étais opposé – les enjeux des déchets de cette industrie sont très importants, et non gérables. Finalement, j’étais le seul à voter contre. Cette situation me rappelle celle où je me trouve aujourd’hui, dans un cadre beaucoup plus large. L’humanité est rendue à une situation où elle n’est plus capable de gérer l’ensemble de ses impacts sur la planète, et sa survie même est à risque.

Ceci est finalement le thème principal de mes articles sur ce blogue, partant de mon constat de l’échec des mouvements environnemental et social au fil des décennies. Suivant les données qui alimentent une mise à jour des projections de Halte à la croissance, nous nous dirigeons vers un effondrement, et l’important est de nous préparer pour celui-ci le mieux possible, sans prétendre poursuivre comme si nous avons encore des décennies pour corriger le tir.

C’est dans ce contexte que je réagis à la consultation par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) sur les enjeux de la filière uranifère au Québec. Le mandat de la Commission qui mène l’enquête est assez clair, suivant le titre du document préparé pour le BAPE dans le cadre de cette enquête : Étude sur l’état des connaissances, les impacts et les mesures d’atténuation de l’exploration et de l’exploitation des gisements d’uranium sur le territoire québécoisCe document centre son analyse sur l’exploration et l’exploitation de gisements d’uranium, soit sur les activités minières «en amont» de l’utilisation de l’uranium à des fins énergétiques, médicales ou militaires. On pourrait se permettre de croire que cette restriction – il n’est pas question d’ouvrir le dossier de la production au Québec d’électricité à partir de matière fissible – limite assez sévèrement les enjeux en cause. En effet, les impacts des activités minières associées à la filière uranifère sont beaucoup moins préoccupants que ceux associés à la production d’énergie, ou à la gestion des déchets provenant des centrales. On n’a qu’à regarder Fukushima pour en avoir une idée.

Nous avons toutes les raisons de croire que le BAPE, ou sinon le gouvernement qui en recevra son rapport, jugera que l’exploration et l’exploitation de l’uranium pourront se faire en insistant sur des précautions. C’est l’histoire du mouvement environnemental que de voir de telles décisions se prendre et de constater que les précautions ne sont pas prises, ou s’avèrent inadéquates. Je n’ai finalement pas l’énergie morale d’embarquer dans encore un autre débat du genre, et je ne crois pas que c’est pertinent. C’est la Coalition Québec meilleure mine qui mène le bal, et tant mieux.

Hausse de prix, perte de bien-être

Je prendrai l’exemple de l’exploration et de l’exploitation du pétrole non conventionnel pour asseoir ma réflexion sur la position que je crois qu’il faut prendre face au nucléaire, en ciblant les sables bitumineux. Ceux-ci, source plutôt incontestable de presque toute la croissance économique au Canada qui vaille mention, représentent la fin d’une époque, celle où nous avons eu accès à une énergie fossile plutôt accessible et bon marché. ÉROI HallLes sables bitumineux ne sont ni facilement accessibles (les pipelines dont il est question dans l’actualité de tous les jours n’en sont qu’un indicateur parmi d’autres) ni bon marché. En effet, les énergies non conventionnelles se distinguent par le fait que leur rendement énergétique est très faible (environ 5) par rapport aux énergies conventionnelles. Ceci résulte du fait que d’énormes quantités d’énergie sont requises pour extraire des gisements l’énergie voulue dans la forme voulue et la rendre à ses consommateurs finaux. Dans le cas des sables bitumineux, l’énergie rendue pour l’énergie investie (ÉROI) est sous le seuil de ce que les économistes biophysiques considèrent comme le minimum nécessaire pour maintenir notre civilisation (voir la figure, à grossir en cliquant dessus).

Notre civilisation est toujours alimentée en grande partie par les énergies fossiles conventionnelles, et nous ne voyons donc pas encore l’impact du changement de paradigme représenté par les énergies non conventionnelles. Le pétrole conventionnel a aujourd’hui un ÉROI d’environ 17 (c’était 100 il y a 80 ans) et il n’est pas trop difficile à imaginer la situation avec un ÉROI qui frôle le 5… Le principe de précaution et la prudence nous disent qu’il serait sage de nous sevrer de notre dépendance pendant que c’est encore le temps, avant de dépendre plus ou moins exclusivement de pétrole non conventionnel comme celui fourni par les sables bitumineux.[1]

Bref, avec les sables bitumineux, nous pouvons déjà voir la situation qui définit la fin d’une époque où l’énergie était accessible et bon marché, une situation où nous serons obligés de mettre beaucoup plus de nos ressources directement dans la production de notre énergie et beaucoup moins dans tout le reste. C’est la recette de la catastrophe projetée par le Club de Rome en 1972.

Se sevrer du non gérable

Hausse de prix, perte de bien-être

Le nucléaire nous fournit une situation qui, dès le départ, nous confronte à la non gérable, en raison de ses déchets radioactifs tout au long de son cycle de vie, y compris lors des activités minières. Nous savons que l’énergie nucléaire est hors de prix, ce que nous savions même quand les gouvernements en assumaient la couverture d’assurance. Nous la savons aussi possédant un ÉROI au même niveau que celui des sables bitumineux, bien trop bas pour soutenir notre civilisation lorsque celle-ci doit compter avec soin sur le rendement de l’ensemble de son approvisionnement énergétique, qui n’est plus accessible et bon marché pour l’ensemble. Ces aspects du portrait devraient suffire pour nous amener à une approche de précaution et de prudence, de prévoir que le nucléaire n’a pas d’avenir et de nous retirer de toute dépendance économique à la filière, dans une perspective globale et mise à jour par rapport à ma position de principe prise dans les années 1990 (et avant).

Je puis bien m’attendre quand même à des décisions gouvernementales allant dans le sens de mon conseil d’administration il y a quelques décennies, suivant le modèle économique dominant, même si celui-ci est maintenant clairement dépassé par les événements. Mais je me dis que cet autre aspect, unique en son genre, qui fait que les impacts des déchets de l’énergie nucléaire durent des milliers d’années, pourrait faire pencher la balance dans l’autre sens.

 

[1] Il est à noter que le charbon a un ÉROI d’environ 60, et nous pouvons toujours essayer de nous imaginer la vie soutenue par le charbon. Voilà ce qui rend dramatique le fait que l’ÉROI, déjà un indicateur préoccupant, ne tient pas compte des impacts environnementaux. Le charbon (avec l’ensemble des énergies fossiles non conventionnelles) est la pire source d’émissions de gaz à effet de serre et donc des changements climatiques.

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Championnes de l’environnement

Nouveau contexte pour la croissance

Pendant la récente Conférence de Montréal consacrée à l’identification des fondements pour la prochaine période de croissance, Éric Desrosiers nous a transmis les propos de la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, à l’effet qu’il faut bien tenir compte des externalités environnementales dans l’établissement du prix du pétrole canadien – avant que celle-ci ne passe au sujet de la rencontre et oublie comme les autres le lien entre ce sujet et la crise associées aux externalités que l’activité économique occasionne. Le lendemain, même les pétrolières se montraient prêtes à tenir compte des émissions de GES – en prenant l’exemple d’Obama, dont l’intervention récente, si elle se réalise dans l’actualité éventuelle, ne répond d’aucune façon aux défis tels que présentés par le GIEC dans son récent rapport : Obama cible des réductions d’environ 30% pour une partie des sources des émissions (les centrales au charbon) pour 2030, cela par rapport à 2005 comme référence. Le défi post-Kyoto, avec 1990 comme année de référence, était des réductions au moins aussi importantes, mais pour 2020…

Un problème fondamental avec le positionnement du FMI, de l’OCDE, des pétrolières et d’un ensemble d’autres intervenants à l’échelle internationale aussi bien que nationale qui cherchent à se satisfaire d’une «économie verte» est clairement que leurs chercheurs ne réalisent pas l’ampleur des externalités négatives de notre modèle économique – et des coûts de celles-ci. C’est justement un des objectifs de l’Indice de progrès véritable (IPV) que de calculer ces coûts.

De façon générale, les calculs de cet indice pour différentes sociétés indiquent que depuis trente ou quarante ans les coûts des externalités négatives annulent tout simplement la prétendue «richesse» censée avoir être créée par l’activité économique pendant cette période. Autrement dit (la figure), le PIB de la période montre une tendance toujours à la hausse, alors que l’IPV montre un plafonnement du «progrès véritable». GPI US vs HLM

Le travail non rémunéré, une activité non économique pour le modèle actuel, fournit la contribution la plus importante à notre bien-être tel que mesuré par l’IPV, une fois soustraite de la «richesse» produite par l’activité économique les coûts de ces externalités.

La soustraction de ces coûts réduit le PIB d’environ les trois quarts, et c’est seulement grâce à l’ajout de la valeur du travail non rémunéré (qui n’est pas suivi par le PIB) que l’IPV suggère un niveau de bien-être la moitié de celui suggéré par les économistes qui suivent le PIB comme indicateur.

L’actualité, sens propre, sens figuré – le brouillard

L’ éditorial du 19 juin de Carole Beaulieu dans L’actualité me frappe en montrant jusqu’à quel point elle se situe dans les tendances lourdes et adopte avec confiance le discours économique dominant dans l’analyse de l’actualité. Elle fait le tour des problèmes de l’Europe à la sortie des élections pour le Parlement européen, souligne que tout n’est pas si pire que cela – l’Association des États de la Caraïbe est moins forte que l’Union européenne! – pour conclure que la croissance économique ferait partie des solutions.

Le recours de Beaulieu au discours sur la «richesse» produite par l’activité économique suit la même tendance. Dans son éditorial de l’édition du 1er avril dernier, «La question de l’isoloir», Mme Beaulieu a présenté le nouvel Indice québécois d’équité (IQÉG) entre les générations, où L’actualité est partenaire. Comme elle y dit, «Les indices sont des outils révélateurs. Comme des projecteurs fendent le brouillard, ils éclairent des questions complexes et aident à mieux définir la direction à prendre». Un résultat assez frappant de l’IQÉG est que les aînés vont laisser aux jeunes un legs moins important que ce qu’ils ont reçu eux-mêmes. DSC06942.JPGPour remédier à cela, elle insiste deux fois plus qu’une sur l’importance pour ces aînés de créer de la «richesse», suivant le PIB comme «projecteur» pour définir des orientations.

Dans le même éditorial, pourtant, elle parle de l’Indice de développement humain (IDH) des Nations Unies, créé en 1990, qu’elle avait apprécié en voyant comment il montrait «des pays champions du produit intérieur brut [qui] se transformaient tout à coup en moins bons élèves lorsqu’on mesurait le niveau de bien-être de l’ensemble de leur population». Beaulieu a récidivé dans l’éditorial suivant, soulignant comment le travail des femmes enrichit la société… Ce qu’elle aurait pu souligner : c’est le travail non rémunéré (surtout des femmes…) qui constitue la plus importante contribution au progrès de la société, même si la présence accrue de femmes au marché du travail (rémunéré) a augmenté considérablement le PIB.

Championnes de l’environnement (et de la responsabilité)

Finalement, le magazine L’actualité s’insère très bien dans l’actualité de tous les jours telle que transmise par l’ensemble des médias, et les chroniqueurs économiques du magazine ne manquent pas de rester dans le moule. Un problème avec les journalistes, à leur tour, est qu’il y a de moins en moins de journalisme d’enquête et ils se fient aux chercheurs des autres pour fournir le cadre de leur travail.

La dernière campagne électorale au Québec portait sur les «vraies affaires», et celles-ci ont fait l’objet d’une attention particulière, même si on sentait que les journalistes y voyaient quelque chose d’incomplet. Même dans la présentation de l’actualité à la télévision et à la radio, où le temps est limité, on prend la peine de nous souligner les changements (dans les quelques centièmes de un pourcent, assez souvent) aux Bourses de New York et de Toronto avec un sérieux déconcertant. Ce sont, finalement, pour nos journalistes, des projecteurs dans le brouillard de notre apparente richesse…

Comme les éditoriaux de Beaulieu l’indiquent, les incohérences de la présentation de l’actualité sont en effet déconcertantes. Le même numéro du magazine du 19 juin présente le Palmarès des entreprises citoyennes : 50 championnes de l’environnement!  C’est le reflet du mouvement environnemental, dans son histoire, dans son actualité. Il s’agit de la reconnaissance de gestes intéressants en matière sociale et environnementale, mais gestes qui doivent s’insérer dans un contexte global qui réduit ces gestes à des coups d’épée dans l’eau. (suite…)

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