Économie écologique (tertio) : le rêve

J’ai récemment lu Vivement 2050!, ayant choisi le livre en fonction de ses auteurs [1]. En effet, le livre est l’oeuvre d’un collectif d’économistes écologiques de renom publiée en 2012 (en anglais) et en 2013 (en français). Il n’y a même pas d’identification d’auteurs pour les différents chapitres, l’ensemble signant l’ensemble, avec une note à la fin indiquant qu’il peut y avoir quelques différends sur les détails; il reste un mystère comment la rédaction s’est faite, même si différentes parties du livre sont tirées plus ou moins directement de différentes publications antérieures des différents auteurs.

Formellement, le document a été produit dans le cadre du Projet de développement soutenable pour le XXIe  siècle de l’Agenda 21 des Nations Unies, plus spécifiquement, sous les auspices de la Division du développement durable du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies. Le titre de la publication originale, en anglais, était Building a Sustainable and Desirable Economy-in-Society-in-Nature. La Communauté européenne aurait contribué à sa réalisation.

Je ne m’attendais pas à d’importantes découvertes dans la présentation. En effet, il s’agit plutôt de la présentation de l’ensemble du portrait de la civilisation que l’économie écologique est capable de concevoir comme résultat d’une transformation radicale de celle que nous connaissons depuis la Deuxième Guerre mondiale. C’est une vision de ce qui doit suivre celle qui dépend, entre autres, d’une exploitation de la planète qui dépasse la capacité de celle-ci de la soutenir.

Clé dans l’ouvrage, et mise en évidence dès le début, est la distinction entre le modèle économique actuel, le modèle de l’économie verte et le modèle de l’économie écologique. Les deux premiers modèles ont explicitement et fondamentalement la croissance économique comme objectif. Le modèle de l’économie écologique, tout au long du livre, s’en distingue en répudiant la croissance comme incompatible avec la survie de la civilisation que nous connaissons. La première partie de son Tableau 1 en donne les balises.

Vivement 2050Pour des gens qui cherchent un guide pour des orientations en matière d’économie écologique, je crois que nous avons ici la synthèse du travail de personnes parmi les plus actives dans la recherche de l’alternative qui s’impose en ce sens. Le chapitre 1 fournit le contexte historique entre le «monde vide» de l’après-guerre et le «monde plein» d’aujourd’hui. Ce changement radical de situation amène le rejet de la croissance économique – qui se comprenait dans un monde vide – comme insoutenable et non désirable. Le rejet se fait en reconnaissant certaines limites que les auteurs présentent comme aujourd’hui évidentes. Le chapitre 2 présente la vision qu’ont les auteurs du monde en 2050, avec son capital bâti, son capital humain, son capital social et son capital naturel. Le chapitre 3 poursuit avec la présentation des politiques et des réformes nécessaires pour passer outre les crises qui sévissent pour arriver à la société décrite pour 2050: un respect des limites écologiques; une protection des capacités d’épanouissement des personnes et des communautés; la création d’une macro-économie soutenable. Le chapitre 4 rend plus explicites les implications du chapitre précédent, en ciblant une inversion des tendances en matière de consommation, l’extension du secteur des biens communs, l’incidence de quotas sur l’utilisation des ressources naturelles, et le partage du temps de travail. Un dernier chapitre 5 cherche à montrer que cette vision de l’économie écologique est cohérente et faisable.

Ouf! Autant les auteurs condamnent l’économie actuelle comme un désastre et l’économie verte comme une illusion, autant ils fournissent une multitude de raisons qui nous font comprendre que la vision de l’économie écologique est un rêve. Comme l’ensemble des militants des mouvements sociaux et environnementaux des dernières décennies le savent, tout est raisonnable dans les propositions, les politiques, les orientations et les arguments. Le livre répond, en ce sens, à la demande de nombre de mes propres contacts qui demandent ce que je propose comme alternative quand je critique les fondements mêmes de notre société actuelle. Les réformes et les changements – la révolution – que les auteurs proposent pour notre civilisation entière sont nécessaires et urgents, et ils insistent là-dessus. Aux lecteurs de décider s’ils pensent que cela arrivera.

La contrepartie, finalement une question non seulement de ton mais de conviction, sera exemplifiée par l’ouvrage du collectif avec lequel je travaille pour formuler le portrait d’un Québec, non de 2050, mais plutôt de 2030, résultant de transitions forcées dans l’ensemble de nos activités face à des effondrements qui s’enclenchent. J’ai retenu plusieurs passages de Vivement 2050! qui suggèrent que ses auteurs, possédant énormément d’expérience et d’expertise, voient même leur propre travail comme l’esquisse d’un rêve – comme moi; c’est le terme que j’utilise pour la vision de la Commission Brundtland, par ailleurs. Parmi ces passages: «Si elle n’est pas minutieusement planifiée, la transition vers une économie à croissance faible et réduite en temps de travail provoquera un nombre de perturbations incroyables au niveau des sociétés, des localités et des individus… Aussi, une nouvelle infrastructure capable d’envisager des alternatives par secteur, par zone géographique et par période sera indispensable pour que nos choix de société dépassent le stade du simple scénario et deviennent de vraies politiques» (150-151). La transition qu’ils décrivent «risque de provoquer un effondrement économique» (175), même s’il y a des «réponses efficaces» (178) aux perturbations. Le chapitre 5 débute avec le rappel que il y aura une société soutenable à relativement court terme, ou il y aura effondrement (189).

 

[1] Robert Costanza, Gar Alperovitz, Herman E. Daly, Joshua Farley, Carol Franco, Tim Jackson, Ida Kubiszewski, Juliet Schor, Peter Victor

 

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Alain Dubuc et les groupes environnementaux

Alain Dubuc de La Presse a saisi l’occasion de critiquer récemment le positionnement du gouvernement Harper en matière de changements climatiques pour critiquer également les groupes environnementaux. « Le gouvernement Harper, dit-il, a peut-être davantage contribué à compromettre le développement énergétique du Canada que le mouvement environnementaliste. On le voit dans les tensions avec l’administration Obama, incapable d’approuver le projet du pipeline Keystone en raison de l’insensibilité environnementale d’Ottawa.»Tainter and Patzek

Sous-estimer les défis

Dubuc touche des questions de fond, mais manque la cible dans sa critique des groupes environnementaux, tout comme dans son analyse des enjeux énergétiques. Keystone XL est bloqué (jusqu’à après les élections de mi-terme en novembre…) par une opposition au recours aux sables bitumineux pour des raisons environnementales mises de l’avant par les groupes américains.

Dubuc est sensible à un ensemble de gestes hostiles à une gestion environnementales appropriée et, de façon surprenante, propose que c’est cela qui bloque Keystone. Il  prétend, sans s’expliquer, que la contribution aux changements climatiques des énergies non conventionnelles est exagérée, et que le gouvernement Harper pourrait montrer une sensibilité environnementale sans risque pour le développement économique : on peut «tempérer le rythme de leur développement, investir plus pour réduire [mais non éliminer] leurs effets négatifs, et intégrer dans leur prix les coûts en cause.» Dubuc suit dans ceci le FMI, dont la directrice générale Christine Lagarde avait insisté, quelques jours plus tôt, sur les mêmes points.

Mal présenter le développement durable

Le texte débute en suggérant que le développement durable est la conciliation de la logique de la croissance économique et les exigences de l’environnement. Cette conception, très répandue, est inadéquate, surtout quand conciliation signifie l’établissement d’un équilibre entre les exigences des deux. L’objectif presque inconscient est de suggérer une «voie du milieu», d’être raisonnable.  Cette voie n’est plus une option, même si elle pouvait l’être il y a encore 25 ans. Comme le texte l’indique, c’est ainsi que les intervenants du coté économique prétendent doser la croissance, même si personne ne le fait, finalement.

Tout récemment, j’eu ai l’occasion de relire en bonne partie le rapport Brundtland, à l’occasion d’une nouvelle impression du document puisque les stocks en étaient épuisés. J’ai même contribué un texte de présentation à cette nouvelle édition (qui ne change pas un mot du rapport), où je souligne ce qui me paraît clairement l’approche de Brundtland aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux.

Le travail de Brundtland constitue la référence de base pour comprendre le «développement durable», même si la littérature sur la question est volumineuse et l’usage du terme est tel qu’il a perdu presque tout son sens. Mon texte pour la nouvelle édition souligne l’accent mis par Brundtland sur la nécessité de corriger les énormes inégalités entre les pays riches et les pays pauvres comme fondamental au processus de développement. C’est dans un tel contexte que le rapport parle de la croissance économique.

Comprendre le développement dans un contexte de limites

Dans mon texte, je prends pour exemple le chapitre 5 sur l’énergie, mais j’aurais pu tout aussi bien prendre le chapitre 8 sur la croissance industrielle ou le chapitre 3 sur le rôle de l’économie pour montrer ce fondement de l’ouvrage. Brundtland présente dans le chapitre 5 l’approche de «contraction/convergence», soulignant (i) les écarts (en 1987, et toujours en 2014…) entre la consommation d’énergie par les riches et par les pauvres et insistant (ii) sur la nécessaire reconnaissance d’une limite plutôt absolue quant à la consommation totale d’énergie possible. L’objectif devait être (iii) d’atteindre une bonne partie de la convergence, une consommation équilibrée et équitable par les riches et par les pauvres, vers 2020 (…). J’ai fait le portrait de l’expérience, ratée, dans un autre article. (suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

L’économie écologique au Québec (bis) : la question des externalités

Raymond Lutz commente en quelques lignes mon dernier article, sur certains travaux du FMI. Lui répondre directement est difficile, tellement il reste dans le flou et l’émotif. L’intervention mérite quand même une réponse, en essayant de préciser plusieurs points concernant l’économie écologique, et me voilà donc à écrire un nouvel article pour le blogue.

J’ai déjà essayé de le faire dans le Chapitre 1 de mon premier rapport comme Commissaire, mes «observations», dans le langage du Vérificateur général. C’est pour cela que j’y fais référence dans l’article précédent, sur l’économie écologique, que j’illustre justement avec la page couverture de ce chapitre du rapport. Pour faire court, je suggère que la section «Économie écologique et indicateurs complémentaires au produit intérieur brut» (1.60-1.72) de ce petit texte constitue toujours un bon point de départ. Encore suivant l’approche du VG, le texte ne fournit pas de références, mais j’utilisais pour mon analyse.Ecological Economics: Principles and Applications, Herman E. Daly and Joshua Farley (2005). Ce texte a été complété récemment (2012) par Energy and the Wealth of Nations: Understanding the Biophysical Economy, Charles A.S. Hall and Kent A. Klitgaard. J’avais déjà en main depuis des années For the Common Good : Redirecting the Economy toward Community, the Environment and a Sustainable Future, Herman E. Daly and John B. Cobb Jr. (1989), livre qui présente le premier calcul d’un Indice de progrès véritable IPV), pour les États-Unis.

Fig PIB IPV IPV-VTNR

 

Lutz demande, rhétoriquement, si l’économie écologique se résume à internaliser le coût des externalités, suggérant que ce n’est pas le cas, et semble vouloir par cela suggérer d’autres pistes, d’autres approches de l’économie écologique qu’il ne mentionne pas. Le terme «externalités» est bien connu des économistes, et réfère à des implications des activités économiques qui ne figurent pas directement dans le portrait de celles-ci. De façon plus générale, le terme peut référer à l’ensemble des écosystèmes, à la planète entière, comme cadre externe au modèle économique mais essentiel pour la poursuite des activités humaines, dont les activités économiques.

Dans mon article sur le FMI, je souligne le fait que cette organisation internationale prend la peine de calculer le coût de notre utilisation d’énergies fossiles et des impacts des changements climatiques qui en résultent; c’est loin d’être habituel pour ces organisations internationales à vocation économique. Il s’agit d’un calcul de certaines «externalités» de notre développement, dont mon calcul de l’IPV pour le Québec essaie de présenter le coût de l’ensemble et ainsi «corriger» le PIB. Le FMI, je soulignais, semble justement ne pas voir jusqu’où va cette approche, et maintient l’orientation de la croissance. De façon générale, différents calculs de l’IPV indiquent dans leurs résultats que le recours au PIB pour mesurer notre «progrès» le surestime par peut-être trois ou quatre fois (c’est le cas pour le Québec), surestimation qui paraît un peu moins dans la comparaison lorsque l’on réalise que l’IPV ajoute, comme contribution positive à notre progrès, celle du travail non rémunéré et le bénévolat (voir le graphique).

Je peux bien comprendre que le calcul de presque toutes les composantes de l’IPV comporte des failles, tout comme l’effort de calculer la valeur de différentes composantes des écosystèmes, voire de l’ensemble de la planète. Par contre, je ne vois aucune raison de penser que l’approche de l’IPV équivaut à rentrer dans un piège tendu par les promoteurs de la croissance économique, comme semble suggérer Monbiot dans l’article dont Lutz fournit le lien. Je suggère que Monbiot, très intéressant dans ses travaux, généralise ici; l’IPV constitue un effort de rentrer dans le modèle dominant et d’en montrer certaines implications; celles-ci me paraissent désastreuses pour le modèle, plutôt que de lui fournir des armes. C’est pour cela que je ne cherche pas à m’impliquer en restant uniquement ou surtout dans des questions de valeurs, comme Monbiot suggère préférable. Dans son article, lui-même cite toute une série de cas où les valeurs ne sont pas plus respectées que les calculs… Une approche via l’IPV permettant de critiquer dans ses propres termes le développement qui est en train de détruire la planète représente un élément d’attaque qui de toute évidence n’a quand même pas plus de résultats que d’autres approches.

Pour ce qui est des valeurs à la base de l’économie écologique, j’en ai esquissé trois dans mon rapport de 2007, suivant Daly et Farley (1.62) : une reconnaissance de l’importance de l’échelle de nos activités; une reconnaissance de notre dépassement à cet égard, exigeant une allocation des ressources qui limite les marchés; une reconnaissance que les bénéfices du développement doivent comporter une distribution équitable. Autrement dit, l’économie écologique inclut dans ses fondements des questions éthiques tout autant qu’un recours aux fondements de la thermodynamique et une reconnaissance de certaines valeurs monétaires établies par les marchés.

Avant même d’aborder la tâche de calculer l’IPV, j’ai donc calculé l’empreinte écologique du Québec, suivant une méthodologie plutôt robuste; il s’agissait justement d’établir les fondements pour des interventions touchant – au prime abord – la question d’échelle. Le résultat est aussi désastreuse pour le modèle économique actuel que l’IPV. Si toute l’humanité vivait comme une personne vivant au Québec, il faudrait trois planètes pour soutenir son activité. Ce dernier calcul en est un aussi d’externalités, dans le sens qu’il permet de quantifier, sans monétariser, le fait que nous dépassons, et de beaucoup, la capacité du monde «externe» à soutenir notre activité. En termes d’équité, il permet de mieux cerner aussi le caractère tout à tait inéquitable de notre développement, dans l’ensemble des pays riches.

Avant de proposer la poursuite du développement, il faut se poser la question quant aux limites en cause par rapport à la capacité de support de la planète à soutenir cette activité. L’empreinte écologique nous montre que l’humanité entière dépasse déjà par 50% cette capacité (le Québec par trois fois) et, peu importe des corrections possibles qu’ils voudraient peut-être apporter au calcul, les économistes ne peuvent nier la pertinence de la question ni les ordres de grandeur. Quand au calcul du coût monétaire des externalités associées au modèle économique actuel, dans ses propres termes, l’IPV réduit par les trois quarts ce que ces économistes considèrent comme la «richesse» générée par l’activité économique. Éric Desrosiers le souligne dans sa dernière chronique dans Le Devoir, chronique que j’ai mentionnée en terminant l’article sur le FMI: nos mesures actuelles ne sont pas appropriées pour la guerre dans laquelle nous nous trouvons, et l’économie écologique nous offre plusieurs pistes pour les batailles qui doivent être menées pour éviter l’effondrement.

Notre problème avec les décideurs n’en est pas un de valeurs seulement, peut-être même pas surtout. Il semble bien un problème de déni et/ou d’incapacité de sortir d’un moule professionnel et intellectuel qui insiste sur le fait que l’environnement et la société sont «externes» aux enjeux (les «vrais») du développement économique.

 

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Déclin du monarque – mise à jour

Pauline Gravel vient de nous mettre à jour dans le dossier de ce papillon grand voyageur qui se trouve en grande difficulté. Il s’agit d’un résumé d’un article qui vient de paraître dans le Journal of Animal Ecology. L’extinction n’est peut-être pas pour demain, mais les grands voyages seront à risque. D’autres textes se trouvent à la page du lien.

 

 

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Le FMI (re)connaît l’approche de l’économie écologique

Il est plutôt surprenant de voir le Fonds monétaire international (FMI) intervenir pour souligner les coûts des externalités occasionnées par l’utilisation des énergies (surtout) fossiles, et plus spécifiquement, par des subventions à celles-ci. C’est grâce à un article par Mitchell Anderson dans The Tyee que l’intervention de janvier 2013 a été soulignée récemment, et le lien à l’article a été diffusé au Québec par le list-serve Enjeux énergie.

Le travail de l’IMF est le résultat d’une équipe assez importante venant de plusieurs branches de l’organisation: Fiscal Affairs Department (FAD), Africa Department (AFR), Middle East and Central Asia Department (MCD). Le FMI distingue entre deux types de «subventions» en cause dans les quelque 175 pays étudiés. Le quai des CageuxL’approche est celle du «price-gap» utilisée par d’autres agences internationales (para 5) et qui cherche à prendre en compte l’écart entre les prix courants et ceux nécessaires pour capturer les coûts des externalités (para 1).

Taxes pigouviennes: une idée qui remonte assez loin

Le document porte d’une part sur des contributions directes «avant taxes» aux producteurs ou aux consommateurs, et d’autre part sur les contributions indirectes «après taxes» associées à une décision de ne pas attribuer aux producteurs et aux consommateurs le coût des impacts – les externalités environnementales et sociales – de leurs activités. Dans l’ensemble, le premier type de subvention est plutôt minime par rapport au deuxième : au Canada, 1,3 $G pour le premier, 32,9 $G pour le deuxième (voir Tableau 4, p.54 et l’article d’Anderson). Le document souligne (p.6) que les estimés présentés sont justement des estimés, des approximations, mais indique qu’ils seront raffinés par une étude du FAD à paraître.

Le cœur de l’étude, pour quelqu’un qui veut comprendre ce qui se passe au FMI, se trouve dans son recours à un calcul de taxes «pigouviennes», qui reflèteraient une taxe d’accise sur les produits énergétiques qui couvrirait les coûts des externalités associées aux émissions de CO2, à la pollution locale de l’air et à la congestion et aux accidents sur les routes (p.43). Bref, l’idée qui guide le calcul de l’Indice de progrès véritable depuis un quart de siècle n’est finalement pas nouvelle, mais n’est tout simplement appliquée nulle part.

Le FMI se réfère pour la base de son calcul à une étude de l’Interagency Working Group des États-Unis, qui a produit en 2010 Technical Support Document : Social Cost of Carbon for Regulatory Impact Analysis under Executive Order 12866. Selon ce document, le coût des impacts sur le climat des émissions serait environ 25$ par tonne; le coût des impacts locaux, la pollution de l’air, d’une centrale au charbon est estimé à 65$ par tonne.[1]

La lecture du document permet de mieux comprendre que le travail en reste un d’économistes qui adhèrent au modèle économique dominant – le contraire aurait été surprenant, Pigou, avec son intervention, ne faisant que corriger une  déficience des marchés et donc du modèle. Toute une panoplie d’analyses économiques présente l’approche assez traditionnelle de cette publication: les auteurs soulignent jusqu’à quel point les subventions, avant taxes et après taxes, nuisent à la croissance, entre autres en rendant l’utilisation d’énergie moins efficiente et les économies qui en dépendent moins compétitives. [Pour un intéressant survol de ce qui est en cause, voir Josh Farley, Ecological Economics.] En même temps, la présentation montre la complexité non seulement des analyses mais également de la mise en œuvre souhaitée de réformes (voir Section B : Macroeconomic, Environmental and Social Implications of Energy Subsidies).

Il y a un paragraphe qui propose que l’élimination des subventions avant impôt résulterait en une baisse du prix des énergies fossiles (para 21 – sans présentation de l’argument en cause). Une dernière section de la première partie souligne même l’iniquité occasionnée par les subventions. Dans la deuxième partie, le document présente des études de cas pour 22 pays qui ont essayé de réformer leurs programmes de subventions, dont plus de la moitié sont jugés avoir réussi. Après une analyse des facteurs ayant compromis ces efforts, le document termine avec une section qui propose une approche pour une réforme qui en tient compte. Une partie importante des hausses de prix qui en résultent dans le court terme est associée aux hausses du prix international. Le jugement que ces hausses finiront par se transformer en baisses semble critique dans la présentation.

Réponse structurellement incomplète aux crises associées aux externalités

Le document propose, comme élément de l’analyse, des liens entre le modèle économique et la résolution possible de défis environnementaux et sociaux. Il prône une réduction dans la consommation d’énergie, et justifie ce positionnement en soulignant les liens entre la consommation et le changement climatique; il souligne la nécessité de s’attaquer à d’autres externalités, dont l’épuisement des ressources naturelles et des nappes phréatiques, la pollution urbaine et les impacts sur la santé qui en résultent ainsi que d’autres externalités (para 18-19-20).

Le principe de base de l’étude, intéressant et fondamental, est en effet que les «subventions» – les coûts non reconnus des externalités de nos activités économiques – ne paraissent pas toujours dans les budgets, mais doivent ultimement être payées par quelqu’un. Le paragraphe 7 fournit le portrait assez frappant de ce principe clé pour l’économie écologique. (suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

L’économie écologique au Québec

Dès ma première semaine en poste comme Commissaire au développement durable (CDD), en janvier 2007, j’ai fait des contacts pour (i) commencer le processus de planification du calcul de l’empreinte écologique et (ii) embaucher des économistes ayant une sensibilité aux enjeux écologiques. J’ai contacté la Société canadienne d’économie écologique (SCANÉÉ), pour découvrir qu’il n’y avait que deux membres au Québec, que je les connaissais et qu’ils n’étaient pas disponibles. Finalement, j’ai trouvé deux économistes prêts à relever le défi et ayant des compétences permettant un certain optimisme. Pendant ma première année, mon équipe a pu calculer l’empreinte écologique (neuf mois de travail combiné pour un économiste et une comptable, à partir de données de l’Institut de statistique du Québec) et établir les bases pour le calcul d’un Indice de progrès véritable (IPV – voir la rubrique à l’accueil de ce site).Observations xii07

Les «observations» de mon premier rapport comme Commissaire, en 2007, présentait une esquisse de l’approche de l’économie écologique et annonçait mon intention de m’en servir comme élément fondamental dans mes vérifications du gouvernement. J’ai signalé à mon patron, le Vérificateur général, comme je l’avais signalé pendant les entrevues, qu’il s’agissait d’un effort de voir jusqu’à quel point les efforts du gouvernement en matière de développement – finalement, tout ce que le gouvernement fait, ou presque – étaient soutenables; c’était l’ensemble du travail du VGQ qui était donc en cause, la création du poste de CDD étant le résultat d’une compréhension réductrice du développement associé à un effort de verdir les activités du gouvernement.

Tout récemment, sept ans plus tard, de jeunes économistes ont décidé d’essayer de former une branche francophone de la SCANÉÉ dont au moins un signataire du récent manifeste pour une approche pluraliste dans l’enseignement (et dans la pratique par la suite…) de l’économie. Une première rencontre pendant la semaine de l’ACFAS à la mi-mai a permis de réunir une bonne trentaine de personnes. Dans le passé, un groupe d’universitaires québécois et d’autres ont réussi à tenir le rôle de hôtes pour le congrès biennal de la Société internationale de l’économie écologique, tenue en 2004 à Montréal; en 2009-2010, un autre groupe a essayé, sans succès, à s’organiser pour agir comme hôte pour le congrès biennal de la SCANÉÉ, à Québec. De mon coté, je n’ai pas réussi à convaincre le VG, le seul économiste dans toute la boîte du VGQ avant mes deux embauches, et bien traditionnel, de la pertinence de ma programmation. Mon contrat n’a pas été renouvelé et j’étais obligé de calculer l’IPV à titre personnel, avec l’aide d’un jeune économiste français finissant sa maîtrise en France avec un stage ici au Québec.

La publication de mon livre en 2011 n’a pas réussi à son tour à stimuler le débat absolument nécessaire; il est centré, comme élément clé, sur un retrait du PIB comme indicateur phare de notre progrès et de notre développement. Le Rapport de la Commission Stiglitz avait décrit en long et en large les grandes faiblesses inhérentes dans notre recours au PIB, mais depuis sa publication en 2009 je n’ai vu aucun changement dans le comportement des économistes (et des journalistes) à cet égard. Stiglitz ne semble pas avoir réussi non plus.

L’appel des jeunes étudiants en économie, par leur manifeste, montrait la situation plus générale, où seule l’économie néoclassique est présentée par les universités à leurs étudiants. Les jeunes qui essaient de faire reconnaître le rôle essentiel de l’économie écologique font face à une problèmatique davantage complexe. Il peut bien y avoir plusieurs écoles de pensée en économie, il reste que l’absolue nécessité de ramener les débats portant sur le développement économique à la reconnaissance de ses fondements dans l’environnement naturel, dans les écosystèmes planétaires et les ressources matérielles que la planète recèle, est une priorité devant les nombreuses crises qui sévissent actuellement, et qui séviront en permanence. Pour l’économie néoclassique, les enjeux environnementaux, et même des enjeux sociaux, sont précisément des «externalités», des enjeux qui ne la concernent pas directement, même si ces externalités, comportant des coûts énormes, sont le résultat du développement «économique»; d’autres écoles de l’économie n’en tiennent pas beaucoup plus compte. L’économie écologique, et sa variante l’économie biophysique, représentent des approches pouvant répondre à ces enjeux fondamentaux.

Nous voilà donc au Québec devant des politiciens des trois principaux partis à l’Assemblée nationale, dont un gouvernement majoritaire, qui sont complètement imbus, par leurs programmes, par leurs discours et par leurs actions, d’un développement économique inspiré de l’économie néoclassique. Les journalistes qui cherchent à couvrir l’actualité en ce sens, qui n’ont pas un ministère des Finances pour les «guider» comme les ministres du gouvernement et même les députés de l’opposition, rentrent presque universellement dans le même moule, alimentés par les universitaires ayant la même formation que les économistes au ministère des Finances (et ajoutons, au ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations et au Conseil du trésor). Le public ne peut que suivre le débat selon les paramètres de ce modèle économique utilisé par tous mais complètement dépassés et pour lequel les crises environnementales, voire sociales, ne sont pas de «vraies affaires»…

(suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Îles fortifiées : la «transition» énergétique

On trouve un peu partout, au Québec et ailleurs dans les sociétés riches, des orientations et des mouvements qui ciblent un accroissement de la production d’énergie renouvelable face au pic du pétrole et la hausse de son prix. On l’appelle couramment «la transition énergétique», et on doit bien noter que pour certains pays, comme les États-Unis, tout comme pour le Québec, la tendance est plutôt pour des ressources fossiles endogènes, surtout le pétrole et le gaz de schiste. En général, cette tendance est associée à la volonté de trouver des remplacements pour le pétrole et ainsi permettre de maintenir le «développement économique», mettant à l’écart d’autres orientations en matière de développement.

Hall ÉROI 2007 et 2030

Ici au Québec, on peut penser aux travaux de l’IRÉC, mais également à des propositions des groupes environnementaux et à tout ce qui tourne ou tournait autour de la filière éolienne. Les surplus d’électricité prévus pour une quinzaine d’années, jumelés à la perte temporaire du marché américain pour des exportations en raison de la baisse du prix du gaz et donc de l’électricité, avec l’exploitation à grande échelle du gaz de schiste, ont radicalement changé la donne. Un récent colloque à l’ACFAS ciblait le potentiel de développement territorial (lire des régions) en fonction d’une «transition énergétique» axée sur l’éolien. Comme participant au panel de clôture, le colloque m’a fourni l’occasion d’intervenir dans ce dossier, mais en mettant l’accent sur la situation plus générale. Voici les grandes lignes de la première partie de ma présentation.

Approche «éthique»: contraction/convergence

En 1987, la Commission Brundtland (CMED), dans le chapitre sur l’énergie (p. 206) de son Rapport, a introduit (à moins qu’elle n’ait été déjà dans l’air) la nécessité d’une approche de «contraction/convergence» face à la volonté de rechercher partout l’énergie essentielle au développement. Fondement de l’approche de la CMED, la reconnaissance qu’il y a une limite quant à la quantité d’énergie qui puisse être produite, au-delà de laquelle le développement se buterait à des conséquences négatives. Le Rapport proposait une limite de consommation globale d’énergie de 11,2 TW et reconnaîssait que cette limite était à toutes fins pratiques déjà atteinte; la Commission jugeait que d’autres scénarios ciblant une consommation plus importante comportait des risques inacceptables. Dans le but d’atteindre une équité dans les fondements du développement des différentes sociétés, il fallait donc, pour 2020, voir les pays riches réduire leur consommation d’énergie pour permettre aux pays pauvres d’en accroître la leur.Turmel Tableau Holdren

John Holdren, actuellement conseiller en science et technologie du Président Obama mais pendant des décennies professeur à Harvard et à l’Université de la Californie et expert en matière d’énergie et de changement climatique, est intervenu dans le dossier cinq ans plus tard, avec plus de détail que ce qui se trouvait dans le Rapport Brundtland. Déjà, la limite prônée par la CMED était dépassée, et Holdren jugeait inévitable une cible de peut-être 19 TW en 2025, alors que la contraction/convergence serait bien enclenchée, et de 27 TW en 2050, moment où l’humanité, rendue à 9 milliards de personnes, pourrait peut-être se permettre une consommation finale équitable de 3 kW par personne (voir le tableau). Entre autres, on voyait dans cette «programmation» la contrainte majeure imposée par la croissance démographique, la population mondiale n’ayant été que 5,3 milliards de personnes en 1990… Le scénario s’approchait de celui de la CMED jugé seulement cinq années plus tôt comme «irréaliste».

Tout récemment, l’Institut de recherche et d’information socioéconomiques (IRIS) est intervenu avec la présentation d’un calcul du «budget carbone» de l’humanité en 2014 en fonction des travaux du GIEC, plus précisément du troisième tome du cinquième rapport de cette instance onusienne, récemment publié. Selon les travaux du GIEC, l’humanité a déjà émis les deux-tiers du carbone que l’atmosphère, et le système climatique global, sont capables d’assimiler. Peu importe les énormes réserves potentielles de pétrole, de charbon et de gaz qui peuvent rester, la civilisation actuelle ne pourra les consommer sans courir à sa perte. C’est à noter que la CMED et Holdren ciblaient l’ensemble de la consommation d’énergie, alors que ces travaux récents du GIEC et de l’IRIS ne ciblent que l’énergie fossile; celle-ci représentait et représente quand même et toujours plus de 80% de la consommation totale d’énergie dan le monde, en 1987, en 1992, en 2014.

Lorsque l’on regarde l’histoire de notre consommation d’énergie depuis l’intervention de la CMED il y a un quart de siècle, on doit constater que celle-ci a continué à augmenter en termes absolus, et cela de façon dramatique. Probablement plus important, cette augmentation s’est faite sans la moindre tendance au respect d’une approche contraction/convergence. Nous faisons face à l’iniquité dans le développement que la CMED cherchait justement à décrire et à condamner, iniquité qui pourrait bien se révéler plus dangereuse que le dépassement des limites de la capacité de support de la planète. Du moins pour les sociétés riches, la «contraction» est devenue presque une fatalité, mais cela dans un contexte mondiale que la CMED voulait éviter.

Approche de repli: îles fortifiées

Une intervention de l’Office national de l’énergie (ONÉ) du Canada en 2007 décrit bien cette situation; il y présentait ses projections pour la période allant jusqu’en 2030.ONÉ 2007 Les projections étaient (et sont toujours) basées sur une détermination de la croissance économique souhaitable (nécessaire pour permettre le maintien du développement en cours…), sur les exigences que cela définissait en matière de demande pour l’énergie et sur le prix qu’il fallait pour permettre cela. L’ONÉ projetait, dans son «pire scénario», un prix du baril de pétrole de 85$ atteint en 2010 et maintenu à ce niveau jusqu’en 2030; il y a une augmentation de la consommation (comme dans tous les scénarios) mais plus faible, à 0,7%/année, en raison de la hausse du prix. L’ONÉ appelait ce scénario celui des «îles fortifiées» (la ligne rouge du graphique), en soulignant que l’atteinte d’un tel prix serait préoccupante : «Les préoccupations en matière de sûreté dominent ce scénario qui est caractérisé par une agitation géopolitique, une absence de confiance et de coopération sur la scène internationale, et des politiques gouvernementales protectionnistes» (voir l’ensemble de la section, p.99s). Six mois plus tard, le prix a atteint 145$, nous avons vécu le printemps arabe et la préoccupation restait tout entière…

L’ONÉ ne croyait guère que nous allions dans cette direction, mais il est revenu dans son rapport de 2011 à un scénario adapté à ce qui s’était passé, mais prévoyant toujours les mêmes tendances, finalement inévitables devant le principe de base à l’effet qu’il fallait maintenir la croissance économique. L’ONÉ est loin d’être seul dans ces orientations. Ce sont les mêmes pour toutes les agences d’énergie, incluant l’Agence internationale de l’énergie de l’OCDE et l’Energy Information Administration des États-Unis. J’en ai déjà parlé dans d’autres articles sur ce blogue, ainsi que dans différentes présentations.

(suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Le Rapport Brundtland : sa longue histoire au Québec

Pour le complément à cette récapitulation, voir la réflexion de Clifford Lincoln, qui sera l’objet d’un prochain article du blogue.

La Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED) – la Commission Brundtland – a été crée par l’Assemblée générale des Nations Unies, sa plus haute instance, en 1983, et la Commission a procédé à trois ans de Couverture 2014 - Version 2 consultations. Il a produit son rapport en 1987, sous le titre Our Common Future. Maurice Strong, un Canadien qui avait organisé en 1972 le Conférence des Nations Unies sur l’environnement humain à Stockholm, et qui organisera le Sommet de Rio de 1992 par la suite, en était membre; son secrétaire et grand responsable de l’organisation de tout le matériel qui se développait au fur et à mesure que la CMED poursuivait ses consultations, était Jim MacNeill, un autre Canadien. Pendant ses travaux, plusieurs contacts ont été faits au Canada, avec une séance à Ottawa en 1985; j’y ai participé avec Luc Gagnon pour l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), prédécesseure de Nature Québec. Un encadrement pour des contacts avec toute la Francophonie a été mis en place par le ministre de l’Environnement du Québec de l’époque, Clifford Lincoln.

À la sortie du rapport, en notant l’absence d’une version française, Roger Léger, un Acadien d’origine bien établi au Québec, a mis en branle des contacts pour obtenir les droits de publication de la version française. Une traduction existait déjà, commandée comme d’autres traductions par le Centre for Our Common Future, à Genève, l’organisation qui a pris la relève du secrétariat de la CMED elle-même. Léger a vite découvert que, à l’instar d’autres expériences ailleurs, la traduction était bourrée d’erreurs. Il a contacté Luc Gagnon de l’UQCN pour de l’aide, et nous avons mis en place au sein de l’organisme une équipe de douze personnes qui ont vérifié (et corrigé) l’ensemble de la traduction du rapport.

Notre avenir à tous est paru en première édition en 1988, aux Éditions du fleuve de Roger Léger. Roger Léger 2 Comme président du Comité canadien des ministres de l’environnement, Clifford Lincoln a entrepris d’assurer une mise en œuvre à la grandeur du Canada du «message» de la CMED. Il a créé et présidé une Table ronde québécoise sur l’environnement et l’économie en 1987, l’année même de la sortie du Rapport; la Table réunissait des représentants gouvernementaux, du secteur des affaires et des groupes environnementaux (dont moi-même). M. Lincoln s’est servi de cet exemple pour encourager ses collègues ministres des autres provinces à créer leurs propres tables rondes, et dans l’espace de quelques années, toutes les provinces du pays se sont dotées d’un tel outil de dialogue et de concertation. En 1993, le gouvernement canadien, sous Brian Mulroney, a créé la Table ronde nationale sur l’environnement et l’économie, qui a poursuivi ses travaux jusqu’en 2013. J’ai eu le privilège d’en être membre et, entre 2002-2005, d’en être président, grâce à une recommandation en ce sens de Clifford Lincoln, qui, après sa carrière au Québec, a servi comme député au Parlement canadien de 1993 à 2004, entre autres comme membre très actif (avec Charles Caccia et Karen Kraft Sloan) du Comité permanent de l’environnement et du développement durable.

Bref, en complément à cet événement marquant dans l’histoire des efforts mondiaux pour arrêter la dégradation de la planète et arriver à une prise de contrôle par l’humanité des processus dommageables aux écosystèmes planétaires, la publication du Rapport Brundtland a également été un événement marquant dans l’histoire de ces efforts au Québec. Clifford Lincoln, comme ministre de l’Environnement, a signé la Préface de la première édition de 1988, Luc Gagnon et moi avons écrit une mise en contexte, «Le rapport Brundtland : Base d’un nouveau départ», et Roger Léger en a assuré sa diffusion à travers la Francophonie. Ce dernier publiait une nouvelle édition du Rapport Brundtland en 2005 (toujours sans changer un mot du rapport lui-même), avec une Préface du ministre de l’Environnement Thomas Mulcair, un Avant-propos de Roger Léger et un texte de présentation «Le Rapport Brundtland : vingt ans plus tard» par moi-même. L’édition de 2005 étant de nouveau épuisée, Notre avenir à tous vient d’être réimprimé par Roger Léger et ses Éditions Lambda , cette fois-ci avec une Préface du ministre de l’Environnement Yves-François Blanchet (qui ne l’est plus depuis les élections du 7 avril), une entrevue de Roger Léger faite en 2007 avec Adéquation, qui distribue Notre avenir à tous en France, et encore une réflexion par moi, «Sa vision était claire».

Je conclus ma réflexion, ayant tout récemment consulté de nouveau le document, avec le propos suivant :

Notre avenir à tous fournit encore, plus de 25 ans après sa publication, la table des matières pour une approche au développement qui est souhaitable pour l’humanité. Le problème est que nous avons pendant ce temps dépassé tous les scénarios pour ce développement qui permettent qu’il soit soutenable, qu’il puisse durer dans le temps. Nous sommes aujourd’hui une fois et demi la population des années 1980, les inégalités sont encore plus importantes et la dégradation de la biosphère est bien plus avancée. Le déni s’est installé dans la demeure, associé à une impossibilité chez les économistes de revoir leur modèle, en dépit de failles béantes que des rapports comme celui de Stiglitz, Sen et Fitoussi en 2009 a souligné, failles dans les objectifs, failles dans les mesures, failles dans les pistes suivies. La table des matières du rapport Brundtland est maintenant celle d’un rêve, mais cela en soi en justifie la lecture.

Cela fait écho aux motifs derrière la décision du Premier Ministre Harper de démanteler la Table ronde nationale…

Devant cette longue et riche histoire, Clifford Lincoln répond à mon invitation et revient à la charge avec sa propre réflexion, plus d’un quart de siècle après avoir signé la Préface de la première édition, dans un article suivant du blogue.

NOTE: Finalement, l’article de Clifford Lincoln ne s’est jamais réalisé.

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

Transports : paradigme à changer, modèle à changer

Dans les années 1950, adolescent, je faisais la navette avec ma mère entre la maison et le magasin qu’elle gérait à San Francisco. Le trajet, quand je le faisais en soirée avec ma blonde, prenait 15-20 minutes. Aux heures de pointe que nous vivions, il prenait une heure vingt minutes; pour se rendre au pont, à quelques coins de rue du magasin, cela pouvait prendre 45 minutes en fin de journée. Quinze ans plus tard, j’ai eu l’occasion de confirmer qu’à Los Angeles, des gens acceptaient un trajet de deux heures, aller seulement… Il a pris encore quelques décennies pour que Toronto, ensuite Montréal et finalement Québec se mettent dans cette situation. La capacité d’adaptation des urbains à ces contraintes semble à toutes fins pratiques illimitée.

Pourtant, cela fait un démi-siècle qu’il s’agit d’un paradigme qui devrait, selon toute vraisemblance, être rejeté pour un meilleur. Dans la première mouture du chapitre sur l’énergie du livre en préparation, je me suis même permis d’imaginer quelques éléments du nouveau paradigme. L’expérience était intéressante : j’ai commencé par la transformation du parc de véhicules personnels en hybrides et électriques, pour passer ensuite, par la force de l’argument, à voir cette flotte de véhicules personnels presque remplacée par une flotte mixte de taxis hybrides, de navettes hybrides et d’un transport en commun complètement libre de combustibles fossiles. Je sentais que c’était une illusion intéressante, voire un imaginaire probable.

J’étais donc intéressé de voir, en visitant son blogue, que Gilles Bourque, de l’IRÉC, a tout récemment publié, avec Mathieu Perreault, Évolution du transport routier au Québec : La crise d’un paradigmeDémolition de l’autoroute Dufferin à l’été 2007Les faits saillants parlent de la fin de l’ère de l’auto, mettant en évidence les coûts économiques privés et publiques et même les coûts sociaux du paradigme.[1] Tout y passe, une histoire d’un paradigme qui est en même temps celle d’une bonne partie du mouvement environnemental : pertes de terres agricoles; coût important de consommation finale en transport pour les ménages; transport commercial par camion en croissance importante et dépassant les normes de construction des routes; coûts de la congestion; émissions de gaz à effet de serre; pressions énormes sur les finances publiques (et laissées en déficit).

Le texte même de Bourque débute avec des constats percutants, rendant mon «illusion» de l’an dernier un élément d’un nouveau paradigme, paraît-il.

La crise des infrastructures dévoile en fait les limites d’un paradigme sociétal dominant qui arrive à la fin de sa vie utile. Elle témoigne du fait que les contraintes systémiques de ce paradigme se lézardent, les unes après les autres : crises du fordisme (années 1970), de l’État-providence (années 1980), écologique (années 1990), de la mondialisation et de la finance (années 2000). Comme ces dernières, la crise des infrastructures démontre que la croissance illimitée de la production et de la consommation se heurte à des barrières infranchissables et qu’elle est loin d’être synonyme de mieux-être pour tous. La crise du paradigme se diffuse dans toutes les activités humaines, dans tous les secteurs. C’est une évolution conceptuelle profonde et simultanée des pratiques, des logiques et des imaginaires. (p.1)

Le paradigme rendu «à la fin de sa vie utile» n’est pas seulement celui dominé par l’auto et le pétrole, mais le système économique qui le soutenait, et qui, semble dire Bourque, dégringole depuis des décennies. Comme avec le texte de Sansfaçon sur l’improbable révolution industrielle, je me demandais comment le rapport allait terminer, puisque ces constats semblent aller plus loin que ce que l’IRÉC reconnaît d’habitude face aux crises qui sévissent, aux crises qui se préparent. (suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite

La nouvelle révolution industrielle et énergétique improbable

Cela semble prendre des économistes pour répandre à travers la société l’idée que notre avenir rime avec une nouvelle «révolution industrielle». Du moins, il est loin d’être évident comment une telle idée puisse se trouver autrement dans les discours politiques, économiques et journalistiques actuels. Je me demande si ce n’est pas un témoignage de l’efficacité du travail assidu et intéressant, mais malheureusement mal orienté, de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC). Je suis ce travail depuis au moins 2011 (liens suivants pour les articles) quand un colloque de l’IRÉC a lancé l’idée de l’électrification des transports, dans le contexte d’une «reconversion industrielle». Cette idée se jumelle à une autre, la «reconversion écologique» de nos politiques industrielles, en fonction d’une corvée transports avec une importante composante industrielle. Il y a un nombre important de publications consacrées à ces thèmes et la référence formelle à une «révolution» industrielle dans ces travaux se trouve dans le rapport de février 2013, Politique industrielle: stratégie pour une grappe de mobilité durable. Conforme à sa mission, l’IRÉC mène en permanence un travail de sensibilisation et de lobbying impressionnant, et cela depuis plusieurs années et cela semble avoir certaines retombées.

Port de Shanghai

Le ministère des Ressources naturelles, un ministère «à vocation économique», avance l’idée dans le document de consultation de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (CEÉQ) publié à l’automne 2013. Le document fournit un scénario décrivant les mesures nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 25%, engagement du gouvernement Marois et le minimum (à l’échelle planétaire) jugé nécessaire par le GIEC). D’ici 2020, selon un scénario esquissé, il faudrait (i) convertir 100 000 maisons au chauffage électrique, (ii) convertir plus de 30 000 bâtiments commerciaux ou institutionnels au chauffage électrique, (iii) retirer de la route environ la moitié du parc automobile et (iv) réduire de plus des deux tiers les émissions de l’industrie de l’aluminium (page 56).

La CEÉQ n’avait pas besoin de le dire – et ne l’a pas dit – mais de tels objectifs, ou leurs équivalents dans d’autres scénarios, sont tout simplement irréalistes et irréalisables. Pourtant, comme introduction à cette présentation, la CEÉQ souligne, deux pages plus tôt, «qu’il faudra nécessairement envisager la lutte contre les changements climatiques comme une occasion de developpement économique sur la base de l’efficacité énergétique et de l’énergie propre. S’il relève ce défi, le Québec pourrait devenir un des chefs de file de la prochaine révolution énergétique à l’échelle mondiale». Les économistes du ministère des Ressources naturelles (MRN) y montraient une main lourde.

La proposition était absurde, et la CEÉQ a fait amende honorable dans son rapport du début de février, ayant écarté de toute évidence l’intrusion de ces économistes du MRN. Dans le rapport, la CEÉQ reconnaît l’illusion de l’engagement des réductions de GES de -25 % pour 2020, et propose d’abandonner les objectifs du GIEC. Elle peut bien cibler une réduction de 75 % des émissions pour 2050, les gestes que nous pourrons poser à court terme, quand cela va compter, selon le GIEC, s’y réduisent à un objectif de réduction de consommation de produits pétroliers de 20% et une réduction des émissions de GES de 15% pour 2025.

En lisant l’éditorial du 15 mars 2014 de Jean-Robert Sansfaçon sur «l’improbable révolution» nécessaire pour contrer les changements climatiques et en même temps relancer le développement économique, il fallait bien se demander comment il allait terminer, tellement il soulignait l’importance des défis. Et voilà, c’est avec un appel à «la démonstration [tout aussi improbable] des avantages économiques et sociaux d’une première grande révolution industrielle pour ce millénaire». L’appel est fidèle à l’analyse que fait souvent Sansfaçon des enjeux sociétaux, celle d’un économiste. Sansfaçon ne semble pas y voir qu’un voeu pieux, mais c’est curieux qu’il pense nécessaire de faire une telle proposition.DSC07971

Deux jours après l’éditorial de Sansfaçon, son collègue et journaliste en économie Gérard Bérubé a également fait porter sa chronique hebdomadaire sur les défis soulevés par le GIEC et, de façon surprenante, fait appel aussi à une «révolution industrielle»; suivant Sansfaçon, il le considère aussi improbable. Davantage intéressant, Bérubé met en évidence le peu de probabilité que la solution va se trouver du coté de la croissance économique, qu’il met en perspective à plusieurs endroits dans sa chronique – il semble y suggérer qu’elle nous mène dans le mur. «Difficile de réaligner le tout sur la décroissance et le localisme. Ainsi, un mur, voire un choc brutal, semble inévitable avant que la prochaine grande révolution industrielle, celle liée au développement durable, ne s’enclenche» Reste une absence totale d’indications comment il voit une telle «révolution industrielle» [improbable] sortir du choc brutal… (suite…)

Facebooktwitterlinkedinmailby feather Lire la suite
Translate »