Randers révise les projections du Club de Rome

J’ai décidé de lancer ce blogue en m’appuyant sur les travaux du Club de Rome de 1972, travaux qui marquaient de façon claire les objectifs du mouvement environnemental dans son ensemble. Il s’agissait d’éviter les effondrements qui viendraient si l’humanité ne réussissait pas à intégrer le respect pour le maintien des écosystèmes dans la poursuite de son développement. L’intérêt n’est pas ne prétendre que l’ensemble de ce travail représente des prédictions précises, mais d’insister plutôt sur l’approche globale permise par l’analyse de systèmes qui marquait le travail. Les auteurs ont réuni dans leur modèle une multitude de relations entre les différentes composantes de notre développement, et c’est cette perspective intégrée sur la dynamique des systèmes complexes et inter-reliés qui importe. Le modèle des auteurs reflète l’ensemble des problématiques marquant les interventions du mouvement environnemental au fil des ans, cela en interaction avec les enjeux économiques et sociaux dont elles ne pouvaient pas faire abstraction.DSC00159

J’ai donc lu le livre 2052 : A Global Forecast for the Next Forty Years de Jorgen Randers – un des auteurs du livre de 1972 – dès sa sortie en 2012, année du 40e anniversaire de la publication de Limits to Growth et publié par la même maison d’édition qui a publié les deux mises à jour de l’ouvrage en 1992 et 2004. La couverture du livre de Randers note qu’il est un «rapport au Club de Rome lors de la commémoration du 40e anniversaire de la publication de Limits to Growth», et Randers remercie le Club de Rome à l’intérieur pour avoir reçu chaleureusement le livre comme un rapport au Club de Rome, comme partie de la commémoration. Rien ne suggère qu’il s’agit d’un rapport commandité par le Club de Rome. C’est bien plutôt une initiative de Randers. Par ailleurs, j’étais frappé de voir sortir le livre par un seul des auteurs de l’ouvrage d’origine après trois publications signés par l’ensemble, et je présumais dès le départ que Dennis Meadows, chef d’équipe pour le groupe de 17 chercheurs qui ont fait le travail pour la publication de 1972, avait été consulté et n’était pas d’accord. Meadows a maintenu publiquement son adhésion aux projections de 1972 pendant cette même année anniversaire. J’ai même pu le rencontrer lors d’un colloque en 2012 où il manifestait clairement ses inquiétudes, en mettant un accent sur les enjeux financiers de la crise.

Pierre-Alain Cotnoir demandait tout récemment mon opinion du livre, qui se distingue du livre de 1972 en proposant une prévision de ce qui va se passer durant les 40 prochaines années. Ayant suivi l’évolution du «dossier» depuis 40 ans, je voulais bien voir comment Randers procédait pour extensionner de peut-être 20 ans l’inflexion des courbes signalant des effondrements dans les différents systèmes planétaires, écologiques, économiques et humains. Même en consultant le fichier Excel mis à la disposition des lecteurs (comme j’ai fait pour mon livre de 2011…), je n’arrivais pas de façon satisfaisante à bien saisir ce que Randers a changé dans les fondements et dans les projections; en fait, il procède d’une autre façon, avec un autre modèle.

Nous n’avons pas facilement accès à l’ensemble des décisions prises par les auteurs de Limits pour permettre les projections faites par leur modèle, World3, mais ils étaient obligés de procéder de la même façon que Randers, avec des jugements quantifiés sur chacune des composantes de leur modèle quant à son comportement dans l’avenir ciblé, jusqu’en 2100. Randers refait l’exercice, explicitement, et c’est le défi que représente la lecture du livre que d’analyser cet ensemble de jugements. Pour l’aider dans son évaluation, Randers a fait appel à 41 spécialistes dans une multitude de domaines en leur demandant de brosser le portrait des 40 prochaines années, selon leur compréhension de ce qui va se passer. Leurs courts textes s’insèrent tout au long du livre et Randers les commente, dès fois étant d’accord, des fois soulignant quelques désaccords. Ses commentaires proviennent de sa propre analyse de la situation, qu’il rend plutôt explicite dans la deuxième partie du livre et qui ne dépend pas de ces textes. (suite…)

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Finances publiques : Le monde euclidien des économistes – et l’autre

J’ai gagné le prix en sciences et mathématiques de ma promotion d’école secondaire, et c’était une bonne école. À l’âge de 17 ans, j’ai néanmoins pris la décision de poursuivre mes études dans un programme généraliste qui ciblait les grands auteurs et une approche pédagogique qui prônait le dialogue plutôt que la déduction. Par la suite, j’ai quand même pu me faire le plaisir de lire, pendant mes années dans ce programme d’études, l’œuvre complète des Éléments d’Euclide et des Coniques d’Apollonius. Plus tard, j’ai croisé le fer avec La géométrie de Descartes et les Principia mathematica de Newton, livre le plus difficile que j’ai confronté dans toute ma carrière. J’ai fait mon doctorat sur L’Almageste de Ptolomée et sa démonstration de deux façons d’expliquer comment le soleil tourne autour de la terre… Plus tard encore, dans mon enseignement, et sans diplôme en mathématiques mais en collaboration avec mes collègues mathématiciens, j’ai mis mes étudiants en contact avec La théorie de parallèles de Lobachevski et la Science absolue de l’espace de Bolyai, montrant qu’Euclide semblait avoir tout faux, et les Essais sur la théorie des nombres de Dedekind (j’ai même fourni un complément à sa présentation).Lobachevski

Elle n’était donc pas inconnue, cette entrée dans le monde abstrait que j’ai faite en lisant la récente publication de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. J’avais déjà lu avec intérêt les deux travaux précédents de cette équipe dirigée par Luc Godbout. Reste que j’étais frappé cette fois-ci de me sentir si loin dans l’abstrait. Explication partielle: entretemps, je m’étais consacré à deux années de travaux dans le monde d’Excel, avec les chiffres et les calculs en abondance, pour présenter un Indice de progrès véritable aux économistes du Québec, histoire de suggérer que c’est le temps de mettre les pendules à l’heure.

Le raisonnement euclidien

En lisant cette récente étude, j’y trouvais, suivant les bons exemples mathématiques, une longue section sur les hypothèses (les axiomes et postulats de mon lointain Euclide), hypothèses démographiques, économiques et budgétaires. Ma lecture ne comportait pas de critique du raisonnement mathématique fondamental à cet ouvrage, et je pouvais même constater que les hypothèses de base pour les projections ne prennent que les données les plus «évidentes», c’est-à-dire celles fournies par l’expérience des dernières décennies et les projections fournies par l’Institut de la statistique du Québec et le ministère des Finances[1]. Leur analyse de sensibilité, par ailleurs, ne fait que jouer avec les chiffres des hypothèses, toujours dans l’abstrait. Les résultats des projections des auteurs sont plutôt déconcertantes: des déficits structurels dans le budget de l’État, en permanence.

Sans suggérer un parallèle sérieux ni avec le livre ni avec le lecteur, je me sentais un peu comme Lobachevski regardant les parallèles d’Euclide en lisant le document : Qu’est-ce qui changerait si je jouais avec les hypothèses? me demandais-je. Finalement, à la fin de la lecture, je voulais créer un autre monde que celui décrit par les auteurs, mais non pour changer les projections déconcertantes. Je voulais voir ce qui pourrait se passer dans le vrai monde alors que notre société se prépare à foncer dans un mur, selon les auteurs de cet ouvrage, et selon mes propres analyses. Éric Desrosiers suggère, à sa lecture du document, qu’il est probablement possible de «passer à travers» le mur, plutôt que de le frapper, «à condition seulement que l’on sorte d’une logique de changements à la marge et que l’on ose chercher de nouvelles solutions. En tout cas, cela vaudrait la peine d’essayer». C’est ce que j’appelle l’optimisme opérationnel. À mon sens, c’est justement une sorte de géométrie non-euclidienne qu’il nous faut.

Les auteurs concluent en laissant à nos décideurs la tâche de voir au changement de logique, de paradigme, changement qu’eux-mêmes ne semblent pas apercevoir comme aussi fondamental que Desrosiers :

En fait, l’objectif principal de notre analyse consiste à répondre à l’invitation pressante de l’OCDE à procéder à une évaluation des perspectives budgétaires à long terme des gouvernements afin de promouvoir la transparence budgétaire. Comme l’indique l’OCDE, la soutenabilité budgétaire est un concept «qui intègre la solvabilité, la stabilité de la croissance économique, la stabilité de la fiscalité et l’équité intergénérationnelle». Dans cet esprit, la projection développée permet de juger de la soutenabilité budgétaire des finances du gouvernement du Québec aux horizons 2030 et 2050 (p.59, mes italiques).

Et un raisonnement «non-euclidien»: correction des projections sur les finances publiques

Finalement, les projections de l’ouvrage ne fournissent absolument pas les fondements permettant de porter un jugement adéquat sur la soutenabilité budgétaire du gouvernement aux horizons 2030 et 2050. Les arguments mathématiques aboutissent aux résultats des projections, et ceux-ci constituent ses conclusions. De là à suggérer que les résultats peuvent s’appliquer au vrai monde requiert une application qui dépend de toute une autre série de facteurs, dont une révision des hypothèses pour permettre la transition plus adéquate au réel. Je puis commencer à décrire le changement requis avec un calcul du monde «non-euclidien» que j’ai fait pour mon livre sur l’IPV. (suite…)

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Histoire de trois chroniques

Ma lecture de journal de lundi était intrigante cette semaine, en raison de deux chroniques par des journalistes, cela après une autre chronique plus que pertinente du samedi précédent.

François Brousseau fournit pour Le Devoir des analyses politiques des dossiers internationaux intéressantes, cela de façon régulière. De temps en temps, il ne peut s’empêcher de se trouver confronté en même temps à des  sujets qui soulèvent la question des critères d’analyse qui méritent réflexion. C’était le cas pour moi en lisant sa chronique sur le progrès politique et social en Tunisie ces temps-ci. Sa description me rappelait l’expérience de la vague orange au Québec il y a deux ans, expérience qui m’a amené à souhaiter une vague arc-en ciel au Québec, histoire justement de nous voir essayer de renouveler nos institutions. J’étais prêt à voir à l’Assemblée nationale une majorité de «potiches», et je n’étais pas seul.

Bref, je me demande si on devrait vraiment regretter «l’amateurisme et l’impréparation» politiques et «l’incompétence économique» des nouveaux politiciens en Tunisie, suivant les propos de Brousseau dans sa chronique. La «compétence économique» me paraît pleine de risques de nos jours. Et le fait que l’opposition à l’Ennahda, avec «des forces éparses et divisées», manquait de structure – autre institution pleine de risque de nos jours – mais a réussi à se donner un «véritable débat social, politique et médiatique» était plutôt encourageant.

Finalement, ses bémols me rappelaient plutôt les espoirs des mouvements de 2011, ceux des indignés et des Occupy Wall Street (où une certaine incompétence économique était complète et voulue!).

Guy Taillefer ne manque pas la chance de mettre l’accent sur cette incompétence économique dans sa chronique «Des arbres et du charbon», portant sur le débat environnement-économie en Inde. La chronique m’a rappelé une émission que j’ai vue à la télévision chinoise en 2009 quand Jairam Ramesh, ministre Indien de l’Environnement à l’époque, était interviewé par un assez bon journaliste à CCTV-9 lors de son passage à Shanghai. Ramesh a souligné que jamais ils ne pourraient faire en Inde ce que la Chine a fait dans la mise en place du PuDong, le quartier financier de Shanghai construit totalement à neuf sur un site presque «vierge», occupé seulement par des milliers de paysans agriculteurs – ils ont été expulsés – et abritant des milieux humides importants.Le quartier PuDong de Shanghai La démocratie indienne, disait Ramesh, ne laisserait pas passer une telle affaire. Je n’avais pas entendu parler des suites dans la carrière de Ramesh, mais Taillefer nous informe que le positionnement de Ramesh en général a «choqué les milieux d’affaires et ses collègues du cabinet» et il a été remplacé.

Le statut «déprimant» de l’occupant actuel du poste, ministre de l’Environnement et de l’Énergie, m’a intrigué. J’ai encore sur mes tablettes la cocarde que j’ai reçue lorsque j’ai participé au Comité international du Nord-Est sur l’énergie (la rencontre annuelle des gouverneurs et des premiers ministres) en 1991, quand j’étais sous-ministre adjoint à l’Environnement. J’imagine que les responsables ne comprenaient pas ce que je faisais là, et j’étais identifié «Environnement et Industry – Province of Quebec»! C’était précisément l’époque où Gérald Tremblay (Industrie) et Pierre Paradis (Environnement) avaient tellement besoin de s’entendre que je proposais à mes amis qu’ils devraient échanger de postes…

Quant au reste, Taillefer laisse l’ambiguïté régner tout au long de la chronique, dont la première phrase souligne qu’il y a «une opinion trop répandue en Inde qui veut que ses lois sur la protection de l’environnement entravent indûment la croissance économique du pays» Il poursuit: »C’est faux, mais ça colle». Rendu à la fin, Taillefer cite Rajiv Lall, un «capitaine de l’industrie des infrastructures», qui affirme que «notre cible de croissance annuelle de 9% est incompatible avec nos aspirations environnementales» et que le moment serait propice, selon lui, de »prendre le temps de réfléchir». Taillefer conclut en notant que Lall ne voit pas du tout que la machine politique y soit disposée, et «en avant la fuite».

Selon Taillefer, le Premier ministre Manmohan Singh se plaint que les «lois vertes» étouffent l’économie indienne. Je donnais justement une conférence hier pour souligner jusqu’à quel point l’ensemble de l’élite politique,  économique et médiatique québécoise va dans le même sens. On ne peut pas se permettre de manquer le bateau face à l’occasion d’exploiter notre pétrole, disaient-ils dans son manifeste récent, cela sans donner des indications qu’ils ont des connaissances de ce qui est en cause. Ils promettaient tout simplement «les plus hauts standards environnementaux» pour gérer la situation.  Nous étions plusieurs à riposter, avec un autre manifeste. Les signataires du premier manifeste n’incluaient pas les André Caillé, Lucien Bouchard et André Boisclair de notre élite québécoise, déjà acquis à l’industrie du pétrole. Carole Beaulieu, éditrice de L’actualité,  semble aller dans le même sens dans son dernier éditorial, et Alain Dubuc cherche même à souligner – à tort – «trois non-sens économiques» dans notre manifeste. La différence que je remarquais en lisant Taillefer: l’Inde a au moins un Rajiv Lall, parmi les capitaines de l’industrie, pour souligner l’incohérence!

La chronique de samedi du journaliste en économie Éric Desrosiers portait sur «l’art délicat de passer à travers les murs» maintenant construits dans l’édifice économique lui-même, et j’y reviens dans mon prochain article sur le blogue en commentant la récente publication de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, La soutenabilité budgétaire des finances publiques du gouvernement du Québec. Leur constat: les finances publiques du Québec ne sont pas soutenables. J’ai abordé l’ensemble de ces enjeux cette semaine dans une conférence que j’ai présentée au Centre universitaire de formation en environnement et en développement durable de cette même Université. Ma conférence s’intitulait «Comment gérer l’échec d’une carrière et celui d’une société?» Le thème de la série de conférences est «Initiateurs de changement» et j’ai dû insister sur l’échec de mes 45 ans d’efforts pour obtenir du changement de la part de nos élites!

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Les trois non-sens économiques d’Alain Dubuc

Je venais d’écrire mon dernier article, sur les enjeux visés par le Manifeste pour sortir de la dépendance au pétrole, que voilà, je découvrais l’intervention d’un autre économiste, d’un autre éditorialiste, qui me pousse à poursuivre. Alain Dubuc, dans La Presse du 22 janvier, sort un éditorial qui propose que le manifeste «sombre dans la caricature», ceci en raison de trois non-sens économiques qui s’y trouvent. Je les passe un par un.

1. Le premier consiste à douter qu’une éventuelle production pétrolière réduise nos importations de pétrole. «Il est cependant irresponsable d’affirmer, car il n’y a aucune preuve ni garantie, que l’exploitation en sol québécois réduira durablement et significativement ce déficit commercial.» On ne devrait pas à avoir à prouver des évidences. Chaque baril de pétrole produit au Québec réduira le déficit commercial d’autant. L’ampleur de la réduction du déficit commercial dépendra essentiellement de l’importance de cette production.

Ce que Dubuc ne mentionne pas est que les signataires du Manifeste pour le pétrole présument – et je dirais souhaitent – que nous consommions de plus en plus de pétrole dans les années à venir. Ce souhait est celui de l’ensemble du milieu économique, qui projettent une augmentation énorme de la consommation des combustibles fossiles dans les prochaines années. J’en ai décrit les paramètres dans mon récent article sur ce Manifeste pour le pétrole. Si la production souhaitée ici ne compense pas l’accroissement également souhaitée de notre consommation, le déficit commercial augmentera. Rien ne nous dit que la production hypothétique pourrait atteindre la hausse de la consommation de 28% projetée pour le Québec…

2. Le second porte sur la crainte que la production pétrolière compromette nos efforts pour réduire notre dépendance au pétrole. Mais pourquoi en serait-il ainsi? Les Québécois voudront-ils brûler plus d’essence parce qu’elle vient de chez nous? Cette crainte vient peut-être du fait qu’on plaque inconsciemment au pétrole le modèle hydroélectrique où, parce que c’est notre électricité, on la vend au rabais et on encourage la surconsommation.

Il faut bien se demander comment les Québécois vont se comporter, mais il faut aussi associer la volonté du gouvernement, finalement, des trois principaux partis, de procéder à l’exploitation comme une orientation qui va dans le sens contraire d’une volonté de réduire notre consommation, en termes absolus. Finalement, c’est le même problème que le premier: pour l’ensemble des agences énergétiques des pays riches, la croissance économique dépendra d’une hausse de la consommation des combustibles fossiles – et cela  en fonction de projections d’un prix pas trop élevé…

3. Mais l’argument le plus étrange, c’est de douter que cette production puisse procurer des bénéfices économiques, notamment parce que «les entreprises privées détiennent l’essentiel des droits d’exploitation», en faisant référence au cas norvégien. Pourquoi aller si loin? On peut regarder juste à côté, à Terre-Neuve, même si ça fait moins chic, où l’exploitation du pétrole a eu un impact majeur et déclenché une véritable révolution.Mines couverture rapport 2009

Pendant ma deuxième année comme Commissaire au développement durable, j’ai mené la vérification des interventions gouvernementales dans le secteur minier qui a causé un certain émoi lors de sa publication en mars 2009. Comme disait le communiqué émis à ce moment-là, «les analyses fiscales et économiques produites par le MRNF ne lui permettent pas d’établir de façon claire et objective si le Québec retire une compensation suffisante en contrepartie de l’exploitation de ses ressources naturelles». Le rapport lui-même est plus clair: «Pour la période allant de 2002 à 2008, 14 entreprises n’ont versé aucun droit minier alors qu’elles cumulaient des valeurs brutes de production annuelle de 4,2 milliards de dollars. Quant aux autres entreprises, elles ont versé pour la même période 259 millions de dollars, soit 1,5 p. cent de la valeur brute de production annuelle». L’exploitation pétrolière est toujours une activité minière.

L’adoption de la nouvelle loi sur les mines avant les Fêtes n’a rien changé à ce portrait, sur le plan économique. Un article du Devoir de mai 2013 fait le point, en citant les propos d’Yvan Allaire, président de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques et qui a suivi le débat de façon assidue: «À force de reculer, le gouvernement péquiste a accouché lundi d’un régime d’impôt minier «pire» que celui hérité du gouvernement libéral».

Comme je souligne presque avec consternation dans l’article publié hier, ce sont bien plutôt les économistes et les dirigeants politiques qui les suivent qui font presque de la caricature dans leur insistance pour un développement économique qui ne veut pas tenir compte du calcul des externalités et des questions d’échelle dans les activités économiques des sociétés. À ce sujet, voir l’ensemble des documents sur ce site sous la rubrique Indice de progrès véritable, dont la Synthèse du livre que j’ai publié en 2011 et qui passe inaperçu chez les économistes que je visais avec ce travail, ainsi que le rapport du VGQ sur l’empreinte écologique que j’ai produit en 2007.

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Julian Simon et la gageure sur la sortie du pétrole

Le Manifeste pour sortir de la dépendance au pétrole semble faire assez de vagues pour me permettre de croire que vous l’avez vu. Le contraste entre les deux manifestes récents (pour l’autre, voir mon dernier article sur ce blogue) met en évidence les énormes paris qui marquent les processus décisionnels, voire les processus délibératifs qui ont cours aujourd’hui.

Lors de la rédaction du document, il y a eu des échanges sur la pertinence ou non d’inclure la recommandation visant une réduction de 25% de nos émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2020 – soit l’objectif du gouvernement actuel et le minimum proposé par le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (le GIEC). La réflexion sur le Manifeste me ramène dans ce contexte au document de consultation de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec dont j’ai déjà parlé dans mon article Consultation sur les enjeux énergétiques : un exercice bâclé.

Le document de consultation présente un scénario possible, un parmi de nombreux, pour atteindre cet objectif, soit :dans le secteur résidentiel, convertir 100 000 logements encore chauffés au mazout ou au gaz naturel à l’électricité (sur environ 650 000 logements non chauffés à l’électricité); dans le secteur commercial et institutionnel, convertir environ 31 000 bâtiments – fermes d’élevage, exploitations agricoles, bâtiments institutionnels, lieux de culte, hôpitaux et écoles; dans le secteur des transports, retirer de la route ou convertir à l’électricité environ 2,1 millions d’automobiles ou camions légers (tout près de 50% du parc; dans le secteur industriel, réduire de plus des deux tiers les émissions de l’industrie de l’aluminium.DSC06574

Les commissaires notent qu’il s’agit d’un très grand défi et proposent que la façon de le relever est de saisir «l’occasion [que ce défi représente] de développement économique sur la base de l’efficacité énergétique et de l’énergie verte» (p.55). Ils doivent penser aussi qu’il s’agit d’un défi impossible à relever en ses propres termes, mais ils ne le disent pas. Nous ne le disons pas non plus dans notre Manifeste, sachant que si nous ne relevons pas le défi, nous sommes dans le trouble comme société.

Pour les commissaires, non seulement leur proposition pour du développement économique n’entrainêrait pas de nouvelles émissions (ils parlent d’«énergie verte») mais il prendrait les gains de l’efficacité énergétique (dans l’usage de l’électricité – déjà en surplus) pour poursuivre davantage de développement : ils ne le pensent pas nécessaire de réduire notre consommation globale d’énergie, contrairement à ce que Brundtland proposait déjà il y a un quart de siècle. Tout en ayant un air très sérieux, la proposition des commissaires est incompréhensible et finalement farfelue. Pour le reste, ils rejoignent les signataires du Manifeste pour le pétrole en proposant l’exploitation de nos hypothétiques réserves de pétrole. Un but de notre récent Manifeste est de souligner des défis que la Commission, tout comme les signataires de l’autre manifeste, ne reconnaissent pas et dont l’absence dans la réflexion semble expliquer l’incompréhensible.

C’est une restructuration fondamentale de nos sociétés et de leurs activités économiques qu’il faut cibler. L’utilisation abusive de combustibles fossiles et la production de quantités astronomiques de GES d’origine fossile par l’humanité, surtout dans les dernières décennies, sont des composantes d’un portrait de notre situation qui n’est que partiel, et les commissaires, comme les signataires du manifeste pour le pétrole, ne voient même pas celui-ci, associé au défi que représentent les changements climatiques. Je n’ai pas besoin de rentrer dans le détail pour le reste. Il s’agit des crises contemporaines dans presque tous les secteurs de notre activité et dans presque tous les écosystèmes qui permettent à nos sociétés de se maintenir en vie. On peut parler des crises de l’eau douce, de celle des océans et des risques importants pour la santé associés à la pollution de l’air dans de nombreuses villes, peut-être surtout dans les pays émergents. On peut parler des crises de l’alimentation derrière (en partie) le printemps arabe et les propositions d’élargir nos bases diétaires pour inclure des insectes et des aliments à base d’algues. On peut parler des crises de la biodiversité. Et j’en passe.

Le développement économique prôné par les commissaires est pris pour acquis comme l’objectif de toute politique énergétique et leur travail est de fournir les bases pour la prochaine, d’orienter le développement économique de notre société. C’est la même chose pour les signataires du Manifeste en faveur de l’exploitation des ressources énergétiques qui gisent possiblement sous la surface de notre territoire. Ce développement se poursuivrait, doit se poursuivre, selon le modèle que nous connaissons de mieux en mieux. Ses promoteurs font abstraction de l’ensemble des crises générées par le recours à ce modèle, proposant que de «hauts standards de protection environnementale» règleront ses aspects négatifs. Étrangement, ils semblent incapables de voir que de tels standards sont en place depuis des décennies, décennies pendant lesquelles les crises se sont développées. (suite…)

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Quel Manifeste!

Tout récemment, deux chercheurs de l’IRIS ont publié un document sur le «budget carbone» du Québec, selon les sources scientifiques les plus réputées qui soient, les membres du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui a publié le premier volet de son cinquième rapport en septembre dernier.  Ils soulignent que pour pouvoir espérer limiter le réchauffement de la planète à 2 degrés C, un consensus mondial, il faut que les émissions globales des GES ne dépassent pas environ 3000 Gt de CO2 entre 1861 et 2100, et les deux-tiers de celles-ci ont déjà été émises. À partir de ces données, les chercheurs font le calcul du «budget carbone» du Québec, c’est-à-dire les réductions d’émissions qui s’imposent si le Québec va faire sa part dans l’effort.

Il est fascinant de voir ce travail s’insérer dans un processus déjà en place dans le rapport de la Commission Brundtland de 1987, soit celui de la contraction/convergence qui (i) établit des limites quant à la quantité d’énergie fossile qui peut être utilisée selon une application évidente du principe de précaution et (ii) distribue l’énergie qui peut ainsi être consommée de façon équitable, reconnaissant les énormes inégalités actuelles (et dans les années 1980). Une contraction est nécessaire dans les pays riches, et une convergence se met en branle ainsi pour atteindre (en 2020, pour Brundtland, soit demain) une consommation équitable (égale) par l’ensemble de l’humanité dans sa recherche d’un bien-être.[1]

En contraste avec ceci, nous voyons l’Agence internationale de l’énergie de l’OCDE (AIÉ), l’Energy Information Administration des États-Unis (EIA) et l’Office national de l’énergie canadien (ONÉ) faire des projections sur la demande de carburants fossils (surtout) jusqu’en 2030, 2035, 2050. Ces projections se font par une approche complètement à l’envers de celle de Brundtland. On estime la croissance économique qui pourrait être jugée acceptable et on calcule ensuite l’énergie qui serait nécessaire pour soutenir cette croissance. On insère un prix estimé dans le portrait, normalement un prix qui ne dérangerait pas les orientations économiques, mais qui a été rarement en ligne avec le vrai prix, et cela depuis des années.

Tout comme l’approche, les résultats sont à l’envers de ceux des travaux du GIEC et de Brundtland : l’AIÉ voit une production (et une consommation correspondante) passer d’environ 90 mb/j (millions de barils par jour) aujourd’hui à plus de 100 mb/j en 2030 (Kjell Aleklett, Peeking at Peak Oil, Springer 2012, p.70); l’EIA prévoit une augmentation de la consommation mondiale d’énergie d’ici 2035 de 44% par rapport à celle d’aujourd’hui  (figure 113 du document, reproduit ici)Hughes Figure 113 ;  l’ONÉ, avec ajustement pour le Québec par le ministère des Ressources naturelles (MRN), prévoit une augmentation de la consommation d’énergie au Québec de 28% par rapport à aujourd’hui. Ailleurs, ces augmentations sont projetées en voyant la part de l’énergie fossile dans le bilan aux alentours de 80-85%; pour le Québec, la projection de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec est pour une augmentation de la consommation d’énergie fossile en 2030 de plus de 25% (Document de consultation, p.40-41).  Nulle part ne voit-on un effort de reconnaître les émissions de GES qui seraient en cause.

Le concepteur même de l’idée d’un «développement durable» nous fournissait une vision de notre développement possible il y a un quart de siècle. Pourtant, et en dépit de l’omniprésence d’un discours sur ceci, tout va dans le sens contraire de ce que Brundtland voyait comme nécessaire pour «assurer notre essor [économique et] social», dans les termes du premier paragraphe du Manifeste pour tirer profit collectivement de notre pétrole, qui présente la même vision que les agences de l’énergie.

La pauvreté de perspective de ce Manifeste reflète, finalement, celle de l’ensemble de nos économistes, incapables d’intégrer dans leur modèle les enjeux écologiques devenus dramatiques. Suivant un paradigme consacré maintenant depuis des décennies, les signataires mettent en priorité la nécessité d’un développement économique – avant le développement social, dans le premier paragraphe, et ce n’est pas un accident. En fait, c’est «l’essor économique» qui doit primer, parce que les signataires ne voient pas comment le développement social puisse se faire sans le maintien de la croissance (l’essor) économique. (suite…)

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L’échec du mouvement social et la nécessaire transition sociale de la société

Le tout premier article de mon blogue portait sur l’échec du mouvement environnemental. Deux années d’observation du mouvement alors que j’en étais retraité en raison de mes fonctions comme Commissaire au développement durable m’ont bouleversé. Les engagements quotidiens au sein de Nature Québec et de son prédécesseur l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN pendant 25 ans (et davantage en fonction d’engagements qui remontent aux années 1960) semblent avoir empêché le recul nécessaire pour en faire le bilan.

Le mouvement social face au néolibéralisme pendant les dernières décennies constate plus clairement son échec et se distingue assez clairement ainsi du mouvement environnemental. L’échec est celui de décisions politiques, sociales et économiques, décisions qui peuvent être renversées, reflet d’un phénomène omniprésent dans les sociétés humaines depuis toujours. En contraste, l’échec du mouvement environnemental ne pourra pas être renversé. Pour la première fois, le renversement de nos institutions sociales et économiques devra se faire dans un contexte d’effondrement écologique à l’échelle planétaire. Et en dépit de la reconnaissance des dégâts causés par le néolibéralisme, grand nombre d’intervenants des mouvements social et environnemental sont convertis au discours de l’économie verte; les économistes hétérodoxes quant à eux montrent une énorme difficulté à reconnaître que ce n’est pas que le modèle néolibéral qui est en question, mais le modèle économique de base lui-mêmeDSC00461_2Cette situation, et la dominance du néolibéralisme, complexifient énormément la «transition sociale de la société» vers un modèle résilient et soutenable. Je l’ai décrite dans mon article sur la COP19 de Varsovie comme ciblant une nouvelle société marquée par une profonde sobriété, une société ayant une allure « paysanne » et « villageoise ».

Une récente publication de deux importants acteurs du mouvement social, Louis Favreau et Mario Hébert, cible «une transition écologique de l’économie», expression qui fournit le titre même du document. Le titre du document de Favreau et Hébert suggère en fait que la transition serait celle de l’économie, reprenant le discours et même la conceptualisation de l’économie comme presque une entité indépendante de son lieu d’action, les sociétés humaines. Pour eux, une telle «transition» serait fonction de changements dans le modèle économique, marqués par des transformations fondées sur le respect des contraintes écologiques. Je suis intervenu auprès des économistes hétérodoxes en publiant sir le site d’Économieautrement un autre texte dont l’objectif était de voir ces acteurs importants pour une telle transformation reconnaître la nécessité d’un changement dans les fondements mêmes de la «science» économique. L’ensemble des informations que je mets en évidence sur ce site suggère que ce modèle ne peut pas être transformé, qu’il n’y aura pas une telle «transition» et que, de toute façon, le modèle semble s’approcher d’un effondrement de par ses propres tendances internes.

Il y aura transition, cela paraît assez clair, et cette transition en sera une de la société elle-même, structurée profondément par ses activités économiques suivant le modèle de la croissance. Ce qui est presque encourageant dans l’échec du mouvement social des dernières décennies est que ce mouvement possède les idées, les orientations et même les initiatives susceptibles de marquer la transformation de la société contemporaine. Contrairement à l’argument du livre de Favreau et Hébert et à celui des tenants, plus généralement, de l’économie verte, la transition sera donc une transition sociale de la société et non pas une transition écologique de l’économie. (suite…)

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Pipelines – réflexion sur les cadeaux de Noël

Les projets de pipelines pour désenclaver les nouvelles exploitations pétrolières et gazières animent partout les discussions, au sein du mouvement environnemental, mais également de façon plus générale. Je prends Le Devoir du 7-8 décembre pour alimenter une réflexion, en lien avec plusieurs articles déjà publiés sur ce blogue; pour une présentation globale des enjeux, voir la note socio-économique de l’IRIS de septembre dernier.

En effet, alors que tout le monde est au courant maintenant et de façon générale des changements climatiques, sans que cela n’ait le moindre effet sur la prise de décision qui s’impose à leur égard, la compréhension par la société de ce qui est en cause est pleine de failles. C’est finalement une question de nos «émissions de gaz à effet de serre». La provenance de ces émissions, tout en étant complexe, nous ramène presque directement à notre dépendance à l’énergie fossile depuis des décennies. Nous savons que nos autos exigent du pétrole, mais nous ne nous posons pas de questions quant à la provenance de ce pétrole. Nous savons que ces mêmes autos, avec ce même pétrole, sont responsables d’émissions, mais celles-ci sont invisibles. Nous entendons parler des fois de la dépendance de notre agriculture à ce même pétrole, sans vraiment en saisir l’importance de cela.

Nous voilà donc ramenés à des débats que nous pouvons comprendre, histoire de pipelines (et de voies ferrées, une autre histoire) dans notre cour, au cœur de nos villes. Les sources d’approvisionnement du pétrole sont depuis longtemps outre-mer, et Ultramar, pour les gens de Québec, en est presque le symbole et non seulement par son nom. Ils voient les gros pétroliers amarrés au quai de l’entreprise, directement en face de Québec, DSC07122et ils ont suivi le débat sur le projet de port méthanier à Lévis dont l’emplacement se serait retrouvé à quelques kilomètres plus à l’est. Tout cela les préoccupait et les préoccuppe (plus ou moins) en raison du risque d’accidents sur le fleuve, parce que le pétrole et le gaz qui sont en cause proviennent d’outre-mer par bateau.

Depuis un certain temps, il est question de deux pipelines au Québec (en laissant à d’autres les débats sur Keystone XL et sur Northern Gateway), l’un de Transcanada, l’autre d’Enbridge; il est aussi question d’un lieu d’entreposage du pétrole venant de l’ouest, soit à Lévis soit à Cacouna, ciblé pour un autre port méthanier il y a quelques années. Cela, sans même nous poser de questions sur nos deux raffineries en place depuis des décennies.

Tout d’un coup, nous voilà confrontés à un processus d’exploitation plus près de chez nous, chez nous. Fort probablement, l’accident à Lac Mégantic l’été dernier a allumé les esprits figurativement autant qu’il a mis le feu dans cette communauté-même. Nous sommes devenus un peu plus conscients du fait que le «sang» de notre société coule partout, et non seulement sur le fleuve et sur le sol de pays lointains. (suite…)

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Nature Québec et Anticosti : retour aux sources

C’était ma première expérience active à une Assemblée générale annuelle de Nature Québec depuis que j’ai quitté l’organisme pour occuper le poste de Commissaire au développement durable en 2007. J’étais invité à participer à un panel avec l’ingénieur et géologue Marc Durand pour établir un contexte pour la journée de réflexion sur la possibilité que le gouvernement décide d’autoriser l’exploitation (d’abord l’exploration) de gisements de pétrole de schiste sur l’Île d’Anticosti. Plus précisément, mon rôle était de fournir un portrait sur le plan économique des enjeux énergétiques, d’abord global mais ensuite comme cadre pour la réflexion sur le débat québécois. Un deuxième panel a fourni plus de précisions sur les plans biologique et juridique. L’objectif de la journée était d’esquisser lors d’une plénière de fin de journée des orientations pour la mobilisation de l’organisme dans le dossier.

L’expérience m’a ramené à celle vécue en 1979 lorsqu’un groupe d’organismes et d’individus ont pris connaissance de l’intention des gouvernements fédéral (le port) et provincial (les routes) de remblayer une bonne partie du fleuve en face de la Ville de Québec, site de patrimoine mondial et site naturel très important pour la migration des oiseaux. C’était le «dossier des battures de Beauport», et l’expérience a mené à la création de l’Union québécoise pour la conservation de la nature (UQCN), aujourd’hui Nature Québec. Battures de Beauport 1978-1979

L’expérience des décennies qui ont suivi marque mes réflexions dans ce blogue et a marqué ma journée à l’AGA. Après ma présentation en début de journée, je me trouvais plutôt observateur par après. Les participants, en bon nombre, rappelaient par leur motivation et leur engagement l’expérience de l’organisme dans de nombreux autres dossiers au fil des ans. En même temps, je voyais ma propre réflexion sur les origines de NQ devenir plus explicite. Nous le savions, mais de façon moins explicite et évidente: non seulement étions-nous cinq ans trop tard pour changer en profondeur les intentions dans le dossier des battures de Beauport, mais nous nous battions contre des volontés politiques où dominait une orientation prioritaire, le développement économique conçu et mobilisé presque en vase clos par rapport aux enjeux sociaux et écologiques.

Numériser 5Je suis sorti brièvement de mon statut d’observateur lors d’un atelier, pour suggérer que l’ensemble de la mobilisation en train de s’organiser au sein de Nature Québec pour le dossier d’Anticosti semblait répéter l’erreur de 1979. Le gouvernement a déjà établi ses orientations prioritaires, et celles-ci comprennent la volonté de foncer dans les dossiers énergétiques. Les orientations se trouvent dans les lignes directrices du ministère du Conseil exécutif élaborées pour encadrer le processus de planification stratégique du gouvernement (curieusement, le document ne semble plus se retrouver en ligne). On y trouve l’intention de continuer à développer les sources d’énergie «propre» (en dépit des surplus importants actuels reconnus) et à cibler une «indépendance énergétique» à l’égard des énergies fossiles, cela «par l’utilisation [dans les transports] de l’électricité et de carburants du Québec». Le document de consultation pour la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec qui est sorti plus tard tient compte explicitement de ces priorités, y compris le développement du potentiel d’énergie fossile sur le territoire du Québec. J’ai déjà critiqué cette approche servile que nous ne verrions pas dans le cadre d’une consultation du BAPE, et j’ai mis ma critique en forme dans les premières pages de «mémoire». On peut penser que l’éventuelle politique énergétique visée est déjà connue dans ces grandes orientations; la consultation va comporter assez d’intervenants ayant des intérêts économiques pour annuler l’apport de propositions insistant sur la reconnaissance d’autres enjeux et permettre à la politique de respecter les grandes orientations du gouvernement déjà établies.

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Varsovie

Ce n’est même pas une nouvelle que d’apprendre que COP19, la plus récente des Conférences des parties au Protocole de Kyoto, tenue à Varsovie tout récemment, n’a pas réussi à convenir de quelques avances face au défi dramatique du changement climatique. Cette situation est l’indicateur le plus évident (du moins, pendant quelques jours une fois par année) de l’échec des efforts du mouvement environnemental cherchant depuis les années 1960 à enfreindre les atteintes au fonctionnement des écosystèmes planétaires occasionnées par les activités des sociétés humaines – et surtout par celles des riches parmi elles.

La COP15  à Copenhague en 2009, en dépit de l’énorme espoir qui y était investi par l’ensemble des participants, a consacré l’impossibilité d’arriver à une entente pour contrôler les émissions de gaz à effet de serre responsablse de ce réchauffement. À travers la planète, les décideurs politiques (et économiques) ont constaté – et constatent toujours – la contradiction entre de telles initiatives et la volonté, presque un dogme, de poursuivre le développement économique selon le modèle qui prévaut.

La situation est telle qu’il est plutôt difficile de comprendre l’investissement d’énormes énergies morales dans le but de maintenir la prétention de négociations – ou d’efforts de «sensibilisation» de la part des organismes du mouvement environnemental. Il est tout aussi difficile de voir la justification de leurs efforts dans leur ensemble, tellement la contradiction est évidente entre le développement économique et la protection des écosystèmes. GaïaPresse m’a invité à couvrir les négociations de la COP19 (et même à y participer…). Réfléchissant à l’invitation, je ne savais même pas ce que je pouvais écrire d’intelligent à cet égard. Le résultat: un texte qui cherche à décrire les implications pour le Québec de l’échec des négociations, permanent.

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J’en ai déjà parlé indirectement en faisant référence de temps en temps au livre d’un collectif que j’organise et qui devrait sortir dans les premiers mois de 2014. Dans le récent texte pour GaïaPresse, je souligne l’importance de s’atteler à l’effort de planifier la réponse aux défis d’un Québec face à différents effondrements qui arrivent, écologiques d’abord, mais économiques et sociaux aussi.

Pour la plupart des sociétés dans le monde, il y a urgence à établir leurs bases énergétiques en fonction de différents types d’énergie solaire. Pour le Québec, nous sommes devant le devoir, pour notre survie face aux effondrements, mais aussi pour reconnaître l’inégalité qui exige que d’autres puissent avoir recours à ce qui reste de fossile utilisable, de planifier notre avenir en fonction d’une énergie disponible la moitié de ce que nous utilisons aujourd’hui, soit l’énergie fournie par notre réseau hydroélectrique. Et nous devons reconnaître que nous sommes même énormément chanceux d’en avoir autant, et pour un temps prévisible aussi long.

Le résultat de ma réflexion est également une série (à venir, à GaiaPresse) de textes portant sur l’échec du mouvement social, échec qui a eu lieu en parallèle à celui du mouvement environnemental. Mais alors que les contraintes associées aux atteintes au fonctionnement des écosystèmes et à un accès de moins en moins facile aux ressources naturelles, surtout non renouvelables, alors que ces contraintes sont externes et incontournables, les contraintes associées aux déprédations du néolibéralisme sur les efforts du mouvement social sont très humaines.

Les défis des prochaines années seront ceux associés à la mise en oeuvre d’alternatives aux sociétés contemporaines et aux institutions socio-économiques et culturelles qui les caractérisent. Clairement, il y a de nombreux acquis venant du mouvement environnemental qui fourniront des pistes pour les interventions à l’avenir. Mais ce qui est frappant sont les acquis du mouvement social, qui semblent adaptables à une situation d’effondrement et constituent des initiatives beaucoup moins contraintes que celles venant du coté de l’environnement.

On peut consulter une version pdf du document sur Varsovie sur ce site.

Découlant de cette analyse, une série de trois textes sur la transition sociale de la société paraîtra sous peu chez GaïaPresse.

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