« Nécessité économique »: une fuite en avant

La perte d’orientation dans les débats de société semble atteindre un nouveau sommet avec l’éditorial de Bernard Descôteaux dans Le Devoir de samedi 6 juillet dernier, éditorial qui aurait pu arriver, par ailleurs, à un meilleur moment. L’accident au Lac Mégantic plus tard dans dans la même journée a servi à mettre en évidence les implications de son message. Dès ma lecture de l’éditorial, j’ai formulé un commentaire que j’ai envoyé au journal. J’y cherchais à souligner la fuite en avant que représente la pensée de Descôteaux, alors que la «nécessité économique» qu’il priorise est de plus en plus clairement d’une autre époque. En effet, le transport de pétrole (de schiste – pour ce qui est de celui de Lac Mégantic – et de sables bitumineux, en grande partie, si ce n’est le raffiné) est une nécessité si l’économie va continuer à tourner comme il a fait pendant les dernières décennies, et l’accident de Lac Mégantic fait sortir une multitude d’informations sur la situation à cet égard.Tar sands

Un des avantages d’avoir décidé de créer ce site web est que je puis publier mes réflexions quand les médias ne jugent pas cela pertinent, comme c’était le cas cette fois-ci pour mon petit texte. L’enjeu est un peu plus clair pour plusieurs depuis le 6 juillet: d’une part, la «nécessité économique» exige que l’on permette presque n’importe quoi pour au moins maintenir le statu quo sinon augmenter l’activité économique; d’autre part, elle montre jusqu’à quel point nous sommes contraints par le modèle économique actuel à foncer dans le mur, à moins de mettre beaucoup de choses en question. Ce ne sera pas long avant que les changements climatiques ne redeviennent le thème dominant des débats à ce sujet, mais pour le moment l’accident nous ramène sur des risques plus locaux, les débats portant sur les choix de transport, par bateau, par train, par camion (tout le pétrole du Saguenay) ou par pipeline – ou, si nous décidons de nous sevrer du pétrole et de la «nécessité économique», sur un nouveau paradigme de vie.

L’éditorial arrive sur la scène alors que je suis en train de lire Supply Shock: Economic Growth at the Crossroads and The Steady State Solution, de Brian Czech. Je connais assez bien déjà la problématique, mais Czech fournit l’histoire de la pensée (et maintenant de l’idéologie) de la croissance économique, ce que je ne connaissais pas aussi bien. Et je viens tout juste de terminer un échange avec un économiste hétérodoxe qui a conclu avec son rejet de ma lecture de la situation. Celle-ci rejoint les projections du Club de Rome et constate que nous sommes devant des effondrements des bases écosystémiques de notre civilisation, à assez brève échéance. Pour justifier son rejet de ceci, l’économiste souligne qu’il n’accepte pas l’idée qu’il a perdu son temps pendant une carrière qui a couvert plusieurs décennies et qui a été marqué par l’histoire de l’idéologie en question. Autant je constate l’échec du mouvement environnemental au sein duquel je me suis débattu pendant 45 ans, autant je constate l’échec des mouvements sociaux où était engagé cet économiste, mouvements qui cherchaient et cherchent toujours à améliorer le sort des populations. Tout d’abord, ces mouvements ciblaient les populations de leurs propres sociétés, mais avec le temps, il est devenu clair que, même avec des avancées au sein des pays riches, les énormes inégalités qui définissent les liens de ceux-ci avec le reste de l’humanité nous amènent à des projections de perturbations (lire effondrements) à l’échelle de la planète, dont les émeutes de 2008 (en raison du prix du pétrole et du prix des aliments qui en découlait), le Printemps arabe et l’intervention des Indignés n’étaient que des signes avant-coureur.

De tous les journaux au Québec, Le Devoir semble le plus conscient, de par son approche éditoriale, des situations critiques qui définissent les enjeux écologiques et sociaux actuels. Que le directeur du journal intervienne dans le déni explicite de cette approche face à la «nécessité économique» de poursuivre la croissance mérite commentaire. Czech termine son livre en projetant un virage qui viendrait d’une sorte de gêne ressentie par le 1%, mais comme moi, il est bien conscient que l’idéologie de croissance est tellement inscrite dans les moeurs, même  des plus avertis, que la projection n’a pas autant de pouvoir de convaincre que celles du Club de Rome.

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L’IPV : J’étais un peu trop tôt…

Le 14 juin dernier, à Baltimore, le gouverneur de l’État de Maryland a présidé un sommet auquel étaient convoqués des leaders dans le travail sur l’Indice de progrès véritable (Genuine Progress Indicator ou GPI, en anglais) venant de 20 États américains (contre 4 lors du sommet de 2012). Le Maryland est le premier État à utiliser formellement l’IPV, avec 26 indicateurs, en procédant par décision exécutive du gouverneur. Une présentation de la situation a été faite par du personnel du cabinet du gouverneur lors du sommet  et un vidéo présente la façon dont l’État le calcule et l’utilise. Il est intéressant de constater que l’IPV pour le Maryland a été développé en collaboration avec l’Université de Maryland. Pas une coïncidence, des leaders parmi les économistes écologiques à l’origine de l’IPV, dont Herman Daly et Robert Costanza, ont passé par là aussi! Costanza et Steven Posner ont même publié un premier IPV pour le Maryland en 2011, avant que l’État n’embarque. Baltimore Summit

En mai 2012, l’État du Vermont est devenu le premier État à adopter une législation qui mandate le recours à l’IPV. Encore une fois, et tout aussi intéressant, le Gund Institute associé à l’Université de Vermont, à Burlington, réunit une masse critique de praticiens de l’IPV depuis près d’une décennie maintenant (et Costanza y était pour une bonne partie de cette période). En 2004, Costanza, Erickson et une équipe de l’Université  ont publié un IPV pour l’État. Le Gund Institute est partenaire du gouvernement du Vermont pour le travail de mise en oeuvre. Il y a un reportage sur le processus par un des participants.

L’État de l’Oregon est actuellement en train de mettre en place le processus. La gouverneure de l’État d’Oregon participait au sommet. C’est l’organisation Demos  http://www.demos.org/search/node/gpi qui a coordonné le sommet à Baltimore et qui va coordonner les suites.

J’étais donc un peu trop tôt avec mon idée de développer un Indice de progrès véritable pour le Québec, quand j’étais Commissaire en 2007-2008. Encouragé par ma sélection par le Vérificateur général alors que j’en avais parlé lors de mes entrevues, j’ai commencé par le calcul de l’empreinte écologique de la province. Pour obtenir la permission de le produire, j’ai pu montrer un travail déjà fait et en cours à travers le monde portant sur cet indicateur, incluant différents gouvernements nationaux – je n’entrais pas sur un terrain vierge. Le calcul de l’empreinte a nécessité neuf mois de travail avec une mine de données obtenues par ou pour l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Rejeté par le Premier ministre suivant un reflex spontané de sa part, et cela dès sa sortie en décembre 2007, celui-ci s’est rapidement ravisé lorsqu’il a été informé des fondements assez solides de cet indicateur. L’ISQ a par la suite décidé pourtant que cet indicateur, qui « indique » que le Québec connaît un train de vie plus de trois fois plus important que ce que la planète peut soutenir, n’était pas un indicateur de développement durable, et l’a mis au rancart.

Relever le défi de renouveler l’analyse (voire la vérification) des activités de la société, en l’occurrence celles de son gouvernement, par un indicateur qui corrige le PIB, s’est ainsi montré de taille. (suite…)

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La « reprise » – Stagnation et croissance anémique

Dans l’entrevue qu’il m’a accordé en avril, Éric Desrosiers prend note de ma référence à l’Europe comme indicateur d’une situation qui se généralise. L’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) fournit la plus récente intervention dans le débat sur l’austérité dans le contexte de difficultés économiques, budgétaires et sociales que nous connaissons, et qui met l’accent jusqu’ici sur l’Europe. L’étude de l’IRIS reste dans les paramètres des débats actuels, mais porte sur le Canada et le Québec et sur les efforts gouvernementaux visant à équilibrer rapidement les budgets.

L’IRIS, en critiquant l’approche à l’austérité prônée par les gouvernements canadien et québécois, laisse pour un autre travail la question du niveau d’endettement acceptable pour les gouvernements qui iraient dans le sens contraire. Elle identifie en quelques phrases des objectifs politiques qui se cachent derrière des orientations actuelles, dont la transformation du rôle économique et social de l’État ; cela aussi est laissé pour une autre étude. Il reste que le travail de l’IRIS fournit l’occasion d’aller au-delà des paramètres du débat sur l’austérité qu’il retient, pour souligner une situation qui se trame derrière le tout, en Europe et ici.

La problématique est énoncée assez clairement au début, dans la mise en contexte que constitue une publication récente du Fonds monétaire international (FMI) qui lui sert de point de départ :

La «Grande divergence » … est notée entre la trajectoire des économies dites avancées (les États-Unis et l’Europe, en particulier) et celle des économies dites émergentes (Chine, Inde, Mexique, Brésil, etc.). Ces dernières s’arrachent rapidement à la récession, alors que les premières s’y enlisent. Le retour à la croissance après 2009, c’est-à-dire l’année officielle de la récession mondiale, a été plus lent, plus difficile et plus incertain pour elles. Et, malgré cette reprise, une nouvelle contraction de l’économie mondiale demeure un scénario probable. Bref, depuis 2009, lorsqu’une croissance est observable dans les économies avancées, comme au Canada et au Québec, elle est anémique. (IRIS, p.13)

«Le caractère sans précédent de la situation contemporaine est frappant», constate Éric Pineault, principal auteur de l’étude de l’IRIS, en comparaison à l’expérience lors des récessions précédentes. Selon le travail du FMI qu’il commente, le niveau d’endettement empêcherait les gouvernements des économies dites avancées d’intervenir avec des dépenses publiques, et un régime d’austérité s’installe, empêchant une reprise de la croissance. Mais ce qui est moins évident est que l’approche à cette situation par des politiques économiques et fiscales – traditionnellement, des transferts des revenus – est restrictive et celle des politiques monétaires et financières est «très accommodante», contrairement à ce qui s’est passé antérieurement – cela en ciblant d’abord le niveau canadien, en craignant que le Québec ne rentre dans le même piège.

Pineault critique le FMI, notant que tout le système de politique monétaire expansionniste vise à soutenir la capacité du système financier à permettre le maintien du crédit à la consommation, déjà critiqué dans une publication antérieure de l’IRIS. Ceci explique l’intérêt politique des décisions qui cherchent presque désespérément la reprise de la croissance (fondée maintenant sur l’endettement des ménages). Pour soutenir sa critique, qui distingue la situation ici de celle en Europe, Pineault note un paradoxe, soit le fait que le taux d’éparge des ménages est positif en même temps que l’endettement pour la consommation est en augmentation. L’explication : les ménages du 1% sont inclus dans les statistiques habituelles, et l’épargne nette n’existe finalement que pour cette minorité.

Le fait que l’endettement à la consommation augmente plus vite que les salaires peut s’expliquer soit parce que les ménages font plus usage du crédit, soit parce que les intérêts sur ces dettes les font augmenter plus rapidement que la progression des salaires. Le fait que la pente associée à l’endettement est beaucoup plus abrupte que celle relative aux dépenses de consommation indique la consolidation du rôle du crédit dans l’économie et le fait, pour Pineault, que la dette des ménages comporte une accumulation, l’ajout des intérêts non payés (p.27).

Ce qui est probablement le plus intéressant dans le travail est la «correction» de quelques indicateurs pour faire ressortir cette situation peu reconnue. C’est la contribution voulue de l’étude. Ceci frappe, en particulier la distinction qui insiste sur l’importance de tenir compte des inégalités dans la société en essayant d’identifier les origines et les impacts des décisions concernant l’austérité. La contribution à l’explication de la baisse constante du taux de croissance du PIB depuis 30 ans (en fait, depuis 50 ans) – entre autres, investissements privés de plus en plus offshore, et absence d’amélioration des salaires pendant cette période – est également intéressante, même si l’analyse complète est pour une autre occasion.

On voudrait certainement éviter l’austérité, en raison de ses effets sur la société et parce qu’elle est incapable de toute façon de régler le problème budgétaire. Reste qu’une décision d’aller dans l’autre sens, en cherchant à stimuler la reprise, comporte la décision d’encourir une augmentation de la dette par des programmes de dépenses gouvernementales. À cet égard, l’IRIS insiste que la taille de la dette canadienne et québécoise est beaucoup moindre que celle des autres pays de l’OCDE, et choisit la deuxième option pour le Canada et pour le Québec (sans commentaire sur la situation des pays européens et les autres économies dites avancées).

Sans critiquer cette analyse, qui choisit de rester dans les paramètres du débat imposés par les économistes, elle fournit une occasion de revoir ma propre analyse des critiques des orientations comportant le choix de l’austérité, connues surtout pour ses applications en Europe, sans la compétence pour aller dans le détail. Je l’ai déjà exprimé sur ce blogue. Je ne vois pas de façon de penser que la dette sera un jour payée, ce sur lequel Tim Morgan insiste, et je présume que les créanciers voient la situation un peu comme cela. En autant qu’ils reçoivent l’intérêt sur leurs créances, cela semblerait aller.

Par contre, une situation d’accumulation (le terme dans analyse de l’IRIS pour souligner que de nombreux ménages ne sont pas capables de payer l’intérêt sur leur dette, et cela s’ajoute donc à leur dette totale) fait que même cela ne semble déjà plus fonctionner – du moins, pour les ménages. Les dettes souveraines des pays sont censées être garanties, les gouvernements ne pouvant pas faire faillite, mais je me demande si même ces dettes ne risquent pas de tomber dans le même panneau, en dépit de l’insistence des économistes. En fait, on a déjà vu des défauts de paiements…

L’IRIS souligne que le Québec a mieux passé à travers la crise que d’autres économies et cela, avec son plus bas niveau d’endettement, lui donne une marge de manoeuvre. Les tableaux de l’IRIS qui en présentent les détails ne mentionnent pas que l’effondrement du viaduc de la Concorde a forcé le gouvernement à mettre en place un programme important pour éliminer le déficit d’entretien dans les infrastructures, dans les réseaux des transports, de la santé et de l’éducation. Ce programme – en fait, trois programmes quinquennaux dont le premier, pour 2007-2012, comportait $30 milliards de dépenses – a été lancé avant la crise et la récession ; il est financé en augmentant la dette. Pour un budget de quelque $70 milliards et un PIB de quelque $300 milliards, $6 milliards par année pendant la période de la crise et de la «sortie» de crise n’étaient pas négligeables.

On doit constater qu’il ne s’agit pas d’investissements, mais bien de dépenses de «consommation». L’actif que constituent nos infrastructures est ce qui justifie de considérer les dépenses à leur égard comme des investissements – sauf que le programme pour régler les déficits d’entretien ne fait que fournir à cet actif le caractère qui est présumé, que les infrastructures soient en bon état. Ce n’est pas le cas actuellement, et le programme en étant un de rattrapage fait que les dépenses en cause sont des dépenses, et non des investissements, à mon avis. Le Québec a réussi à passer à travers la récession mieux que d’autres justement en s’endettant, comme les autres. Il s’était tout simplement pris d’avance…

L’IRIS distingue entre les investissements, auxquelles il associe le coût du programme de déficit d’entretien, et les «dépenses de consommation finale des administrations publiques». Cette distinction devient pertinente parce que le rapport ne se penche pas –  ce n’est pas son sujet – sur la question de la dette: quel est un niveau acceptable? Je me demande si les créanciers insistent sur l’austérité, de la part des gouvernements, parce qu’ils craignent, qu’ils savent, presque, que la dette, en Europe mais aussi ici, ne sera pas remboursée, ils ne veulent pas mettre plus de leur argent dans un tel pari, et forcent les gouvernements d’agir en évitant de l’augmenter.

Ceci amène mon analyse sur un terrain que le rapport ne touche pas – encore une fois, parce qu’il vise autre chose. Il s’agit de notre «dette écologique», ce qui me permet de quitter les questions de l’austérité et de la dette pour aller ailleurs. Des sources auxquelles je fais confiance pour leur expertise et leur jugement font un lien entre les récentes récessions, la hausse du prix du pétrole qui les précédait et une baisse de la consommation pendant les récessions Liens prix pétrole et récessions(Charles A. S. Hall pour la figure). Pour donner une idée de ce qui est en cause, le prix du baril de pétrole était de $11 le baril en 1998, et aujourd’hui frôle le $100 (sans ajustement pour l’inflation). Cette hausse mettait et continue à mettre une pression sur tous les pays importateurs de pétrole et sur toutes les personnes qui en dépendent. J. David Hughes du Post-Carbon Institute fournit une version alternative.

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Patrie avant Planète – et finalement ni l’une ni l’autre

Il y a un certain malaise en Chine face à la stabilisation de la population qui s’annonce. En mai 2011, un groupe de démographes chinois est intervenu, soulignant le drame du vieillissement au pays, et l’urgence de revoir une reprise de la croissance démographique. J’en ai fait une analyse et elle est publiée à la fin de l’article du Devoir en ligne. Les démographes ne semblent pas avoir su compter, mais la Chine, avec un territoire agricole capable d’alimenter une population de peut-être un milliard, a pris les décisions pour éviter que celle-ci augemente de 300 ou 400 millions de personnes de plus, alors qu’elle était déjà au-delà du milliard lors de l’adoption de la loi de l’enfant unique.

Je suis revenu sur la question en commentant un éditorial de Jean-Robert Sanfaçon, paru dans Le Devoir le 10 février 2012. Plus récemment, en juin 2013, Marie-Andrée Chouinard a signé deux articles dans ce journal. Le premier couvrait un récent rapport de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), mais y allait avec des commentaires endossant l’orientation qui souligne que la tendance vers une stablisation de la population du Québec n’est pas souhaitable. Mon commentaire sur ce article est paru dans Le Devoir du 6 juiin 2013.

Mon intervention exprime le souhait que les journalistes arrêtent de suivre le discours des organismes, voire des gouvernements, en matière de démographie, pour fournir à la population les véritables enjeux. En réponse, Chouinard revient – en réaction à mon petit texte? – avec un deuxième article, beaucoup plus long, et illustré, titrant que le «déclin» est peut-être stoppé, et ouvrant avec la mise en contexte : «Malgré une hausse du taux de fécondité, le nombre de naissances n’augmente pas au Québec. Un taux de fécondité dépassant le taux canadien. Une espérance de vie sans cesse meilleure. Une part croissante d’immigrants. La dernière livrée de statistiques sur la démographie québécoise donne l’impression d’un modèle n’étant plus menacé de déclin. Réalité ou illusion ?».

Honduras 1992

En guise de réponse, elle y présente des entretiens avec Richard Marcoux, professeur à l’Université Laval et directeur de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone, et avec Luc Godbout, professeur d’économie et de fiscalité à l’Université de Sherbrooke. Marcoux souligne qu’avec un taux de fécondité de 1,69 enfants par femme, nous sommes «loin du seuil de remplacement des générations». Comme j’avais indiqué dans mon petit texte, les démographes ne se sont pas posés de telles questions lorsque le taux dépassait, pendant des siècles (et surtout les dernières décennies), ce seuil. Ce n’est que lorsque le taux est tombé en-dessous de ce seuil, ici ainsi que dans la plupart des pays riches, que les démographes se sont mis à s’en inquiéter. (suite…)

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Parizeau et la dette: les autres arguments

Commentant la récente analyse de Jacques Parizeau sur l’importance de notre endettement, un lecteur du Devoir suggère qu’une façon simple de couper dans la complexité des changements d’approche comptable au fil des ans est de se pencher sur l’importance du service de la dette par rapport aux dépenses du gouvernement. Actuellement, ce rapport serait de 8,6%. Le lecteur conclut qu’un tel coût pour notre dette «n’est pas dramatique», sans fournir les critères pour comprendre son jugement.

Le long texte de Parizeau, «Les finances publiques du Québec, un désastre ?», reprend la présentation de la situation telle que faite à plusieurs reprises par Louis Gill, professeur retraité de l’UQAM. Elle se justifie par l’effort de se situer dans l’actualité, soit la réaction aux décisions du gouvernement de couper dans les subventions aux universités, dans les fonds de recherche gouvernementaux, dans l’aide sociale, dans le budget d’Emploi-Québec, dans les services de garde, etc. «Ne surdramatisons pas notre endettement», propose Paarizeau dans la première partie du texte.

Par rapport à ce qu’en dit le gouvernement, Parizeau propose de faire des distinctions pour mieux voir la situation, en revenant sur les différences entre la dette brute, la dette nette, la somme des déficits cumulés et la prise en compte du déficit actuariel des fonds de pension des employés du secteur public suite à une réforme comptable qui a eu lieu en 1997, et en y ajoutant la part du Québec dans la dette fédérale. Il s’est proposé de regarder les dépenses et les revenus consolidés de chaque année, pour conclure que «les gouvernements du Québec ont réussi à maintenir des «équilibres budgétaires satisfaisants» depuis environ 15 ans.

Parizeau ajoute à ce bilan en suggérant qu’il n’y a pas de déficit pour le budget 2013-2014, mais un surplus d’un milliard. Il note que, «profitant de la croissance de l’économie et donc de la hausse des revenus budgétaires», le gouvernement a pu instaurer à partir de 1998 l’assurance médicaments et les garderies à 5$. Dans ce contexte, il insiste que le débat devrait être ouvert quant à la gratuité à l’université, par exemple. Surtout, «il faut aborder de front les vrais problèmes économiques du Québec : sa croissance économique trop lente, la sérieuse détérioration de sa balance des échanges extérieurs» et une litanie de préoccupations des économistes.PIB Canada et Québec 1960-2009 graphique

On peut être contre, dit-il, mais il faut trouver d’autres arguments. En effet, Parizeau ne soulève le véritable défi que dans les deux derniers paragraphes de son texte. L’endettement actuel des pays et des individus ne constitue un problème que si la croissance économique n’y sera pas pour en réduire l’importance relative et fournir une hausse des revenus. Les économistes n’en parlent tout simplement pas, mais tout indique que la croissance connue par les pays riches depuis la Deuxième Guerre mondiale est presque terminée. C’est clairement la tendance au Canada et au Québec, comme le montre la figure. Tim Morgan, analyste d’une firme d’investissement de la City de Londres, suggère que, selon une comptabilité raisonnable, elle est déjà terminée, et cela depuis longtemps. (suite…)

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Le Japon, éclaireur des pays riches?

Dans sa chronique du 21 mai, François Brousseau situe très bien, sans trop y penser, le dilemme dans lequel les pays riches se trouvent face à un ensemble d’indices qui caractérisent les défis planétaires actuels. Le début met la scène : «Depuis quelques mois, le gouvernement du « vieux-nouveau » premier ministre Shinzo Abe essaie de secouer la cage dans laquelle est enfermé le Japon depuis deux décennies. La cage de la stagnation et de la déflation, dans un pays vieillissant, que l’on dit déclinant, même s’il reste l’un des plus riches du monde, encore capable d’inventer des voitures et des appareils photo qui se vendent sur les cinq continents (…sans compter les toilettes et les salles de bains les plus follement « technologiques » qui soient !).»

Le Japon, une île surpeuplée, réussit à contrôler la croissance de sa population, et le résultat est un vieillissement de cette population. C’est tout simplement un précurseur pour l’ensemble des populations de la planète, elle-même montrant le caractère d’une île depuis les premières photos qui nous revenaient de la lune dans les années 1960 et 1970. Terre vue de LuneAprès une croissance démographique inouïe depuis (surtout) la Deuxième Guerre mondiale, qui a vu la population mondiale tripler, et même si de nombreux pays pauvres connaissent toujours une croissance démographique galopante, l’humanité va vieillir dans les prochaines années alors qu’elle dépasse la capacité de la planète-île à la soutenir.

Pire, pour Brousseau, suivant des sources presque en unisson, le Japon ne réussit pas à faire croître son économie depuis 20 ans, ce qui s’appelle la déflation, terme et situation qui font peur aux économistes presque sans exception. Pourtant, le Japon est «un des plus riches pays du monde», parmi ceux qui causent, directement, sa dégradation de par leur consommation effrénée de ressources. Si toute l’humanité vivait comme les Japonais, il faudrait deux planètes et demie pour la soutenir (si elle vivait comme les Canadiens, il en faudrait quatre…). (suite…)

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Mines: les finances de court terme

Pour les «Observations» qui allaient situer mon deuxième rapport comme Commissaire au développement durable, j’avais préparé une analyse du rôle des ministères des Finances dans la formulation des orientations des gouvernements en matière de développement. Ce rôle est critique, puisqu’il va presque sans dire qu’un équilibre financier fait partie de n’importe quelle organisation – «presque», parce que les économistes qui constituent la masse des fonctionnaires dans ces ministères ont montré au fil des décennies qu’ils ne savent plus compter tout ce qui compte. Les économistes hétérodoxes les critiquent ces temps-ci parce qu’ils préfèrent compter un aspect du budget, en ciblant une certaine austérité dans les programmes sociaux (et ailleurs). Reste que ces mêmes économistes hétérodoxes, certainement mieux orientés que ceux orthodoxes qui dominent les agendas, ne semblent pas vouloir compter un autre aspect du même budget: le contrôle des déficits qu’ils proposent de remettre à plus tard, dans l’espoir (presque la certitude pour eux) que la croissance va venir régler les problèmes temporaires que nous expérimentons, comporte augmentation de la dette, possibilité de décote et problèmes budgétaires dès que le taux d’intérêt remonte.

Le ministère des Finances du Québec (MFQ) intervient en vue «de favoriser le développement économique et de conseiller le gouvernement en matière financière». Ce rôle comporte comme premier mandat (parmi huit) la responsabilité de «planifier et gérer le processus de préparation et de suivi du cadre financier du gouvernement, de formuler des propositions sur les orientations budgétaires du gouvernement, les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre pour assurer une saine gestion des finances publiques du Québec et de produire les analyses et les prévisions requises pour établir le cadre économique dans lequel s’inscriront les projections budgétaires du gouvernement».  Le deuxième mandat est «de conseiller le gouvernement en matière de politiques économique, fiscale et sociale et d’élaborer des politiques et des stratégies et proposer des mesures fiscales et budgétaires afin d’accroître le développement et la compétitivité de l’économie du Québec, notamment en matière d’incitation au travail, de soutien à l’investissement, à l’innovation, à la création d’emplois et aux régions et de favoriser le développement social, notamment en matière de soutien aux personnes à faible revenu, aux familles, aux jeunes et aux aînés.» Ouf!

Chine 2010Avec de telles responsabilités laissant les autres ministères un rôle de figurant, le MFQ travaille quand même dans un cadre où les perspectivesUSA 1972 d’une vraie économie ont été perdues il y a longtemps. Je pense entre autres au sous-titre de Small Is Beautiful de Schumacher, qui cible «une économie où les gens comptent» et à celui de La fin de l’abondance de Greer, qui cible «une économie où la survie compte». Les économistes ne voient tout simplement pas les grandes tendances qui marquent notre fin d’époque et cherchent à nous maintenir à flot dans l’époque qui disparaît. Le dossier minier, finalement peu important dans le grand ensemble de la société québécoise, marque l’actualité presque sans arrêt, surtout lorsqu’on y inclut les questions touchant l’énergie fossile. Schumacher a cité le Club de Rome dans ses travaux sur Halte!, en faisant ressortir l’énorme part de ressources dans le commerce international consommée par les États-Unis, et Grantham nous fournit le même portrait pour la Chine 40 ans plus tard. Cette énorme consommation stimule (et a stimulé)  l’activité économique partout sur la planète, mais la Chine y arrive trop tard.

Il fallait donc s’y attendre, et je récidive après deux autres articles qui mettaient un accent, d’une part, sur le piège que semble constituer le boom minier actuel et, d’autre part, sur cet autre exemple d’épuisement de ressources naturelles considérées sans limites. À force d’écouter les intérêts des uns et des autres, le gouvernement s’est écarté des principes de base. Il reconnaît que les revenus provenant de l’exploitation minière ne peuvent être assimilés à une contribution au compte courant, puisqu’il représente la perte d’un capital, d’un actif de la société: les revenus seront versés à l’avenir au remboursement de la dette, pour diminuer un passif. Il reconnaît la perte de ce capital en maintenant son engagement à imposer toute exploitation, et il reconnaît que cela pourra frapper des entreprises « non rentables ». (suite…)

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Schumacher: le sens d’une oeuvre classique

Écosociété a tout récemment publié La fin de l’abondance: l’économie dans un monde post-pétrole, par John Michael Greer. Avant même de parcourir le texte, et après un peu de recherche pour le trouver, le titre original frappe par la différence: The Wealth of Nature: Economics as If Survival Mattered. En effet, Écosociété cherche à rendre sa publication plus attrayante avec son titre, alors que Greer insiste par son titre sur l’héritage de E. F. Schumacher, auteur du classique Small Is Beautiful: Economics as if People Mattered. Greer part des constats qui inspirent le livre en préparation que j’ai mentionné dans mon dernier article, ceux des effondrements qui arrivent, et présente d’intéressantes analyses qui justifie amplement le titre de la version française.

Un impact de la lecture de Greer était l’incitation à retourner à Schumacher, pour relire le livre publié la même année que Halte à la croissance! (1972) (dont Écosociété vient de publier une version française, suivant littéralement le titre de l’original, Les limites de la croissance alors que la traduction répandue est autre).  Il est frappant de voir jusqu’à quel point les constats d’aujourd’hui étaient clairement en vue il y a 40 ans. La grande préoccupation pour l’avenir, de la part des auteurs de Halte! autant que de Schumacher, renforce celle que j’exprime dans mes articles. Elle fait ressortir aussi la fragilité des constats d’effondrements avec calendrier à l’appui; même si ces constats sont d’un tout autre ordre que ceux du calendrier Maya, je me place avec Schumacher, Meadows, Greer et al dans une longue série de prophètes de malheur dont bon nombre se sont trompés. Le premier article de mon nouveau blogue présentait les fondements de ma position.

En même temps, il est réconfortant de voir différents médias souligner le faible nombre de tels prophètes de la Grande Récession, comme si on doit reconnaître l’importance de prévoir et de planifier avec autant de vision que possible. Finalement, la situation rappelle le pronostic d’effondrement d’un autre prophète de malheur, Maurice Strong, dans son autobiographie Where on Earth are We Going?, publié en 2000. Le premier chapitre de ce livre constitue un portrait d’effondrement présenté aux actionnaires de la planète – nous – en date du 1er janvier 2031. En 1990, Strong s’est appelé un «optimiste opérationnel» face aux défis, et je me décris ainsi depuis cette date. Ce blogue est finalement l’indication que cela continue, même si c’est de plus en plus difficile.

C’est bien le philosophe et professeur qui trace les lignes précédentes, en me référant à toute une bibliothèque qui présente les scénarios peu reconnus des décideurs mais d’une cohérence déconcertante! SchumacherEt en effet, ce qui m’a frappé peut-être le plus à la relecture de Schumacher, ce ne sont pas ces scénarios trop bien connus par les personnes qui y portent attention, mais plutôt son chapitre sur l’éducation. Schumacher y manifeste plusieurs de ses convictions profondes, dont une croyance en un être supérieur, la conviction que les oeuvres de science et celles de philosophie sont de nature différente et que le besoin de sortir d’une confusion intellectuelle exige qu’on «accepte consciemment, même si provisoirement, un certain nombre d’idées métaphysiques qui se trouvent en opposition aux idées du 19e siècle», celles de Darwin, de Freud, de Marc, de Comte et même d’Einstein, qui pénètrent la pensée moderne.

Schumacher a peut-être raison que cette pensée «positiviste» explique l’échec des efforts de faire comprendre les scénarios d’effondrements, surtout lorsqu’il situe son jugement dans le contexte d’une condamnation de la «science» économique qui constitue toute la première partie de son livre et qu’il identifie à la «mauvaise métaphysique». La relecture de cette oeuvre classique, comme une sorte de visite à un musée, m’a ramené au débat récent sur le changement de nom du programme des cegeps dans lequel j’ai enseigné pendant un quart de siècle. Arts et Lettres devient Culture et Communications, et plusieurs chroniqueurs croient le changement important, et mal avisé. Moi je le vois intéressant dans un sens plutôt contraire.

Le retour à Schumacher fait ressortir ce qui a marqué tout mon enseignement, tout aussi marginal dans ses orientations que mes efforts de changer celles en matière de développement. Partout, la littérature et les grandes oeuvres sont enseignées en fournissant aux élèves leur contexte historique, en prétendant que ceci est essentiel pour les comprendre. J’ai passé près d’un demi-siècle à proposer, au contraire, qu’il est aussi difficile de comprendre le «sens» d’une époque historique (dont la nôtre, qui évolue sans cesse) que de comprendre le «sens» d’une oeuvre. Tout est question d’interprétation.

(suite…)

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Catastrophiste

En quittant le bureau du Commissaire en décembre 2008, j’ai diffusé auprès de mes amis et contacts une réflexion sur ce que ces deux années m’avaient fourni comme expérience. Je m’y décris comme « catastrophiste », ayant réalisé que le résultat de mes 40 ans d’efforts était clairement un échec. La réalisation venait de mon retrait forcé d’interventions dans l’actualité et de la lecture et de la réflexion que ce retrait a permis. Ce m’était déjà assez clair, et depuis assez longtemps, que nous ne nous réussissions pas à contrôler nos excès, que nous aurions de la difficulté à obtenir une police d’assurance sur notre survie.

Éric Desrosiers m’a fait l’honneur d’une entrevue sur la façon d’évaluer cette situation que je juge catastrophique. L’entrevue a vite tourné vers le fondement de ce jugement, le constat que le «développement économique» et la «protection de l’environnement» sont irréconciliables dans le cadre du modèle économique actuel. Mon article sur le Jour de la Terre de la semaine dernière sur ce site, allant dans le même sens, a suscité beaucoup de réactions, de la tristesse à la colère. Beaucoup ont de la difficulté à se considérer «catastrophiste», voire de constater l’échec.

Dominait probablement un questionnement quant à l’avenir qui est devant nous et nos enfants. Josée Blanchette a décidé – c’était bien apprécié – de faire sa chronique sur le Jour de la Terre en ciblant ma mise en question de cet événement : «En attendant de cultiver mon propre jardin, je pleure de nous voir faire du surplace de façon aussi peu efficace.»

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Et David Desjardins de récidiver sur le thème, dans sa chronique récente. Lui fait une réflexion sur ces jeunes innocents peinturlurés en vert qui ont fait la une du Devoir. De mon coté, j’ai réfléchi sur ces jeunes et moins jeunes dans un bidonville de Nairobi où il y a beaucoup de noir.

Vous l’avez deviné : je suis lecteur du Devoir, lisant les autres journaux de façon tout à fait aléatoire et fasciné par l’ensemble de la couverture médiatique qui, d’une part, suit ce qui est devenue une idéologie de l’économie avec peu de capacité indépendante et, d’autre part, fait rapport sur les catastrophes sociales et naturelles un peu partout sur la planète qui découlent de dérapages de cette même économie, sans s’en aperçevoir.

Reste que notre vie parmi les riches de ce monde est bien trop belle pour passer notre temps à pleurer. Et assez curieusement, j’ai l’impression que le Québec constitue une petite nation à part, peut-être capable de confronter les effondrements qui viennent avec plus de succès que la plupart des autres. Je travaille actuellement avec un collectif d’auteurs qui cherchent à dessiner le portrait d’un Québec vivant dans le respect de la capacité de support de la planète, où les liens sociaux (pour poursuivre la chronique de Josée Blanchette) feront que la société serait même plus riche qu’elle ne l’est actuellement – si les décisions toujours refusées dans le passé sont prises. Vous en entendrez parler de temps à autre.

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Célébrons le Jour de la Terre?

En 1970, j’ai animé un kiosque au premier Jour de la Terre; j’y présentais les options: une bouteille de Coke à 20 usages ; une bouteille à usage unique; une  canette d’aluminium. En 1990, j’étais le sous-ministre adjoint responsable des programmes qui cherchaient à détourner nos déchets des sites d’enfouissement, entre autres par le recyclage. Aujourd’hui, je note que nous recyclons plus de déchets qu’il n’y avait de déchets quand j’étais sous-ministre, et cela à des coûts énergétiques assez importants – sans parler du fait qu’il y autant de déchets non recyclés qu’il y a 20 ans. Histoire d’un mouvement…

Les informaticiens, notre quotidien et le Jour de la Terre

Une inertie s’est installée dans le mouvement environnemental. À l’œuvre depuis les années 1960, et à force de maintenir la pression pendant ce long demi-siècle, les groupes ont développé leurs habitudes. Ils continuent à organiser les interventions, à faire les recommandations, finalement, à faire tout ce qui se fait depuis tout ce temps. Ile le font en oubliant le point de départ. On peut identifier ce point en se référant à la publication de Halte à la croissance! en 1972. Ce document, le fruit d’un travail d’informaticiens de haut calibre du Massachusetts Institute of Technology, fournit un portrait des tendances de cinq grands descripteurs clé de la civilisation : (i) les réserves de ressources non renouvelables, (ii) la production alimentaire per capita, (iii) la production industrielle per capita, (iv) les tendances démographiques et (v) la pollution. Ces cinq paramètres étaient décortiqués par plus d’une centaine de sous-paramètres reliés par des « boucles de rétroaction ». C’était en effet un «modèle» de notre civilisation, des services qu’elle fournit à l’humanité et de ses besoins pour le faire.

Halte! insistait sur des limites et sur une certaine urgence. Aux environs de 2025, suggérait son scénario de base, l’ensemble des systèmes marquant cette civilisation se mettait à s’effondrer. Au fil des ans, le mouvement environnemental semble avoir oublié cette tendance vers l’effondrement qui pourtant motivait sa naissance. Le quotidien du militantisme et de l’activisme, tout autant que du dialogue et du « lobbying », s’est installé, participant à l’inertie qui oublie aujourd’hui l’urgence. Nous ne sommes plus dans la situation qui prévalait dans les années 1960. Nous sommes rendus à une situation qui manifeste ce que craignaient les premiers à sonner l’alarme – nous sommes aux premières étapes de l’effondrement annoncé, comme la mise à jour de ses travaux (la figure) le LtG Turnermontre.

Autant les projections des savants informaticiens étaient complexes, fournissant un portrait schématique d’une civilisation que nous ne connaissons toujours pas bien, autant notre quotidien est simple et presque impossible à relier à la catastrophe planétaire en cours. Voilà le drame. Comme individus, nous cherchons à suivre les conseils, qui remontent loin dans le temps. Nous recyclons – mais nous produisons deux fois plus de déchets à recycler. Nous cherchons à restreindre la consommation nécessaire pour soutenir notre vie quotidienne – mais nous vivons dans des maisons deux fois plus grandes que celles du début du mouvement. Nous cherchons des autos qui consomment moins d’essence – mais nous conduisons deux fois plus de kilomètres qu’auparavant. Et ainsi va la vie, presque sans qu’on s’en aperçoive.

Nous ne voyons tout simplement pas que les pays riches ont évolué vers un modèle de civilisation qui exigerait trois ou quatre planètes pour se maintenir – et c’est un modèle qui laisse dans la dèche les trois quarts de l’humanité, dont le quotidien ne ressemble pas au nôtre. Dans leur quotidien, ces gens voient le nôtre (les télévisions abondent, même dans les pays pauvres) et n’acceptent pas un quotidien qui est si différent. Dans le bidonville de Kibera, à Nairobi, demeurent un million de personnes. Elles se branchent sur les réseaux d’électricité et d’eau destinés aux riches des alentours – et chaque poteau ici tient une antenne de télévision…

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Finalement, le mouvement environnemental nous conseille toujours les gestes quotidiens censés réduire au moins un peu notre empreinte. Il conseille toujours les gouvernements quant aux correctifs à apporter à leurs projets de développement plus ou moins bien conçus. Derrière tout cela, à notre insu dans notre vie quotidienne, se déferle un ouragan, presque littéralement, avec les changements climatiques sur le bord de s’emballer, figurativement, avec des rapports qui nous montrent que tous ces gestes, tous ces correctifs, s’insèrent dans le contexte d’une empreinte écologique déjà au-delà de la capacité de la planète à nous soutenir.

Chaque année, nous célébrons/manifestons lors du Jour de la Terre. Cette année, c’est le 44e exercice du genre, et c’est comme si nous nous préparions pour en célébrer le 50e. L’an dernier, un mouvement impressionnant et multi-colore réunissait un ensemble d’opposants à la dégradation écologique et sociale de notre époque. L’événement est resté cela, sans suite, sans reconnaissance de l’urgence, chaque composante retournant à ses propres ouailles – pour revenir cette année avec le même discours, absent le mouvement massif de l’an dernier qui a failli nous sortir de notre torpeur. Comme suivi de l’événement, les groupes ont endossé la croissance verte par leur plateforme électorale d’août dernier, et plus récemment, le SWITCH formalisait encore une approche comme celles des dernières décennies, pour concerter dans l’espoir d’un virage « vert » – une illusion.

Les informaticiens et les scientifiques ont fait leur travail, très bien. Le problème est notre quotidien, qui reste toujours un quotidien, incapable de voir cette Terre que les astronautes nous ont montrée il y a des décennies. Elle est fragile, flottant dans l’espace, ce qu’elle va faire peu importe ce que nous réussirons à faire, ou à ne pas faire.

Le temps n’est plus pour des événements annuels, pour se satisfaire des gestes quotidiens, pour le lobbying habituel. C’est le temps pour une vague bleue/verte/orange/jaune/rouge par laquelle la société civile se mette en marche, investisse les parlements avec une majorité de « poteaux », s’attaque à l’urgence.

 

 

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